Drama queen de talent, Melissa Broder fait le récit d’une révélation quasi-mystique provoquant chez une jeune anorexique un regain d’appétit sexuel et alimentaire. À mi-chemin entre la chronique prosaïque et les Mille et une nuits, ce roman sonde notre rapport à la nourriture, à la sexualité et à la spiritualité.
Los Angeles. Rachel, vingt-quatre ans, travaille pour une agence de talents du cinéma. À ses heures perdues, elle se produit sur des scènes de stand-up mais le principal de sa vie est régi par un rapport monomaniaque à son alimentation. Elle mâche des chewing-gums à la nicotine à longueur de journée et s’interdit le moindre écart en se frustrant. Sa psy lui conseille de commencer une cure de détox avec sa mère, envahissante, et de couper les ponts avec elle pendant 90 jours. Quelque chose se modifie soudain quand elle rencontre Miriam, serveuse au magasin de glace où elle se rend quotidiennement.
Melissa Broder, poète et essayiste, tient un fil Twitter, So Sad Today, où elle publie régulièrement des tweets-mot-d’esprit avec un regard grinçant et drôle sur la difficulté à vivre, la sexualité, l’angoisse, l’addiction se riant avec mordant des conseils de développement personnel. Elle en a tiré un essai du même nom. Cette écrivaine à l’humour caustique écrit ses livres en grande partie en dictant à haute voix les phrases à son smartphone.
Frustration alimentaire
Cette histoire suit les tergiversations intérieures de Rachel, narratrice, qui se livre à la première personne, avec un ton bien à elle, ne cachant rien de ses protocoles obsessionnels honteux. Atteinte de troubles alimentaires, elle passe son temps à ritualiser et à calculer les calories. Elle met tout en œuvre pour que tout soit sous contrôle et pour que son poids reste stable. Toutes ses habitudes sont marquées par ses restrictions caloriques. Les repas sont des moments sacrés qu’elle préfère passer seule pour être sûre que rien ne vienne contrarier sa diète. Chaque jour, elle déjeune au Subway avec une salade de 160 calories et finit son repas au magasin Yo!Good où elle prend un pot de yaourt glacé nature. Son quotidien ? Régime, sport, produit light, salade sans sauce et indice 0 %.
J’étais censé brûler 3 500 calories par semaine, chiffre auquel j’étais arrivée grâce à une équation interactive mêlant de vieilles données Weight Watchers au calcul de mon apport calorique journalier. (…) Je m’accrochais à ce chiffre de 3 500 comme à un numéro gagnant du Loto. Nul ne pouvait y toucher. Ce chiffre garantissait ma sécurité physique et émotionnelle.
Les Sept Nuits de Miriam, Melissa Broder
Melissa Broder démonte les rouages cruels et destructeurs du regard jugeant d’une mère dévoratrice sur le corps de sa fille à qui elle assènera toute son enfance : « Renonce ! ». Ce comportement alimentaire est un des maux d’une époque. Il fait reposer sur le corps féminin l’injonction à se conformer à un idéal normatif. Cependant, cette recherche effrénée de perfection ne mènera Rachel qu’à une insatisfaction permanente. « Pendant des années, je n’avais jamais été assez mince. Et puis, tout d’un coup, je suis devenue trop maigre ». Elle n’est pourtant pas dupe de la situation. Elle est lucide quant à sa tendance à chercher l’approbation du regard des hommes pour confirmer son potentiel de séduction.
Amours transcendantales
Romantique à souhait, Rachel craint que l’amour ne tourne mal et la tue. Alors, elle explore, d’abord seule, les recoins du fantasme. Mais le désir devient réel quand elle croise le regard de Miriam dont les rondeurs débordent et l’attirent irrésistiblement. Celle-ci fume des cigarettes aux clous de girofle, se rend au cinéma pour voir des vieux films et rajoute des suppléments sur les glaces des clients. Cette femme symbolise pour Rachel une puissance mythologique qui lui redonne foi en l’amour et provoque en elle un retour de l’appétit. Leur histoire s’écrit dans les interstices de l’interdit. Pour Rachel, maigrichonne, cette femme plantureuse représente ce qu’elle ne se permet pas. Pour Miriam, juive orthodoxe, embrasser une autre femme ne saurait être toléré.
Pourtant, la religion et ses rituels vont constituer l’ouverture sur un ailleurs joyeux pour Rachel, juive non pratiquante. Elle trouve dans l’accueil de cette famille lors du shabbat un amour inconditionnel qui lui rappelle ses grands-parents et les pâtisseries qu’elle dégustait enfant. L’observation des gestes liturgiques accompagnent l’envie des gestes de douceur. Le désir est un éveil spirituel et une ouverture des sens. Rachel se remet peu à peu à manger à sa faim et avec délectation. Mais, au-delà de l’appétit retrouvé, Melissa Broder a aussi les mots pour dire le sexe avec tendresse et réalisme. Elle décrit le sexy de l’attente et la suspension dans le désir.
Ce soir-là, les seins bandés, je l’ai baisée avec ma main. Pendant que je lui léchais le clito, la langue à plat, de la façon qu’elle aimait, j’ai introduit en elle le bout de mon majeur. Je ne l’ai pas pénétrée beaucoup. (…) Elle s’est mise à haleter et à se frotter contre mon doigt pour essayer de le faire venir plus profond. Mais je ne l’ai pas laissée faire. (…) J’ai continué ainsi jusqu’à ce qu’elle dégouline.
Les Sept Nuits de Miriam, Melissa Broder
Avec un ton malicieux et un regard affuté, Les Sept Nuits de Miriam de Melissa Broder fait le récit du désir réanimé chez Rachel dont le quotidien est partagé entre travers triviaux et aspiration à l’amour absolu.








