Isabelle de Courtivron a décidé de parler de la vieillesse dans L’été où je suis devenue vieille, chose rare en littérature. Un court roman sous forme d’éloge à la vie et aux livres.
Les années passent, et puis un jour, on se dit que la fin de la vie approche. Que les années qu’il nous reste sont moins nombreuses que celles qui se sont écoulées ; que le corps est marqué par les douleurs et bonheurs du passé ; que la fin est proche et qu’il faut faire le bilan de ce qu’on a été et de ce que nous sommes. C’est ce qui est raconté dans L’été où je suis devenue vieille. La narratrice et autrice, Isabelle de Courtivron réalise que son corps n’est plus le même qu’avant. À soixante-treize ans, pendant l’été, elle retrace sa vie à travers les textes littéraires.
C’est aussi une petite traversée de l’Histoire. Celle du féminisme, des années 60 et 70 ou encore de son histoire personnelle, celle qu’elle a tenté de construire, et de son identité qu’elle a essayé de se fabriquer et de trouver. Dans ce livre, l’autrice a souhaité transmettre, de la même façon qu’elle a pu transmettre en tant qu’enseignante de littérature. Ainsi, l’ouvrage est chargé de références littéraires qui s’entrecroisent et donnent envie de découvrir de multiples univers.
« Je dois une très grande partie de mes leçons de vie à mon parcours littéraire. Montaigne m’a appris le courage de la confrontation avec soi-même ; Proust, la puissance de la mémoire ; Toni Morrison, par une écriture incandescente, le sens de la vérité et de la justice ; Annie Ernaux m’a montré comment on peut écrire sur soi pour saisir le monde… »
L’été où je suis devenue vieille, Isabelle de Courtivron
Décalage générationnel
Tout au long de cette biographie, Isabelle de Courtivron se livre sur les décalages qu’elle ressent dans la société. Elle parle notamment de son décalage avec les nouvelles technologies, qui vont trop vite : applications, réseaux sociaux, tout ce monde que la jeune génération maîtrise. Dans ce livre, l’autrice tente de comprendre ces nouveautés, sans pour autant les maîtriser totalement.
Autre décalage, celui avec son propre engagement. Féministe de la première génération, elle s’est battue pour de nombreux droits. Elle ne dénigre pas les nouveaux mouvements féministes, elle souligne cependant qu’elle ne les comprend plus. Et ce décalage est aussi présent pour ses lecteurs et lectrices d’une autre génération. Elle met en dualité les avis que les jeunes générations peuvent avoir sur les vieilles générations, et inversement. Lorsque l’autrice était jeune, elle était souvent en désaccord avec la génération de ses parents. Maintenant, elle est passée de l’autre côté, celui de l’invisibilité, de la vieillesse. Malgré son besoin de partager et de transmettre, elle vit désormais dans une époque où elle ne trouve plus sa place.
« Est-ce cela la vieillesse, non seulement accepter d’être invisible aux yeux des autres, les hommes, les jeunes, mais participer pleinement à cette invisibilité en se cachant, en cachant son corps et ses rides ? »
L’été où je suis devenue vieille, Isabelle de Courtivron
Finitude
C’est la solitude exprimée qui frappe à la lecture du livre. Elle a été entourée d’amis, de proches, de connaissances ; elle s’est engagée, affirmée. Cependant, n’ayant pas pris la même direction que ses amis (pas de mari, d’enfants, ni de petits-enfants), c’est la solitude qui pèse lorsqu’on referme le livre. Même si elle ne semble pas malheureuse, ce récit n’est pas joyeux, car il met en avant une évidence : toute vie à une fin. Depuis peu la parole autour de la vieillesse se « libère » que ce soit en littérature ou dans le monde du septième art, mais il y a encore trop peu de témoignages sur cette partie de la vie. Et qui dit méconnaissance sur un sujet dit peur : peur de ne plus maîtriser son corps, peur de perdre la mémoire, peur d’être effacé de la société, peur de disparaître alors que nous vivons toujours.
Ainsi, ce livre est un éclairage sur la vieillesse pour les jeunes générations, comme pour les moins jeunes. C’est par le biais de la sagesse, de l’humour et de l’autodérision qu’Isabelle de Courtivron nous parle de la vie, des relations humaines et de la vieillesse. Son œil et sa plume son ceux d’une femme indépendante.
« Ma vie a-t-elle été utile ? Cet été-là, je n’ai cessé de me poser cette question. Après tout, je n’ai rien fait d’autre qu’étudier, puis enseigner. De l’école à la fac : comme un ermite, je ne connais qu’un seul monde, qui a été mon refuge ».
L’été où je suis devenue vieille, Isabelle de Courtivron