LITTÉRATURE

« Le dialogue » – Eros et Thanatos

© éditions Allia
© éditions Allia

Après s’être intéressé au roman et la poésie, c’est à un nouveau genre que s’essaie Simon Johannin, à la croisée du théâtre et du dialogue philosophique. Une nouvelle exploration poétique des conflits de langage et de visions, entre étreinte et combat qui ne fait malheureusement pas mouche.

C’est in medias res que le dialogue commence, sans introduction préliminaire ou didascalie inaugurale. Seulement une parole donc, ou plutôt deux voix qui se répondent sans jamais s’écouter. Aucun nom ne sera donné non plus : on comprend rapidement qu’il y a un homme et une femme en présence. À part ce que se disent ces deux personnages, rien n’existe et n’a d’importance, mais ce qu’ils se disent est parfois tout aussi inconsistant. Si Nino dans la nuit (2019) co-écrit avec Capucine Johannin commençait par un dialogue sous forme d’uppercut que les lecteur·ices prenaient en plein visage, Le Dialogue n’a malheureusement pas cette solidité.

– Quand on est mort, on est pourri de vie.

– Les vers qui mangent les morts sont vivants, on leur laisse la place. Là où il y avait la vie en nous, il y a maintenant les vers qui vivent, et tout le cosmos qu’on avait dans le ventre se répand dans les airs, dans la terre et dans le ciel autour.

Simon Johannin, Le Dialogue

Hermé(neu)tique

La note d’intention des éditions Allia tient en quelques mots ambitieux et prometteurs : « dérouter un lectorat avide d’autre chose ». Cet autre chose est une promesse qu’à fait Simon Johannin dès son premier roman L’Été des charognes. Déroutants, ses livres le sont toujours, qu’ils mènent dans des campagnes pleines de cadavres ou au bout d’une nuit sans sommeil. Leur auteur se délecte des mots et ose même écrire de la poésie (Nous sommes maintenant nos êtres chers, La dernière saison du monde) à une époque où le genre se fait plus en plus rare. Pour ne pas dire qu’il est tombé en désuétude. Simon Johannin aime donc aller où on ne l’attend pas pour faire jaillir le nouveau.

– Je ne vois pas la lumière, mais je la sens.

– Tu brilles tout seul au milieu des ténèbres, tu es ta propre lumière.

– Je n’ai que le vide d’une île comme avenir.

Simon Johannin, Le dialogue

Pourtant, Le dialogue déçoit par trop d’hermétisme. Certains passages tiennent leur pari d’images inattendues et intrigantes, mais le reste se perd en symbolisme et mièvreries. Si en 1885 Théophile Gautier ouvrait la voie à une vision de l’Art pour l’Art, un art totalement autotélique, Simon Johannin proclame lui dans ce recueil la Parole pour la Parole. Les deux personnages en présence (est-ce des allégories ? un rendez-vous ? une rencontre ?) dialoguent sans but, sans contexte. Seule leur Parole existe et fait exister la suite du livre. Et le fil de la lecture est régulièrement perdue : qui parle de quoi ? L’intention de dérouter est là, on le devine, mais elle agace un peu par trop d’évidence. On souhaiterait dire à la suite des parleurs : « et alors ? »

Le dialogue de Simon Johannin, éditions Allia, 80 p., 7€

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