CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2023 – « Jeunesse (Le Printemps) » : Joies décousues

JEUNESSE (LE PRINTEMPS) © Gladys Glover - House on fire - CS Production - ARTE France Cinema - Les Films Fauves - Volya Films
JEUNESSE (LE PRINTEMPS) © Gladys Glover - House on fire - CS Production - ARTE France Cinema - Les Films Fauves - Volya Films

SÉLECTION OFFICIELLE – COMPÉTITION – Documentaire très attendu, Jeunesse (Le Printemps) est l’un des deux films de Wang Bing projetés à Cannes cette année. Une œuvre à la fois humble et vaste, dans des ateliers de confection textile chinois.

Quelques heures avant l’arrivée de l’aventurier octogénaire Harrison Ford sur les marches, un documentaire en compétition cette année à Cannes, fait rare, a été projeté, devant une salle aux sentiments… mitigés. Nombreux·ses ont été les spectateur·ices à quitter la séance en cours de route. Il faut dire qu’il s’agit d’un gros morceau ; 3h30 de documentaire, sans voix off ni balises. Mais celleux qui sont resté·es jusqu’à la fin l’ont applaudi chaudement, et pour cause, Jeunesse (Le Printemps) est une œuvre généreuse pour peu que l’on accepte de la suivre. 

Intense immersion

Pendant cinq ans, Wang Bing a filmé de jeunes ouvrier·ères dans la ville dédiée à la confection textile, Zhili. A l’arrivée, un documentaire d’une dizaine d’heure dont Jeunesse (Le Printemps) n’est que le premier volet. L’entrée dans le film est brutale. A part quelques éléments sur les individus à l’image, leur nom, âge et province d’origine, le cinéaste laisse rapidement la parole à ses images. Hormis quelques séquences, c’est un huis-clos, au plus proche des ouvriers. Eux-mêmes habitent dans des dortoirs, au dessus des ateliers où ils travaillent en sous-sol. 

Ni la situation, ni le sujet de leurs conversations ne sont toujours très clair. Il peut-être tentant de décrocher, ou de quitter la salle. Mais le film se révèle à la longue. Découvrir de l’intérieur ces usines, dont chacun connait l’existence, et fantasme une image plus ou moins sordide, est une expérience déroutante. Là intervient la puissance documentaire. Sans calquer un point de vue ou une opinion sur cet environnement, Wang Bing, attentif, laisse émerger la réalité. Comme l’indique le titre, il s’intéresse aux jeunes. Le cœur du film est la vie de ces corps, et la manière dont s’exprime leur jeunesse dans ces conditions singulières.

Roulez jeunesses

La méthode Wang Bing, qui s’est installé dans la région et a fréquenté les ateliers pendants des années, permet à la caméra d’intégrer très discrètement les environnements. La distance rétrécie entre le cinéaste et ses sujets permet de réduire la perturbation du milieu créée par la caméra. Aussi, ce sont des jeunes que l’on découvre parfois joyeux, parfois dragueurs, taquins ou carrément bagarreurs. Le contraste entre ces humeurs (post-)adolescentes en lesquelles chacun·e peut se reconnaître, et l’environnement de l’usine et de ce quartier entièrement tourné vers la confection textile donne toute sa puissance au film.

La caméra capte l’extraordinaire habileté et vitesse de ces corps au travail, par ailleurs si maladroits pour se séduire ou s’étreindre. Le cadrage toujours précis, direct, et attentif à toutes les situations fait que se déploient des images d’une beauté saisissantes, telles que seul le réel peut en produire. Cette séquence de premier rencard, où les jeunes gens se tiennent de part et d’autre du cadre, parlant à distance et n’osant s’approcher, restera mémorable.

Virages négociés

Au milieu de ces marivaudages, séquence de discorde. Il faut re-négocier les rémunérations avec le patron. Les ouvriers sont payés à la pièce confectionnée, tous les six mois. L’enjeux du prix est donc décisif. Cette question survient comme un cheveux sur la soupe dans le film. Si certains ont pu être dérangés par cette irruption, c’est pourtant une exigence du réel. Cette question centrale occupant beaucoup les employé·es et parasitant leurs autres préoccupations, jaillit tel quelle sur l’écran. Portrait de l’emprise difficile du salariat ; beaucoup d’employé·es sont lassé·es de prendre part à ces longs échanges. Portrait également d’emprise patriarcale, ce sont majoritairement des femmes qui prennent en charge la question quand les hommes désertent.

Jeunesse (Le Printemps) est un documentaire difficile et exigeant, mais une expérience de cinéma riche et singulière. Le film transforme pendant sa généreuse durée le rapport au temps, et vient neutraliser en douceur le désir de fiction de son public. Art strictement cinématographique, de captation et de montage ; il a pour lui la force de l’épure, malgré ses proportions spectaculaires. 

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