Deux ans après la sortie de son premier EP, Rêvalité, Thérèse fait son retour avec MetaREverse. Rencontre avec une artiste aux multiples facettes, reine d’un projet unique dans l’industrie musicale française.
Dans ce nouvel opus, la chanteuse prolonge les thématiques déjà abordées tout en positionnant ces 5 titres en réaction à sa médiatisation et au sujet tabou de la maladie survenus depuis. Rencontre.
MetaREverse, c’est ton deuxième EP après Rêvalité, il y a un lien dans les titres avec ce RE en majuscules ici, le RE de Rêve et de Thérèse… tu peux m’en parler un peu ?
C’est marrant. Je l’ai constaté a posteriori. Ce n’était pas fait exprès, mais j’ai un truc avec le Re, avec la répétition peut-être avec le retour, le recul… Je suis en train d’inventer (rires) mais j’essaie de prendre de la distance par rapport à tout ça… Oui avec le rêve probablement, avec le ré peut-être (rires). C’est une coïncidence.
En tout cas il y a d’une part une prolongation musicale de ton premier EP et en même temps, une réaction à ce qu’il s’est passé, dans les thèmes abordés, et ce que tu as vécu au niveau de ta médiatisation que ce soit positif ou négatif… On a vraiment le sentiment que ces cinq titres réagissent à tout ça…
Complètement ! Mais pareil, je m’en suis rendu compte après. Finalement, probablement que le projet Thérèse, c’est un grand questionnement sur l’individu et le collectif et que quelque soit ce que je peux écrire ça tourne autour de ça. Comment l’individu cherche à se comprendre et comment il arrive à se placer dans un collectif, dans la société ? J’ai l’impression d’avoir approfondi ma réflexion à travers cette exposition et la façon dont ma vie a évolué notamment en termes d’image publique que ce soit dans la vraie vie ou sur les réseaux sociaux.
Dans la vraie vie, je l’ai plutôt bien géré. Les gens qui me voient en vrai même s’il y a toujours un biais quand tu vois un ou une artiste en vrai, c’est quand même plus palpable de ressentir que c’est une vraie personne, que je suis pareille sur scène et dans la vraie vie, que c’est assez simple de me parler après les concerts, de faire des photos et de discuter de la vie. Sur les réseaux sociaux, c’est autre chose, la personne a beau être la plus sincère dans ses propos ou dans son apparence… Car je suis parée sur des photos de shooting, mais je me montre aussi en jogging, pas maquillée… Mais il y a une distance qui est plus grande et qui a pu potentiellement me questionner parfois me faire du bien ou me protéger, mais aussi me faire souffrir. Et quelque part tout l’EP MetaREverse parle de ça, du questionnement de l’image que l’on peut renvoyer à travers les écrans, à travers les réseaux sociaux, ce monde virtuel qui biaise un peu l’humanité.
C’était cette idées de continuer de déployer artistiquement ces thématiques individuelles et collectives autour de l’impact des réseaux ?
Et peut-être de façon un peu plus précise. Le premier EP, « Private Party », est très général. Quand tu rentres dans les chansons du deuxième EP, « Jealous », c’est un sujet très particulier, c’est la jalousie sociale et plus précisément entre artistes. Je voulais affiner un peu ce propos pour donner des exemples plus tangibles et que les gens puissent aussi se raccrocher à quelque chose de plus concret, se reconnaître ou non dans les propos, que ce soit matière à réflexion. « metaREverse » est assez proche du propos de « Jealous » mais apporte pas mal de choses. C’est plus la relation de soi à soi que la relation de soi à l’autre par rapport aux réseaux, le fait de s’éteindre soi-même à petit feu en se consumant à travers eux.
