CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2023 – « Linda veut du poulet ! » : L’aile et la cuisse

Linda veut du poulet © Gebeka Films
Linda veut du poulet © Gebeka Films

ACID – Si la Compétition officielle continue de snober le cinéma d’animation, ce n’est pas le cas de l’ACID. Linda veut du poulet !, réalisé par Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, est un film magnifique à tous les niveaux, à soutenir bec et ongle.

Pendant que les caméras se tournaient vers Tim Cook, PDG d’Apple, qui montait les marches du Palais des Festivals pour présenter la prochaine production Apple TV+ réalisée par Martin Scorsese, un groupe d’irréductibles cinéastes indépendants, à quelques rues de là, organisait un événement aussi discret que mémorable. Linda veut du poulet !, était présenté dans la sélection de l’ACID.

Un jour de grève, Linda, réclame à sa mère du poulet aux poivrons, que cette dernière s’engage à trouver et à préparer tant bien que mal. Faux petit film, aussi bouleversant qu’hilarant, c’est la pépite de ce festival. 

Less is more

« On a voulu faire un film simple, mais épais », dit Laudenbach à la fin de la projection. C’est le tour de magie délectable du film : il est aussi riche qu’il est clair. Le moteur narratif du long-métrage est élémentaire : il faut trouver du poulet quand les magasins sont fermés. Les cinéastes tiennent et travaillent ce tout petit enjeu pour que toute la fiction en découle. Si des personnages se greffent à l’histoire, avec d’autres trajectoires, ce sera toujours autour de cette obsession centrale : le poulet.

Le film dispose pendant sa première moitié quantité d’éléments qui prendront leur sens dans un dernier tiers de génie chaotique, où tout se dérègle et tourne à la catastrophe. Un grand nombre de foyers d’action s’activent en même temps, pour faire monter la situation toujours plus haut en drôlerie. Un minutieux travail d’horlogerie, qui semble pourtant toujours plus proche de l’intuition organique que de l’ingénierie. Ce burlesque désordonné permanent reste d’ailleurs d’une limpidité stupéfiante. 

C’est notamment grâce au choix d’attribuer une couleur nette à chaque personnage. Malta et Laudenbach produisent une image richement colorée et contrastée. Le style d’animation laisse apparaître ses traits. Il amène cette imperfection et cette diversité du mouvement qui rendent le film fascinant. 

Sous-bassement naturaliste

Chiara Malta, après le film, évoque ironiquement sa carrière de documentariste. Pourtant, il y a dans Linda veut du Poulet ! une véritable justesse documentaire. Avant de dessiner, les cinéastes ont fait jouer de vrais enfants, en situation, avec des accessoires en mousse et des éléments de décors. Iels ont laissé les enfants interagir, avec quelques directions. Alors iels se sont nourris de leurs échanges réels, de la manière dont leurs corps se mouvaient, pour écrire le dialogue et dessiner les personnages.

Cette méthode témoigne d’un rapport à l’animation original. Plutôt que de voir cet art comme l’endroit où l’on peut tout fabriquer et contrôler, c’est au contraire, là où l’on obtient toute latitude pour rendre compte de la diversité imprévisible de la vie. Tout en se permettant d’être un endroit rêveur et anachronique, le film montre une attention à la réalité des corps et du parler contemporain qui est jubilatoire. Cela permet aussi d’avoir une galerie de personnages très rapidement caractérisés et consistants. Il suffit de quelques répliques et de la position de leur corps pour qu’ils évoquent avec justesse des figures du réel.

Ainsi parlait Linda

Cette comédie charrie des thèmes graves. La révolte sociale, et surtout la mort du père de Linda, dont le poulet aux poivrons était la recette phare. Ce sérieux traverse le film, sans être neutralisé, mais est transformé par l’affect qui semble guider toute cette œuvre : la joie. Le film, jusqu’à sa fin, est un plaidoyer presque nietzschéen pour l’esprit de légèreté. Avec une puissance candide toute enfantine, le film traverse la mélancolie et la brutalité et les fait jouer dans des séquences stupéfiantes. Notamment ce trajet nocturne en voiture, qui est un des (nombreux) moments où le film atteint des sommets de grâce et de puissance évocatrice. 

En sous-terrain de la quête du poulet, le film mène aussi une opération politique. Se terminant dans une agora entre des barres d’immeubles, le film joue habilement sur le double sens du mot « cité ». La cité, comme manière d’agencer des bâtiments, bien sûr. Mais aussi, la cité comme chose politique. Chacun des personnages se retrouve en cet endroit mené par des désirs et affects différents. En toute discrétion, Linda veut du Poulet ! montre un tissu social qui se recompose. Non par la conciliation, mais au contraire riche de toutes les conflictualités qui le traverse. Le groupe ne s’organise pas en dépit des intérêts contradictoires de celleux qui le compose, mais grâce aux collisions qui naissent inévitablement de ces oppositions. 

L’air de rien, en 1h15, Linda veut du Poulet ! se révèle être une très grande œuvre comique, esthétique et politique, tout en restant très accessible. C’est une prouesse, et l’un des films à retenir absolument de cette sélection de l’ACID, et de ce Festival de Cannes. 

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