Révolutionnaire toujours vive ou image figée, que reste-t-il de Louise Michel ? Avec Notre Guerre Civile, Judith Perrignon livre un portrait riche et multiple de celle qui se faisait appeler « Enjolras », comme le personnage des Misérables de Victor Hugo.
Habituée des grands portraits qu’elle présente sur France Culture, il était logique que Judith Perrignon croise la route de Louise Michel après son livre sur Victor Hugo. Les deux étaient correspondant·es et se sont rencontrés. Loin des fantasmes ou du roman national, Notre guerre civile s’intéresse a une matière très concrète ; des lettres, des rapports de police, des compte rendus de procès… L’autrice livre un triple portrait : celui de Louise Michel, bien sûr, mais aussi le portrait d’une langue, et enfin le portrait d’une recherche.
Récit composite
Chacun sait, ou se figure, comment fonctionne la recherche historique. Le travail d’historien consisterait à recouper différentes sources pour s’approcher le plus possible de la vérité des éléments. Le geste fondamental de Judith Perrignon est de ne pas invisibiliser ce travail. Notre guerre civile est un récit polyphonique, où s’entremêlent différents régimes de parole, pour essayer de fabriquer une image de Louise Michel. De l’intimité des lettres qu’elle envoyait à Victor Hugo, à la froideur bureaucratique des notes de police à son sujet, en passant par les articles de presse ; on se déplace de style en style au fil du livre.
Judith Perrignon opère ainsi un geste de sensibilité marxiste, en mettant en lumière le travail, et sa propre présence au milieu de tous ces textes. Elle refuse de faire croire à un récit unilatéral, et de laisser développer l’impression illusoire de lire une voix neutre, qui serait la voix de l’Histoire. Elle opère ainsi un choix puissant et démocratique, en laissant s’exprimer les différentes sources mais aussi en mettant l’autrice à égalité avec son lectorat.
Un compagnonnage
La présence ténue de Judith Perrignon dans le récit est remarquable. À plusieurs reprises elle fait part de ses réactions face aux différentes sources, notamment policières, ou de ses difficultés à les trouver étant donnée leur disparité. Elle reconnaîtra le fait de n’être pas historienne, et d’entreprendre un rapport parfois plus sensible qu’académique avec certains documents. Bien loin d’orienter la lecture, cette présence crée un lien d’égalité avec le·a lecteur·ice face aux textes, en partageant la sensation initiale que procure la découverte des documents. Perrignon s’assume et revendique sa sensibilité et ses orientations, elle ne prétend pas avoir un rapport neutre à ce qu’elle rapporte. Cette position, rare dans la recherche, joue beaucoup dans la clarté du récit.
Elle nous invite par ailleurs à explorer nous-même cette histoire, plutôt que de nous en livrer une version définitive. Cette honnêteté et cette humilité rendent légère la présence de l’autrice dans les pages ; plutôt qu’un guide professoral, un compagnon avec qui on chemine.
Loin des tombeaux
Le livre évoque, et déplore, le fait qu’après sa mort Louise Michel ait été figée en statue, par le même pouvoir qu’elle a combattu toute sa vie. Autrefois sujet vif et insaisissable – même par ses allié·es – elle est aujourd’hui une station de métro, et la Commune de Paris un lointain sujet qu’on ne commémore pas. Aussi le choix formel de Judith Perrignon prend le contrepoint de cette histoire qui neutralise la contestation en figeant ou évacuant ses figures. En faisant un récit composite, polyphonique, elle ne fige pas Louise Michel, elle la met au contraire en mouvement.
Plutôt que d’en délimiter les contours et d’en faire une biographie univoque, elle donne à voir tout ce qu’a été Louise Michel ; communarde, pétroleuse, ennemi public n°1, célébrité, institutrice, amie de Victor Hugo, amatrice de chats… Notre guerre civile redonne chair à cette figure en en faisant le sujet fuyant du livre, qui ne sera jamais tout à fait ressaisi. Cette forme est politique ; en choisissant de ne pas fixer, de ne pas conserver, de ne pas cataloguer, mais plutôt de rendre compte de l’instabilité comme symptôme de vitalité, Perrignon rend un hommage cohérent à Louise Michel. Un texte qui continue d’habiter son lecteur longtemps après l’avoir fini, et qui continue de travailler en souterrain.
Notre guerre civile, de Judith Perrignon, éditions Grasset, 20€. Le travail de Judith Perrignon sur Louise Michel est également à retrouver en podcast : Grande traversée : Louise Michel, femme tempête, de Judith Perrignon, sur France Culture.