« Sirène » est une chanson qui me tient à cœur en termes de sonorités, mais qui parle du slut/body shaming. Du fait que l’on prône beaucoup le féminisme, mais il y a une sorte d’effet de loupe sur ces questions de body positive. En réalité, je trouve que l’on est dans une période où il y a un retour de bâton qui est énorme. À la fois, on n’a jamais été aussi émancipé·es et en même temps le patriarcat n’a jamais été aussi fort. Il y a cette espèce de patriarcat intégré quand on essaie de s’émanciper et de juste tracer sa propre route. « Maladiva », c’est autre chose encore, ce n’est pas tellement par rapport aux réseaux, mais un peu quand même. C’est comment, en tant que personnage public, tu abordes cette question taboue de la maladie et ce que tu en fais : est-ce que tu la caches ou pas ? Et tu as « No Rules » qui est ma lumière au bout de ce tunnel qui est très étriquant où on se dit qu’après tout, moi ce que je défends, c’est ça. C’est se dire, on est complexe, incohérent et c’est comme ça. C’est un peu une sorte d’hymne pour se donner du courage à devenir soi et se dire, j’accepte toutes ces contradictions chez moi et chez les autres aussi.
Il se passe deux ans entre les deux EPs, comment MetaREverse est né ?
Le premier EP est sorti en mars 2021. Je pense que j’avais déjà un peu commencé à composer le deuxième. Et puis ce qu’il s’est passé dans ma vie personnelle, à l’époque ce n’était pas public, l’année où j’ai sorti l’EP, peut-être un ou deux mois après, j’étais en pleine ascension, avec pleins de projets tels que ce système l’exige… Les télés, les couvertures de magazine… Et là, mes médecins me disent, « votre état de santé se détériore, ce serait bien de penser à une greffe ». Pour moi, c’était inimaginable, horrible… Je me disais, mais pourquoi moi ? Et pourquoi maintenant ? J’ai longuement cheminé et j’ai dit au médecin que je n’étais pas prête tout de suite. Je me suis fait une sorte de to-do list, mes indispensables à faire avant de me faire greffer et potentiellement mourir parce que c’est un peu ça que ça voulait dire. Je me suis dit qu’avant de me faire opérer, il fallait absolument que je fasse ma tournée, que je n’allais pas faire un disque et tout arrêter sans avoir rencontré le public. Le projet Thérèse est né pendant le confinement donc mon public n’était que virtuel jusque-là. J’avais hâte de pouvoir aller dans les salles de concert et de voir ces gens en vrai et leur parler, les toucher, etc. J’en avais absolument besoin.
Et la deuxième chose, c’était de pouvoir écrire un deuxième disque et de parler de ce qui m’arrivait. Un peu dans l’idée de dire, on ne sait pas ce qu’il se passe dans la vie des gens. Il n’y a pas longtemps, Ariana Grande, donc encore une fois une femme, a subi du body shaming parce qu’elle avait maigri. Les gens racontent beaucoup nos histoires à nos places et moi je n’avais pas envie de ça. Je me suis dit : si je dois partir ou s’il doit m’arriver quoi que ce soit je veux que ce soient mes propres mots. Je n’ai pas envie qu’il y ait des ragots sur moi, des rumeurs. Je commençais déjà à entendre des choses. J’ai un petit peu pressé mon équipe, je l’avoue, mais je pense que c’était la meilleure des choses que j’avais à faire à ce moment-là. Finalement, MetaREverse qui sort là est fini depuis un an. Je savais que j’allais devoir me faire opérer à un moment donné, mais je ne savais pas quand et j’avais besoin que ces chansons sortent.
Tu disais que le projet Thérèse était né pendant le confinement, tu peux parler un peu de la genèse ?
Pour le premier confinement en 2020, annoncé le jour de mon anniversaire, je me confine seule parce que j’étais un peu parano et c’était la solution la plus simple qui s’est imposée à moi. C’est très étrange, car j’ai super bien vécu le confinement, un peu comme un cadeau, une petite bulle. Enfin, passée la première semaine où je regardais les infos tous les jours et ça me rendait malade, j’ai complètement coupé et je me suis mise à créer tout et n’importe quoi : la peinture, l’écriture, je faisais des lives sur Instagram, j’ai fait mes premières vidéos pour parler de sujets divers et variés. Et j’avais Ableton installé dans mon ordi depuis quelques mois, mais je ne m’étais jamais vraiment attelée à tester des choses. À l’époque, j’étais dans un projet qui s’appelait La Vague et ce 12 mars en question, je devais annoncer que l’on venait de trouver un tourneur. Avec le confinement, je ne l’ai pas fait et je me suis mise à réfléchir à tout ça. D’un côté, le projet La Vague ne m’apportait plus artistiquement et politiquement. Je me suis rendu compte que j’avais envie d’autre chose.
