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« Médée » – Lisaboa Houbrechts subvertit la Comédie-Française

Médée
© Christophe Raynaud de Lage

La trentenaire imagine une Médée moderne, résumée en une heure vingt. Un pari audacieux qui accuse quelques loupés, mais qui a le mérite de renouveler la proposition théâtrale du Français.

On lui a donné une totale liberté, elle s’en est saisie sans hésiter. Difficile de ne pas s’en rendre compte dès les premières secondes. Les étincelles commencent lorsque jaillit sur scène la nourrice et narratrice du texte d’Euripide, interprétée par le comédien Bakary Sangaré. Lisaboa Houbrechts, metteuse en scène flamande et étoile montante du théâtre contemporain donne le ton. Certains rôles masculins sont interprétés par des actrices ; d’autres, féminins le sont par des acteurs. La nourrice Sangaré ouvre le bal et nous explique, doctement, quelle partie de la vaste intrigue de Médée nous allons prendre en vol. Quelques secondes plus tard, le comédien est interrompu par les cris stridents de Séphora Pondi.

Cette Médée au cœur battant (grossièrement symbolisé par un cœur lumineux en plastique rouge, que la comédienne porte sur la poitrine) vient d’être quittée par Jason (Suliane Brahim). Pour vivre avec lui et élever ses enfants, Médée a renoncé à tout. Son pays, sa famille, sa fierté. La jeune femme, trahie, est doublement lésée. Elle a perdu sa patrie et son amour. Jason la quitte pour Créuse, la fille d’un roi.

Médée au carré

Le pari de Lisaboa Houbrechts est ambitieux. Les dialogues, tout comme la douleur de Médée, se succèdent tandis qu’une mise en scène audacieuse se déploie. L’intensité réside moins dans le texte que dans la scénographie. Après avoir été quittée, Médée est en miettes. Séphora Pondi se couche sur la scène, comme écrasée par le poids insupportable de sa douleur. Sur la scène d’abord nue se dresse un grand voile qui se déploie, illuminé par les couleurs ocres des projecteurs. Le jeu de lumière, intense, accompagne les cris lancinants de la comédienne, motif récurrent dans la pièce. Sous les cris, on entend des chants traditionnels chantés d’une voix claire. L’ensemble est troublant – la place importante accordée à la musique fait la singularité des pièces de cette jeune metteuse en scène flamande – mais un peu didactique. Avec les cris, les lumières, le son, Médée prend en charge toute l’émotion. Comme si elle indiquait au spectateur ce qu’il doit penser.

Certains effets sont réussis. L’intrigue se concentre essentiellement sur la relation qu’entretiennent Médée et Jason jusqu’au meurtre de leurs enfants. Les performances des comédiennes sont remarquables – Séphora Pondi et Suliane Brahim en tête. La mécanique se grippe au bout d’une heure, lorsque la pièce arrive à sont point d’orgue – l’infanticide. Les personnage secondaires, affublés de costumes futuristes, sont trop effacés pour rendre compte de l’intensité de ce qui est en train de se jouer, ne permettant pas au texte d’exister suffisamment. L’ampleur de la tragédie disparaît avec eux.

En fin de compte, lorsque Médée atteint ce qui devrait être son apothéose, les cris prennent le pas sur l’émotion. Médée perce deux ballons de baudruche censés symboliser les enfants. Le deuxième est éclaté d’un mouvement ; elle serre le second entre ses jambes longuement avant d’en venir à bout. La pression n’est pas montée suffisamment pour exploser d’un seul coup et faire jaillir d’un coup toutes les tensions de cette intrigue qui concentre pourtant tous les tabous de l’époque. Il y avait de l’idée. Des bonnes choses. Lisaboa Houbrechts explore et subvertit ce qu’il est possible de faire au théâtre. Elle explore, emprunte quelques chemins de traverse. C’est rare de prendre autant de liberté. Peut-être que malgré la bonne volonté, Médée n’est pas encore prête à être ainsi synthétisée.

Médée, adaptée d’Euripide, un spectacle de Lisaboa Houbrechts à voir à la Comédie-Française. Jusqu’au 24 juillet 2023.

Journaliste

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