CINÉMA

CINÉ-CANAPÉ – MAI

Un homme et une femme appuyés à une barrière dans un champ
© Shellac

Tous les deuxièmes vendredis du mois, les rédacteur·ices de Maze vous proposent une sélection de films à voir (ou revoir) sur Mubi ou CINÉ+. Au programme de ce mois de mai  : Sara Gómez, Sophie Letourneur et Marie Amiguet.

De Cierta Manera, Sara Gómez (1977)

Les amateurs et amatrices d’Agnès Varda connaissent peut-être déjà Sara Gómez pour avoir dansé le cha-cha-cha à la fin de Salut les Cubains. Coup de chance : de même que le film de la Française, sont disponibles actuellement sur Mubi Iré a Santiago et De Cierta Manera, deux œuvres de l’audacieuse réalisatrice afro-cubaine, hélas décédée prématurément et trop peu reconnue de nos jours.

Iré a Santiago est un court-métrage documentaire réalisé en 1964, à l’époque où l’ICAIC produisait un grand nombre de films didactiques dans le contexte de la Révolution. Quinze minutes durant, avec inventivité, sensibilité et esprit, Sara Gòmez capture différents aspects de la ville de Santiago de Cuba  : sa population, son quotidien, ses coutumes, ses légendes et enfin son histoire riche en tragédies.

Dix ans plus tard, Sara Gómez réalise ce qui sera son dernier film : De Cierta Manera. Petit chef-d’œuvre qui amalgame documentaire et fiction. C’est le portrait d’un couple issu des classes populaires havanaises et de leurs difficultés. D’un côté, Mario, ouvrier, dont l’ami Humberto lui confie s’apprêter à se dérober au travail pendant quelques jours. De l’autre, Yolanda, enseignante, qui a fort à faire avec un enfant indiscipliné.

De Cierta Manera fait le récit de la difficile transition entre deux modes de vie pour ces populations. En effet, sous l’impulsion du régime castriste, celles-ci vivent désormais dans nouveaux lotissements, bien loin des bidonvilles et de la marge sociale que l’insalubrité instaure. Si le cadre de vie s’améliore, l’intégration sociale se montre compliquée. Les habitudes ancestrales, profondément enracinées, restent, se concrétisant par exemple dans le machisme de Mario et ses amis, ou encore chez cette mère qui éduque son enfant à l’aide de ses poings. Face à ces phénomènes, le désir d’émancipation de Yolanda s’affirme de plus en plus, poussant Mario à la remise en question.

De Cierta Manera est un film plein de vie, très libre et inventif. Le recours à des acteurs non professionnels jouant leur propre rôle, à de très beaux fragments documentaires ainsi qu’aux flashbacks, à la voix off et à l’interview permet une exploration fine et pertinente des zones d’ombre de la Révolution.

À voir (ou revoir) sur Mubi.

Matthieu Miséré

La Panthère des neiges, Marie Amiguet et Vincent Munier (2021)

Loin des standards des documentaires animaliers (parfois trop) classiques, La Panthère des neiges est un voyage physique et intérieur en plein cœur des hauts plateaux du Tibet. Terre silencieuse et reculée, cette zone géographique abrite une espèce en voie de disparition : une panthère blanche aux rares apparitions.

Sous l’œil vif et ajusté de la réalisatrice Marie Amiguet, Vincent Munier (photographe animalier) et Sylvain Tesson (explorateur et écrivain) se lancent à la recherche du noble animal. Auprès de Munier, habitué à de telles expériences, Tesson apprend l’attente et l’incertitude permanente que demande l’affût. Ils ne cherchent pas à apprivoiser la panthère mais bien leurs regrets grandissants à mesure qu’elle ne se montre pas.

Ode à la vie animale et au respect de la biodiversité, ce documentaire aux plans gracieux met en scène la panthère comme un personnage principal derrière lequel s’effacent les deux aventuriers. En y intégrant également le quotidien d’une famille tibétaine, Marie Amiguet livre une perspective complète d’une vie ordinaire dans cet espace méconnu. Ici, pas de course effrénée contre le temps qui passe. C’est une vie au rythme des saisons, ce sont des rires, des joies simples et un équilibre trouvé avec la nature environnante. Sans oublier un animal mystérieux rôdant dans les environs et se jouant de quiconque tient à l’apercevoir.

Lauréat du César du meilleur film documentaire en 2022, La Panthère des neiges est un souffle d’air frais pour le genre. Mention spéciale à la musique composée par Nick Cave et Warren Ellis pour l’occasion, répétant tel un mantra l’idée majeure véhiculée par le film : « We are not alone… »

A voir (ou revoir) sur CINÉ+.

Aude Cuilhé

Gaby Baby Doll, Sophie Letourneur (2014)

Comme tous les films de Sophie Letourneur, Gaby Baby Doll semble difficile à résumer, tant il est peu narratif. Mais on retrouve en son cœur un dispositif qui traverse toute l’œuvre de la cinéaste : la mise en confrontation d’un personnage, principe de mouvement, et d’un autre, principe d’inertie.

Ici, Gaby, interprétée par Lolita Chammah, est laissée dans une maison à la campagne par son petit ami, alors qu’elle ne supporte pas la solitude. Elle rencontre Nicolas (Benjamin Biolay), qui, lui, vit en ermite dans une cabane et ne demande qu’à être seul.

Avec un pitch qui peut sembler éculé, la rencontre de « deux personnages que tout oppose », Letourneur signe au contraire un conte d’une grande personnalité. Doté d’un charme irrésistible, le film achève de convaincre par sa drôlerie et son sens aigu du burlesque ordinaire. Le puissant esprit de légèreté Letournerien s’exprime ici plus que jamais, ce qui fait de Gaby Baby Doll une excellente porte d’entrée à son cinéma. Une comédie romantique unique en son genre, à la discrète mais indéniable intelligence, mais dont émane surtout une joie qui demeure longtemps après la projection.

A voir (ou revoir) sur Mubi.

Enzo Hanart

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