Et parallèlement, je me mets à Ableton, je le dis à personne et j’essaie de faire des trucs. J’étais totalement néophyte. À l’époque, je discutais un peu avec Adam Carpels qui habitait à Lille et il m’avait déjà proposé de me donner des cours de MAO. Sur le coup, je n’avais pas accepté, car je n’avais pas le temps, mais là, je n’avais que ça à faire. Je l’ai appelé pour qu’il me donne des tips et il a installé un logiciel de prise en main à distance. Avec ces premiers conseils, je me suis lancée des petits défis comme faire un son par jour. J’en étais plutôt contente avec l’idée de se demander à quoi ressemblerait quelque chose qui me ressemble à moi. Pour rigoler, j’envoyais les sons tous les jours à Adam et à mon label. Le confinement passe et à la fin, Adam vient à Paris et me dit qu’il a réfléchi à mes maquettes et qu’il y a un truc vraiment cool. Il me propose de m’aider à pousser le projet plus loin. Je lui ai répondu non, j’étais encore un peu dans La Vague et je n’étais pas sûre. Au fil des discussions, il finit par me convaincre. Mais j’ai imposé mes conditions, je voulais partir sur un projet solo où je suis libre de dire ce que je veux, de m’habiller comme je veux. Il a accepté. Et de là, on a commencé à faire de la musique en partant de mes références à moi, qui se sont mélangées à celle d’Adam, mais comme on en a beaucoup de communes, c’était plus simple. On a envoyé ça au label et on nous a dit qu’il y avait un truc qu’on pouvait sortir quelque chose en juillet, ce qui est très court comme timing pour l’industrie de la musique. J’ai demandé un peu d’argent pour aller enregistrer en studio et faire un clip. Les planètes se sont alignées. Charlie, qui avait déjà bossé sur un clip de La Vague, était dispo pour faire un clip, Alexandre Zuliani aussi. C’était un peu fou, ce démarrage était inattendu, le projet n’était pas prémédité et on a eu des années 2020 et 2021 folles.
Une sortie de confinement très intense…
J’apprends aussi avec le temps (je le savais déjà en observant autour de moi) que les carrières de musiciens et musiciennes ne sont pas linéaires. Il y a des gens qui sont là depuis dix ans et il ne se passe rien… Ils essaient d’avancer et d’un coup tu peux faire une rencontre ou correspondre à l’air du temps et ça prend. Parfois, tu démarres un projet, c’est fou et ensuite ton deuxième EP tu galères, pour d’autres c’est complètement linéaire et ascendant tout le temps. C’est rigolo, quand ça fait un moment que tu es dans l’industrie, de voir les carrières des uns et des autres évoluer et de te rendre compte que c’est très anarchique. À moins, potentiellement, que les planètes soient alignées, que tu sois à la fois avec un entourage qui a de l’argent et qui peut en mettre plus pour que tu sois visible et grossisses sans arrêt et que toi, tu sois constamment inspiré, ce qui n’est pas simple. Je trouve que cela dépend de ce que tu as vécu. Ça fait relativiser sur l’image qu’on se fait de la carrière quand on débute.
Avec le temps, j’ai beaucoup appris, avec les épreuves de la vie en grandissant, à donner une définition personnelle à ce que je nomme être le succès, tu n’as peut-être pas envie des mêmes choses que ton voisin ou ta voisine. Mon objectif est de créer du lien entre des gens qui ne se ressemblent pas et qui n’ont sur le papier rien à faire ensemble. J’aime me retrouver dans la salle avec un public de bureau, queer, des vieux, des jeunes, des parents, des adolescentes qui hurlent les chansons. J’aime bien ce mélange et je pense que mon projet est fait comme ça. Je constate aujourd’hui que c’est le public que j’ai. C’est plus une vie qu’une catégorie socioprofessionnelle et je trouve ça cool. Après, évidemment, j’ai envie d’en vivre, mais je ne sais pas si je demande tellement plus que ça. Cette espèce de gloire que l’on nous vend comme un truc ultime, je ne sais pas si c’’est pour moi et c’est un confort de se rendre compte de ça.
