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LE FILM CULTE : « Les Glaneurs et la Glaneuse » – Portrait de patates

une patate en forme de coeur
© Ciné Tamaris

Chaque mois, un·e rédacteur·ice vous propose de revenir sur un film qu’iel considère comme culte. Classique panthéonisé ou obscure pépite disparue des circuits traditionnels de diffusion, le film culte est avant tout un film charnière dans le parcours cinéphile de chacun·e. Ce mois-ci, retour sur Les Glaneurs et la glaneuse.

Dans Les Glaneurs et la glaneuse, Agnès Varda met en avant le petit monde du glanage dans une société de consommation en plein essor. Elle dresse un portrait personnel et intime, rempli d’autoréflexion.

Cela fait déjà 4 ans qu’Agnès Varda nous a quitté·es, laissant derrière elle une filmographie aussi complète que variée. Avec ses documentaires, elle nous a fait découvrir la France sous toutes ses coutures. Parmi eux, un film sort du lot : Les glaneurs et la glaneuse. Signant son retour après le deuil de Jacques Demy, mort en 1990, et les films hommages qu’elle lui a dédié, ce documentaire sur le glanage sert autant à informer le public qu’à faire un point sur sa propre existence.

Le glanage et la société

82 minutes, c’est la durée du film tournée en numérique. 16, c’est le nombre de départements dans lequel s’est rendue Varda avec sa petite caméra. C’est un véritable tour de France en camion dans lequel nous nous retrouvons, une quête du témoignage et de la preuve en image. Car c’est bien cela que nous chassons, l’image de l’échec d’un système créant des ­« déchets », des produits impropres à la consommation ou dépassés selon des diktats idiots. Et le point fort, dans la démarche de Varda, c’est qu’elle organise toute cette réflexion en partant d’une question simple : qu’est devenu le glanage, ce droit vieux de 500 ans ?

des glaneurs dans un champ de patates
© Ciné-Tamaris

Le glanage est le ramassage légal, par un individu, de tout produit restant dans un champ ou toute exploitation agricole, sur terre comme en mer, après le passage de l’agriculteur. C’est une pratique qui était encore très répandue au siècle dernier (demandez à vos grands-parents) mais qui semble lentement s’éteindre. Varda va chercher les derniers glaneurs « classiques », qui vont dans les champs, et nous montre que le glanage connaît une évolution qui le sort des bocages. Varda peint donc le portrait de jeunes qui récupèrent les surplus jetés par les centres commerciaux, les artistes qui créent de l’art dans les déchets, ou encore des gens qui récupèrent des meubles et leur enlève le statut de « déchet ».

Le glanage devient alors un art stigmatisé, repoussé par une société qui, paradoxalement, lui donne les moyens de perdurer. Le film devient alors un porte-voix qui encourage à continuer cet art.

La touche Varda

On l’a dit, Les Glaneurs et la glaneuse est une grande critique cachée derrière une organisation minutieuse et calculée. Cette organisation se fait à travers plusieurs éléments assez typiques de notre réalisatrice préférée. Tout d’abord, une touche d’humour léger, qui se caractérise par des moments de mise en abyme, ou la présence d’un huissier dans les choux. Des blagues, des calembours, des situations étonnantes, tout le répertoire de Varda tel qu’on le trouvait déjà à l’époque de ses premiers documentaires, dans les années 50. Un style qui dégage une véritable fraîcheur dans le monde du documentaire. La quantité d’informations que l’on reçoit se trouve absorbée, digérée sans que l’on s’en rende compte.

La touche Varda, c’est donc l’assurance d’un visionnage sans difficulté. Toute la complexité de l’œuvre s’efface et se transforme alors en un divertissement joyeux. Ce n’est que plus tard, à la fin du film, que l’on comprend tous les enjeux amenés par la question du glanage. Et ce n’est qu’après, encore, que l’on découvre une nouvelle couche de lecture du film.

La glaneuse face à son art

Agnès Varda nous présente le glanage et participe elle-même à cette activité en récupérant des pommes de terre. Qu’est ce que le glanage selon elle ? La récupération de légumes, d’objets qui n’intéressent pas les autres. Cette définition, elle se l’approprie à un autre niveau. Le glanage, c’est aussi son art, à Varda. Elle part en quête de patates mais aussi d’images d’une France urbaine aux racines rurales, une France qui se transforme et préfère gâcher que sauver.

Agnès Varda dans un champ de patates
© Ciné-Tamaris

Cette quête, elle la poursuit avec les outils les plus simples : une caméra numérique qu’elle tient à la main. Cet outil devient une extension d’elle même, une sorte de seconde mémoire. Ou bien peut-être qu’elle écrit elle même ses mémoires ? À 71 ans, après avoir vécu la mort de Demy, Varda se questionne sur sa propre vie. À de nombreuses occasions, elle met en avant son corps, surtout sa main, qui fait des ronds dans lesquels elle récupère les images des camions qu’elle dépasse sur la route. Car c’est cela qu’elle fait, elle récupère des images, elle glane des images. La glaneuse du titre prend tout son sens à cet instant précis : Varda est une glaneuse d’images, c’est ce qu’elle a toujours été. La dimension personnelle du film devient alors plus grande, plus évidente et renforce d’autant plus l’importance de cette réalisation pour Varda.

Presque 20 ans avant Varda par Agnès, 20 ans avant sa mort, Agnès Varda réalise un autoportrait revenant sur sa profession depuis déjà 50 ans. Le retour qu’elle fera sur sa filmographie prend alors forme lors d’un petit interlude dans lequel elle observe des cartes postales sur lesquelles figurent des peintures de Rembrandt : «  C’est toujours un autoportrait ».

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