UN CERTAIN REGARD – Après Les combattants, Thomas Cailley signe son retour avec Le règne animal, sélectionné à Cannes. Le grand retour du film fantastique français, avec le vibrant Paul Kirscher, aux côtés de Romain Duris.
Le Règne animal se déroule dans un monde où l’espèce humaine mute progressivement en animaux. François, dont la femme a vécu cette étrange mutation, est traumatisé par le départ de celle-ci dans un centre pour « monstres ». Avec son fils, Émile, il déménage au milieu de la forêt dans le Sud de la France. Alors que sa femme s’est échappée, François traine son fils dans les profondeurs de la forêt, qui subit progressivement le même sort mystérieux que sa mère.
Misère bestiale
Dans Les combattants, Thomas Cailley explorait déjà l’animalité des êtres humains, avec une Adèle Haenel qui mangeait des poissons crus et explorait la forêt hostile. Ici, le réalisateur pousse la thématique vers le fantastique. Et si les hommes devenaient vraiment des bêtes ? Une réelle proposition qui explore justement les comportements sociaux en cas de mutation, de « différences » généralisées. À partir de quand la différence devient-elle danger ? Pourquoi ? Quand devient-elle la nouvelle norme ? Et c’est le jeune Paul Kirscher, qui, à fleur de peau, subit progressivement cette transformation.
Le film, par le biais du fantastique, traite de nombreuses problématiques. Un jeune qui ne peut accepter son nouveau corps, car on lui a appris à en avoir peur. La persécution et la déshumanisation le guette de près. Alors il se cache, coupe ses griffes naissantes, se camoufle dans les ombres de la forêt. Le film dénonce avec justesse la xénophobie presque immédiate d’une société confrontée à un changement soudain, certains sont immédiatement ciblés, persécutés.
Pourtant, le film va dévoiler aux spectateurs la beauté de ces bêtes-humaines, de cette nouvelle espèce, et vient en contrepoint prouver qu’une telle réaction sociétale n’est pas nécessaire, ni acceptable. Par son ancrage dans les relations de ce père et son fils, et par le développement des relations d’Émile, Le Règne animal place les personnes atteintes de la mutation non pas comme les « monstres », mais comme les victimes d’une société xénophobe et violente.
Qui plus est, le long-métrage est majoritairement tourné dans la forêt, un environnement déjà peuplé d’animaux. Même si celle-ci est interdite, elle reste éclairée par la présence des deux personnages principaux, qui l’explorent avec légèreté. Il y a une grande beauté dans leur acceptation totale et presque anodine de cette mutation, car elle est motivée par un amour inconditionnel. Un amour sain, un amour qui montre l’exemple. L‘idée d’un homme hybride est un coup de génie car il rend finalement beaucoup d’humanité à ces bêtes. Elle témoigne d’une union inévitable entre l’homme et son environnement naturel, même si celui-ci tente de s’y opposer. La nature règne.
Brume mystique
Voici donc un film fantastique français, chose assez rare, d’autant plus quand celui-ci ne cherche pas à ressembler à d’autres, quand justement il trouve une vraie identité. Le Règne animal est précieux, les maquillages et effets spéciaux sont surprenants et presque choquants dans leur réalisme. Il est aussi très graphique, avec plusieurs plans de plaies ouvertes et d’auto-mutilations, sans pour autant verser dans le fantasque du fantastique. Il tient son propos jusqu’aux inserts sur les sutures du bras d’Émile. Ces bêtes ne sont pas mystique mais réelles, elles saignent, se coupent, se blessent. Finalement, elles sont belles et bien humaines. Le graphisme n’est pas gratuit et sert à accentuer la vulnérabilité et la misère dans laquelle se trouvent les personnages.
Le Règne animal tient un bon rythme, qui agence avec justesse la psychologie des personnages et le contexte fantastique dans lequel le film est placé. Paul Kirscher, par son charme maladroit et par son angoisse transcendante, fait vibrer la salle. On retrouve également Romain Duris, Adèle Exarchopoulos et Tom Mercier, en homme-oiseau qui n’arrive pas à déployer ses ailes et broie le cœur du spectateur. Le Règne animal affirme très justement sa place au Festival de Cannes. Il règnera en salle le 4 octobre. On le lui souhaite !