Ça te permet de pleinement de te concentre sur ta création artistique ?
Oui, de concentrer son énergie sur ce qui donne du sens à notre musique et à nos actions. Je vois beaucoup d’artistes qui se fourvoient un peu dans l’idée de la réussite et de leur épanouissement, et je ne leur jette pas la pierre parce qu’on n’a jamais fini de sortir de ça, moi y compris. On ne fait pas de la musique pour être malheureux et je souhaite à chaque artiste de trouver comment s’épanouir en dehors de ce que le système a érigé sur le succès.
Tu parlais de mélange, de mixité dans ton public, ça rejoint tes compositions musicales et ton identité artistique non ?
Ce n’est même pas voulu à la base, c’est une histoire de goûts et d’histoire personnelle. Je suis une fille d’immigrée et j’ai grandi en banlieue populaire jusqu’à mes 17 ans avec des Noirs, des Arabes, des Portugais, des Polonais, des gens qui venaient de partout. Mes parents avaient une boutique d’alimentation générale où ils vendaient des produits afro-antillais-asiatiques, donc j’ai beaucoup baigné dans cette culture. Après, je suis arrivée à Paris en prépa où j’ai côtoyé des gens qui étaient dans la culture puis j’étais en école de commerce avec des bourgeois et des personnes riches. Ce n’était pas mon milieu, mais j’y ai trouvé du bon aussi. J’ai bossé dans le luxe puis après avec des migrants. J’ai des potes qui viennent de partout, j’ai beaucoup voyagé, ça m’a ouvert l’esprit. Ma musique, elle ressemble à ce que j’aime à ce que je suis et ça pioche un peu partout. Une forme de curiosité et de mélange qui me ressemble. Et je pense que c’est ce monde-là que je veux partager avec les autres parce que c’est comme ça que j’envisage le monde et ma musique n’est qu’une lucarne vers la société que je désire.
C’est cette identité multiple qui fait que ta musique ne ressemble à rien d’autre en France…
C’est mon plus gros avantage et mon plus gros inconvénient. Avantage au sens artistique du terme, et ça, j’en suis très heureuse. On m’a toujours dit : « Tu as ton son ». Et je ne sais pas s’il y a un meilleur compliment pour un·e artiste. Je chéris ces remarques-là. En revanche, c’est extrêmement difficile dans l’industrie quand tu es singulier·ère, c’est dur de te ranger dans des cases. Aujourd’hui, on galère à me faire passer en radio, car je rentre dans aucune programmation. Tout le monde dit : « C’est cool, mais ça ne ressemble pas à la couleur de la radio ». Pour faire des co-plateaux, ce n’est pas facile. Après, j’en ai fait avec plein de gens différents ou même des premières parties. J’ai fait Yseult, Suzanne, Irène Drézel… C’est chouette, mais on préfère caser du rock avec du rock, de la chanson avec de la chanson. Et même pour faire des feats sur l’album, ça a été extrêmement compliqué de trouver avec qui en France. J’ai fini par trouver, mais je me rends compte que ma musique correspond plus à d’autres pays et à un système international.
Aujourd’hui, je vois que la Belgique s’y intéresse, le Canada, les États-Unis, un petit peu… Ma musique est loin d’être franco-française. Je le dis en rigolant, mais je me considère réellement comme une enfant du monde. J’irai là où on m’accueille. « Jealous » le nombre de stream a été phénoménale au Mexique par exemple… Dans une playlist pour faire du sexe. Je pense que je suis très attachée à ce territoire et j’aime la France, c’est mon pays de naissance et ma terre. Mais en même temps, je pense que ma terre est un peu partout. M.I.A., c’est une artiste que j’aime beaucoup que je cite absolument à toutes les interviews et ce que j’aime dans ce type de carrière, qui est évidemment plus grosse que le projet Thérèse, mais par rapport à une Rihanna, les gens la connaissent, mais son public reste plus petit. Elle est une espèce d’outsideuse de la pop, de l’industrie de la musique et je pense que ce n’est pas une chanteuse qui a beaucoup de fans dans un pays, elle doit en avoir un peu dans plein de pays et ça suffit largement. J’envisage un peu ma carrière comme ça. J’aimerais bien aller de pays en pays faire des petites salles, mais que les gens soient engagés dans la musique, que ça leur parle vraiment. Après évidemment les gros festivals m’appellent quand ils veulent.
