CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2023 – « Club Zero » : Nos chairs proscrites

Club Zero © Coproduction Office / Fred Ambroisine
Club Zero © Coproduction Office / Fred Ambroisine

SÉLECTION OFFICIELLE – COMPÉTITIONL’Autrichienne Jessica Hausner a ouvert la deuxième semaine de festival avec son très acide Club Zero. Quelque part entre Black Mirror et Yórgos Lànthimos, cette fable cruelle est un peu trop maîtrisée pour son bien.

Dans une école privée britannique, une nutritionniste (Mia Wasikowska) ouvre un atelier d’ « alimentation consciente ». Ayant d’abord des propositions somme toute raisonnables, les réelles ambitions de Miss Novak pour ses élèves s’annoncent rapidement comme nettement plus radicales. Le film propose une étude du pouvoir de ce gourou, de son emprise sur les jeunes, et de l’opposition ou non de leur entourage.

Les nouveaux hygiénistes

Moins insidieux que son film précédent Little Joe, Hausner met les deux pieds dans l’étrange dès les premières minutes de son nouvel opus. Avec sa représentation d’un groupe d’élèves qui épouse la doctrine new-age de plus en plus radicale d’une nutritionniste voulant les empêcher de manger en invoquant des arguments mi-écologiques, mi-évangéliques, certain·es ont pu voir dans Club Zero une critique bête du « wokisme ». Pourtant, l’opération de Hausner est autrement plus subtile.

Sa mise en scène se présente très frontalement. Intérieurs froids et minimalistes, que ce soit au lycée ou dans les domiciles des élèves, avec des cadrages très composés. Une sorte de Wes Anderson à la froideur d’outre-Rhin. Tout, dans la représentation de ces environnements, de l’architecture hygiéniste des maisons des parents fortunés, avec murs blancs et grandes baies vitrées, raconte un goût très situé socialement. C’est la haine bourgeoise de la chair et du vivant qui s’affiche ici.

Avec finesse et sans autre outil que sa caméra, Hausner, plutôt que de se moquer de ces élèves embrigadés, démontre la manière dont tout, dans leur milieu, les a déterminés à être séduits par cette proposition de jeûne éternel. Elle nous montre que la pulsion hygiéniste et purificatrice existe déjà dans ces corps élancés, et que Miss Novak n’a qu’a venir les cueillir. 

Dommages bavardages

Un des élèves, qui a rejoint le groupe de Miss Novak pour améliorer sa moyenne, peine au début à se convertir tout à fait aux préceptes du Club Zero. Un plan fixe, frontal, de lui à table chez sa mère, situe très rapidement sa différence. Après avoir vu des intérieurs immenses, à l’inspiration très californienne chez ses camarades de classe, le plan sur Ben fait contraste. Devant lui, une nappe jaune en plastique. Derrière, une commode en bois, remplie de jeux de sociétés mal rangés. Au fond, un papier peint jaunissant. Dans son assiette, des tranches de rôti et de la betterave. 

Ce plan est une réussite. Il situe immédiatement le personnage de Ben comme appartenant a une classe sociale inférieure, densifiant ainsi ses enjeux. En tant que prolétaire, il a moins sa place dans cette école privée que les autres. Il doit être d’autant plus zélé dans ses tentatives d’intégration. Mécaniquement, il devient un client encore plus vulnérable aux folies de Miss Novak. Le groupe d’élèves fortunés, sûrs d’eux, devient une nouvelle unité productrice de norme. Hausner rend toutes ces dynamiques claires avec son cadrage et son montage.

Alors, il est dommage qu’immédiatement après ce plan qui dit déjà tout, le personnage de Ben ait avec sa mère une conversation qui explicite de manière très laborieuse tous ces enjeux. C’est l’un des défauts principaux du film. Souvent, les personnages auront tendance à expliquer verbalement des idées ou enjeux sur lesquels la mise en scène était déjà limpide. Cela a le double effet d’alourdir l’écriture comme les images. La mise en scène de Hausner est en général beaucoup plus claire que ne semblent le penser ses dialogues. 

Je ne sais qu’une chose, c’est que je sais tout

Club Zero porte une idée intéressante sur la foi. Ces théories sur le jeûne d’inspiration new-age très contemporaines, ne seraient qu’une variation moderne d’un dolorisme chrétien vieux comme Judas. Hélas, c’est une symbolique très lourde et explicite qui charrie cette idée.

Pour une fiction qui voudrait dénoncer les mécanismes de la foi aveugle, le film est paradoxalement très figé dans ses positions. Il a beaucoup d’idées, mais peu de réflexions et s’avère très cérébral. Très sûr de lui, il est regrettable qu’il ne laisse pas émerger dans ses cadres très définis un peu plus de trouble ou de doute. Sa mise en scène en vient presque à exclure la chair et la vie au même titre que les personnages qu’elle dénonce.

Beaucoup ont comparé le film a du Östlund. Mais qu’on l’aime ou non, il est indéniable que le Suédois verrouille moins son cinéma qu’Hausner dans ce film. Il ouvre souvent plus de questions qu’il n’assène d’idées. Ici, dans la projection presse de Club Zero, l’ambiance était plus ricanante qu’outrée. 

You may also like

More in CINÉMA