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CANNES 2023 – « Simple comme Sylvain » : Trop beau pour être vrai

© FredGervais

UN CERTAIN REGARD – Après La Femme de mon frère en 2019, Monia Chokri faisait cette année son retour sur la Croisette avec Simple comme Sylvain. Un troisième long métrage dont la réussite tient à une écriture fine et précise doublée d’un casting inspiré.

Une professeure de philosophie, Sophia (Magalie Lépine-Blondeau), en couple depuis dix ans avec Xavier (Francis-William Réhaume), tombe amoureuse du beau charpentier Sylvain (Pierre-Yves Cardinal), venu retaper leur maison secondaire des Laurentides. Une trame narrative éculée, bien soporifique pour qui aurait la prétention de demander autre chose à voir qu’une énième histoire d’amour adultère – mais passionnée ! – entre une grande bourgeoise désabusée et un humble, mais terriblement sexy, artisan.

Le bal des archétypes

Il ne fait aucun doute que c’est exactement l’effet recherché par Monia Chokri en amont du visionnage de son film. Toute l’ambition – et toute la réussite – de Simple comme Sylvain tient en effet au travail minutieux et acharné des archétypes du genre. D’abord, la famille et les ami·es de Sophia : des bourgeois·es bien engoncé·es dans la certitude de leur supériorité morale assurée par un capital culturel boursoufflé. Au cours de leurs dîners, on s’écharpe à coups de références philosophiques balancées un peu au hasard, on rit, l’air de rien, de la prétendue médiocrité de ceux qui ne comprennent pas ce name-droping qui sonne pourtant bien creux.

Au milieu cette effusion de bons mots et d’esprit, les femmes. L’une, Françoise (Monia Chokri), amie de longue date de Sophia, est débordée par les tâches domestiques. Simple comme Sylvain expose ce que la longue tradition du drame bourgeois et de la comédie romantique normalisait encore hier (et aujourd’hui). L’exploitation domestique et sexuelle des femmes devient un rouage aussi nécessaire à la fiction qu’au maintien de l’institution du couple hétérosexuel.

Aimer : mission impossible ?

À bien y regarder, Simple comme Sylvain propose une réflexion plus précise encore que ce que son titre international (The Nature of love) laisse paraître. Partant d’une réflexion métaphysique sur « la nature de l’amour », la mise en scène de Monia Chokri finit par interroger, de façon beaucoup plus concrète, les conditions de possibilité de l’amour hétérosexuel.

C’est en cet endroit que l’intelligence d’écriture de Monia Chokri, doublée par la générosité de sa mise en scène, prend toute son ampleur. Le coup de foudre initial entre Sophia et Sylvain rejoue avec un plaisir non dissimulé tous les codes de l’évidence amoureuse. L’amour transcende tout, même les différences de sexe et de classe. Le désir déborde et unit les corps de Sylvain et Sophia, partout, tout le temps.

Simple comme Sylvain s’épanouit alors dans le registre de la comédie, bien servie par une mise en scène qui suggère le plaisir pris par la réalisatrice à donner forme à son film. Fixes et bien ordonnés, les plans regorgent de petites idées de mise en scène bienvenues. Monia Chokri ne se refuse rien, jusqu’à monter trois plans sur le rythme de « Still loving you » de Scorpions.

L’amertume du déjà-vu

Mais à mesure que l’histoire d’amour progresse, sa pureté se trouve entachée par l’incursion inévitable de réalités matérielles. Sophia corrige la langue de Sylvain, Sylvain devient jaloux et se lance dans quelque discours légèrement xénophobe. La famille, puis les ami·es de Sophia ont du mal à cacher leur mépris pour la « simplicité » de l’amant de leur proche. Incapables de communiquer, ces sphères restent hétérogènes, produisant une grande violence l’une envers l’autre.

Alors, dans sa deuxième partie, celle du délitement des liens que les protagonistes se juraient pourtant éternels, le film perd un peu de son rythme-plaisir initial. Les archétypes virent légèrement premier degré à mesure que la passion cède le pas à la routine, ainsi qu’aux hésitations et errements des amant·es – Sophia en tête.

Restent tout de même de drôles (et jouissives) images, comme celle de Xavier, misérablement endormi sur le tapis au pied du lit conjugal, la nuit de sa rupture avec Sophia. Mais à mesure que la fin de cette comédie romantique revisitée approche, l’amertume contamine le rire initial. Une demande en mariage ratée, une triste scène de sexe – autrement appelée viol conjugal – entre les deux anciens partenaires. Et enfin, cette image finale. Comme autant d’éléments de réponse à la question suivante : l’amour existe-t-il vraiment en régime cis-hétérosexuel ? Ou relève-t-il uniquement des contes de fées ?

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