Pour toi ça a été logique de mélanger l’anglais et le français quand tu as commencé à écrire de chansons ?
Je n’ai pas trop réfléchi. Je suis relativement anglophone, c’est une langue que je parle plutôt bien depuis longtemps. Ça n’a pas forcément été un choix de se cacher. Avant mes 18 ans, je n’écoutais pas de musique française. Ma culture à la maison, elle était de par mon père très anglo-saxonne. Et par mes goûts musicaux, quand j’étais petite, j’écoutais des boys band anglais ou américains. Après, j’ai grandi avec Eminem, Dre, Snoop Dogg et en français, j’écoutais un peu de rap. J’ai grandi à Vitry, on était des bébés du 113… Donc, ça a été assez évident d’écrire en anglais, d’ailleurs, j’ai dû travailler à écrire en français.
C’est une volonté que j’avais, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre et aujourd’hui en français, je pense avoir trouvé mon type d’écriture qui ressemble à ce que je suis dans la vie, un mélange entre quelque chose de littéraire, de l’argot et des images un peu cheloues. J’écris en français surtout sur des sujets très intimes. C’est drôle parce que ça reste une langue dans laquelle je reste plus précise, je pense, où je peux être plus subtile en termes d’émotions. Tout simplement parce que c’est ma langue maternelle et je pense que le français est une langue incroyable qui a une richesse folle en termes de nuances, ce qui n’est pas vrai pour l’anglais. L’anglais est beaucoup plus direct et je m’en sers pour dire d’autres choses. C’est l’avantage de parler plein de langues. Aujourd’hui, ce sont ces deux langues majoritairement dans mes chansons, mais je le fais aussi en chinois.
Et je baragouine plus ou moins sept langues. Mon rêve, ce serait d’écrire une chanson en sept langues. Chaque langue a non seulement ses sonorités musicales, mais c’est un système de pensée aussi. Quand tu en parles plusieurs, tu comprends à quel point dire un truc dans une langue ou une autre, ce n’est pas pareil. Ça ne sonne pas pareil et en termes de sens et d’impact ce n’est pas la même chose. Après, il faut que ton public puisse comprendre ce que tu racontes pour que l’impact soit réel.
Il y a un aspect très visuel sur le projet Thérèse. Tu es styliste également. Tu peux me parler de ça et de tes collaborations avec les réalisateurs et photographes avec qui tu travailles ?
Pour moi, l’image et le son sont indissociables. J’ai grandi avec MTV et ça m’a toujours fascinée de mettre en images de la musique ou inversement. Je ne sais même plus dans quel sens je fais les choses. Depuis toute petite, j’ai un amour de l’image, ça partait des mangas, des dessins animés, comme des films. J’ai toujours eu un appareil photo, du jetable aux Olympus à pellicule, au numérique. J’ai toujours photographié tout ce qui m’entourait et ce que les gens trouvaient moche. J’ai fait des arts plastiques, de la peinture… Je pense que la vue est mon sens le plus aiguisé et sensible. Même s’ils le sont tous, je fais de la synesthésie donc tous mes sens sont excités et ils le sont encore plus tous ensemble. Ça me tenait à cœur dès le début sur le projet Thérèse d’associer une image forte sur ces sonorités et à mon discours. Je trouve que c’est la façon la plus directe pour happer des gens avant même qu’ils prennent le temps d’écouter ce que tu as à dire, tes chansons… Une image si elle est devant tes yeux, tu ne peux pas y échapper. Plus elle raconte de choses, plus c’est direct et moins tu as besoin d’expliquer. C’est comme ça que je vois l’image.
