SEMAINE DE LA CRITIQUE – Deux frères, un amour, le tout scellé dans la douleur d’une séparation toujours repoussée. Nos Cérémonies est le premier long métrage de Simon Rieth. Et il a déjà la beauté inquiétante d’un crépuscule sans fin.
Courir plus vite, grimper plus haut, désirer plus fort, aimer mieux ; la relation fraternelle qui lie Tony (Simon Baur) à son frère cadet, Noé (Raymond Baur), est ordonnée par un impératif : être le meilleur. Mais voilà qu’un après-midi d’été, l’élan excède les limites imposées par le cadre – aussi bien familial que cinématographique – et Tony chute du haut de la falaise pour s’écraser quelques dizaines de mètres plus bas, sur les rochers. L’aîné entraîne dans sa chute l’amour d’un frère a la gueule d’ange – mise en valeur par les plans resserrés de Simon Rieth. « Reste avec moi », épelle difficilement Noé au chevet du corps de son frère. Trois mots qui sonnent comme une incantation, scellés par un baiser qui fait revenir à la vie le gamin.
La passion selon Simon
Nos Cérémonies trace ainsi une voie singulière – à mi-chemin entre récit mythique et portrait sociologique d’une jeunesse pleinement contemporaine. Les trente premières minutes du film impressionnent par leur maîtrise et leur sensualité. Après l’accident tragique, les deux frères sont contraints de déménager et de quitter leur Royan natale. Le film les retrouve une douzaine d’années plus tard, à l’occasion de la mort d’un père resté à quai. L’occasion pour Tony et Noé de renouer avec leur passé – notamment avec Cassandre, ancienne amoureuse de l’aîné. L’occasion pour Simon Rieth de cerner, non sans une certaine grâce, la circulation entre les corps d’un amour fraternel inconditionnel.
Cette circulation passe avant tout par les corps, que l’image de Simon Rieth et de sa cheffe op’ Marine Atlan, sculptent avec un plaisir non dissimulé. Sous la chaleur brûlante d’un soleil omniprésent, les torses secs de nos deux frères s’exhibent quasiment à chaque plan. Dans l’espace fictionnel ouvert par la chute originelle, Noé et Tony sont peut-être des demi-dieux. De toute façon, ils ne sont ni tout à fait morts, ni tout à fait vivants non plus. Et il n’est pas étonnant que la grâce affleure lorsque les deux héros exécutent une chorégraphie sportive sur le front de mer.
Une grâce qui tient aussi du plaisir qu’a le jeune réalisateur à jouer avec les textures. Du sang fraternel à la pierre sacrificielle une scission s’opère entre matière minérale et matière organique. Elle trouve sa résolution dans un plan final étonnant où les deux matières se réconcilient enfin. Mais la texture est avant tout celle des couleurs vives qui animent le cadre. Rouge sang, jaune soleil, bleu mer, Simon Rieth est aussi un peintre. En témoigne ce plan qui voit Cassandre et Noé échanger quelques gestes de tendresse à l’issue d’une soirée. Alors que le cadre se resserre lentement, le grain s’épaissit et les contours se brouillent. Le rouge et le jaune des vestes de jeunes amants et le vert de la végétation demeurent ; aplats d’une composition qui tend vers l’impressionnisme.
Excès de longueur
Il y a cependant dans ce premier long métrage certaines longueurs inévitables. Après l’accident initial, l’acte sacrificiel doit être répété dès que les deux jeunes hommes s’éloignent. Il devient acte de foi. Simon Rieth comme ses personnages croient en les pouvoirs du cinéma de réparer ceux qui restent. Mais cette répétition coïncide aussi avec celle d’un scénario qui ne parvient pas à résoudre toutes les pistes lancées par son ouverture. Nos Cérémonies est en effet riche de tout un imaginaire fantastique qui irradie ses plans d’une lumière profonde. Mais il finit aussi par imploser sous la pression d’une ramification fantastique encore trop vaste pour son créateur.
Il n’en reste pas moins que Nos Cérémonies marque la naissance d’un véritable artisan du cinéma façonnant chacun de ses plans d’un fer parfois encore un peu trop chaud pour ses doigts agiles. A suivre donc.