CINÉMA

« Hokusai » – Peinture sous censure

© Hokusai movie

Edo, XVIIIème siècle. Dans un pays soumis à un régime politique autoritaire, un jeune dessinateur tente de s’affranchir des conventions et de la censure imposées sur la production artistique. Sorti au Japon en 2020, Hokusai est le dernier long-métrage en date du réalisateur japonais Hajime Hashimoto.

Retour en 1785 à Edo, actuelle Tokyo. Le film s’ouvre sur le jeune Katsushika Hokusai traçant silencieusement les premiers traits d’une esquisse sur le sable. S’ensuit la destruction violente d’un atelier de peinture où la censure en vigueur sur les œuvres d’art n’a pas été respectée. Le ton est donné : il faut choisir. S’en tenir à ce que dicte la loi ou perdre sa liberté voire sa vie. Un choix que le dessinateur ne tient pas à faire et que le combat mènera à devenir celui qui est à l’origine de la célèbre Grande Vague de Kanagawa.

Surveillance permanente

Pinceaux, crayons, encres, papier, couleurs, tablettes de bois, outils de gravure et esquisses en tous genres. Le décor est planté. Hajime Hashimoto retranscrit généreusement l’univers de l’ukiyo-e, courant artistique majeur de l’ère Edo. Le jeune Hokusai évolue et se forme au milieu des estampes et aux côtés des grands maîtres. Son goût pour la libre expression de ce qu’il visualise et ressent lui apporte une certaine hostilité de la part de ses pairs et des autorités.

Loin d’effrayer le peintre, cette résistance renforce sa fougue et l’effervescence de sa création. Son art imprègne son être et chaque domaine de sa vie. À mesure qu’il avance, son processus de création met à contribution famille, amis et clients. Tantôt conciliant, tantôt alarmé par le danger auquel le peintre s’expose, cet entourage hétéroclite assiste à la rapide ascension d’Hokusai. D’élève, il devient maître. Pour incarner ce tempérament passionné, ce sont les acteurs Yûya Yagira – que le grand public avait pu découvrir dans Nobody Knows en 2004 – puis Min Tanaka qui s’adonnent à retranscrire ce qu’Hokusai dégage d’insaisissable. Avec brio.

Aux silences qui en disent long s’enchaînent des phrases dont chaque mot est réfléchi pour ne dire que l’essentiel. Aucun doute, l’artiste vit pour dessiner. Le climat politique est pourtant un frein important à sa création. La censure est rude et le traitement réservé à ceux qui la bravent est impitoyable. En témoigne la tension palpable qu’Hashimoto a su exprimer à travers certaines scènes à la brutalité criante. L’évolution se heurte parfois à la tradition. Cette tradition, le réalisateur en fait l’un des points d’ancrage de son film. Arts martiaux, rites funéraires et préparation des artistes avant l’étape de création : la mise en scène travaillée met à l’honneur la précision de chaque geste. Il y a là une admiration sincère du réalisateur pour ces coutumes ancestrales.

Hokusai
© 2020 Hokusai Movie

La liberté, combat d’une vie

Hokusai suit le peintre de ses débuts en tant que dessinateur jusqu’aux aux dernières années de sa vie. Du manque de reconnaissance à l’accomplissement indiscutable du peintre en tant que sensei respecté, le long-métrage se place en défenseur du combat qu’est l’impact de la pratique d’un art dans la sphère sociale. Le changement d’acteur et les longues séquences que le long-métrage propose sur la vie d’un Hokusai à l’âge avancé donnent d’ailleurs davantage d’ampleur au scénario.

À 20 ans comme à 70, le peintre le clame : il veut pouvoir dessiner ce qu’il veut, ce qu’il voit et ce qui lui fait plaisir. À ses yeux, c’est la clé de l’épanouissement de l’artiste. Cela vaut pour le dessin mais aussi pour toute autre forme d’art : l’écriture et la liberté d’expression par la plume occupent par exemple une place de choix dans le scénario. Chanceux sont les artistes qui combinent pratique librement choisie et appréciation réelle du public. La paix sociale, l’art conventionné, le déni de sa nature : Hokusai s’y refuse. Pour lui, c’est la perdition de l’artiste.

Hokusai
© 2020 Hokusai Movie

Entre poésie agitée et violence contenue

Pour le peintre, tout est prétexte à dessiner. Ici un bouquet de fleurs, là le souffle de la brise sur la mer, là encore une bourrasque de vent. Certes, ces éléments sont poétiques et nécessaires au vu des thématiques de prédilection d’Hokusai. Le résultat final reste bancal. Le scénario général est assez lent, parfois trop. Les longueurs se font d’autant plus ressentir que le long-métrage est relativement court par rapport à la moyenne de la production cinématographique actuelle (1h30 au compteur). Pourtant, Hokusai esquisse des choix prometteurs. Par exemple, le calme nécessaire à l’application des différents us et coutumes japonais rend certaines scènes élégantes. Idem pour le choix d’angles originaux qui créent des plans graphiques, presque géométriques.

Si elles sont cruciales pour saisir la tension et le danger omniprésents induits par un régime répressif, les scènes plus violentes se font rares. Après la mise à sac sanglante de l’atelier de peinture durant les premières minutes du film, l’on pouvait s’attendre à une suite du même acabit. Il n’en est rien. Ce n’est que dans l’une des dernières séquences que l’on retrouve cette agressivité crue, intense et déchaînée. Agressivité qui sied pourtant au déroulement de l’intrigue et dont Hashimoto semble maîtriser la mise en scène, y intégrant des références claires à d’autres productions japonaises et américaines. L’équilibre général de son long-métrage demeure fragile, frileux. À regret, car Hokusai affiche un potentiel scénaristique certain.

Hokusai
© 2020 Hokusai Movie

Retranscrire la vie de l’un des plus célèbres artistes japonais au cinéma, il fallait s’y atteler. Hashimoto s’y est essayé à travers ce biopic. Sa proposition est intéressante. Elle exprime l’influence positive et le sentiment de fierté qu’Hokusai laisse encore aujourd’hui au Japon et à travers le monde. Porté par un casting convaincant, le long-métrage aurait cependant gagné en profondeur si les thématiques mises en lumière avaient été plus affirmées, plus assumées. Une sensation d’inachevé qui n’empêchera cependant personne de se replonger à raison dans l’univers de cet artiste de l’ancien Tokyo dont le rayonnement a traversé siècles et frontières.

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