J’ai la chance d’être super bien entourée et de m’être intéressée à ces personnes-là et de continuer à rencontrer chaque jour des personnes incroyables qui savent travailler leurs images. Charlie Montagut, qui est le réalisateur principal avec qui je bosse depuis le début du projet, est un de mes meilleurs amis. On se comprend très bien, on a beaucoup de références communes qui sont à la fois des images du monde entier et aussi un amour pour l’esthétique poussée ou léchée, mais aussi absurde. On va autant aimer l’art japonais hyperfin que les films de Quentin Dupieux. On a cet humour commun de l’absurdité des choses et du kitsch. J’avais jamais trop osé lui demander, je ne sais pas pourquoi et c’est lui qui est venu vers moi quand je bossais sur La Vague et on ne s’est jamais arrêté depuis. Entre temps, il a rencontré Thomas Daeffler qui est aujourd’hui son binôme. Grâce à lui, j’ai rencontré Thomas Wood qui a été le chef opérateur sur pas mal de mes clips « Toxic », « Skin Hunger » et qui a réalisé « Maladiva ». Et ensuite, il y a Marie-Laure Blancho aKa Choblan que j’ai découvert à travers le travail d’Oré. J’adorais son image, on s’était dit un jour que l’on bosserait ensemble et est arrivé le clip de « Chinoise ».
Aujourd’hui, je suis la plus heureuse parce qu’avec le clip de « No Rules, » il y a Charlie et Thomas à la réal et Marie-Laure à la photo. C’est fou. Ce sont des gens très à l’écoute et qui me supportent aussi, car je suis le genre d’artiste à avoir vraiment le nez dans la création de l’image. Je suis là au montage et à l’étalonnage. Je laisse la liberté aux gens d’écrire des scénarios, mais ils sont écrits à travers une base qui est assez forte où j’ai déjà plein d’idées. Les castings, c’est toujours moi qui les fait. J’ai une idée de ce que je veux représenter. Et petit à petit des gens nous ont rejoints. Je pense notamment à Matias Sahnoune qui est notre steadicamer. Je tiens pas mal à travailler en famille. Ça me rassure. Cette industrie est tellement difficile, quand tu trouves des personnes qui comprennent ton projet et la profondeur que tu as envie d’y apporter, tu as du mal à changer. Et mon objectif à ma toute petite échelle, c’est de leur apporter la visibilité qu’ils méritent. Certains n’en ont pas besoin, car ils sont bien plus avancés que moi dans leur carrière. Et avec d’autres si on peut s’aider pour se faire des courtes-échelles, pourquoi pas.
Et la suite, c’est le premier album en préparation ?
Oui. On explore énormément. C’est super chouette comme expérience, je ne pensais pas que ça allait être aussi intense. Je n’ai pas eu ce sentiment d’intensité émotionnelle, pour les EP. C’est peut-être cette différence entre écrire des articles et écrire un livre… J’écris une histoire, je cherche un peu plus de cohérence, une couleur plus forte, et affiner toujours plus la musique que l’on fait avec Adam. On est dans un moment hyper riche d’ouverture, on bosse avec plein de musiciens, des prods différents. Ça apporte plein de choses à la musique, ça nous chamboule, ça nous fait peur parfois. Il y a un travail sur l’ego à faire et sur nos peurs. La création artistique réveille énormément de failles et de blessures. Ce n’est pas toujours simple, mais c’est un chemin qui est génial. Là, on part en résidence en mai. Ensuite, on a une résidence du live à Angers, fin juin, pour préparer la tournée qui commence à l’automne. On fait une Boule noire à Paris le 28 septembre. Je suis hyper contente et en parallèle, je suis contente de ne pas avoir que ça. Je fais toujours un peu de stylisme, d’actions culturelles et j’ai à cœur de maintenir une sorte d’équilibre entre ces activités. Là, en ce moment on me caste pour du cinéma et je me dis pourquoi pas. Ma vie ressemble un peu à ça. J’ouvre plein de portes et selon l’humeur, je choisis le chemin dans lequel m’engouffrer, je fais des retours en arrière ou des bonds.