CINÉMA

« Billy Wilder, la perfection hollywoodienne » : un autrichien à Hollywood

Ariane (1957) © Billy Wilder Productions
Ariane (1957) © Billy Wilder Productions

Billy Wilder sera à l’honneur ce lundi 29 mai 2023 sur Arte. Comme il est de coutume sur la 7, il sera diffusé l’un de ses films, Ariane, avec Audrey Hepburn dans le rôle-titre, puis le documentaire Billy Wilder, la perfection hollywoodienne réalisé par Clara et Julia Kuperberg.

On pourrait voir en Claude Chavasse, ce détective privé parisien que l’on voit dans Ariane dont la spécialité est la traque des adultères, un reflet de Billy Wilder lui-même. Toujours un malicieux sourire aux lèvres, le personnage interprété par Maurice Chevalier se plaît à débusquer les tromperies et autres mesquineries amoureuses en tout genre — pour peu qu’on lui donne un petit billet. Passionné par ces affaires, il conserve des centaines de dossiers consacrés à ses enquêtes. Pareilles à des encyclopédies, elles sont archivées par ordre alphabétique et il semble les connaître par cœur. De ce gagne-pain qui se situe entre l’intérêt et la passion, entre le voyeurisme et l’étude du comportement humain, il a fait un jeu dont il sort toujours gagnant. Pour lui, les affaires du cœur sont avant tout affaires de manipulation, de faux-semblants et de mensonges.

Un peu moins cynique, Billy Wilder s’est échiné toute sa carrière durant à faire tomber les masques, à débusquer les contradictions sociétales en déjouant les clichés pour mettre le doigt sur une forme de vérité humaine ; constats cruels qui se font toujours sans mépris ni misanthropie, mais plutôt avec tendresse et élégance.

A Touch of Lubitsch

Billy Wilder a commencé sa carrière à Hollywood comme scénariste, notamment pour Ernst Lubitsch. L’auteur de To be or not to be sera son maître à penser tout du long de sa carrière. En 1938, Wilder et son premier compagnon de travail, Charles Brackett, signent le scénario de La Huitième femme de Barbe-Bleue. Claudette Colbert y joue une aristocrate française qui s’éprend d’un milliardaire américain, joué par Gary Cooper, séducteur invétéré qui a déjà divorcé sept fois. Ce cliché du Don Juan capitaliste est repris dans Ariane, où la filiation est d’autant plus évidente que l’on y retrouve Coop’, 20 ans après le film de Lubitsch.

Ariane se déroule à Paris, ville où Wilder a fait une escale lors de son voyage entre Berlin et Los Angeles, et où s’est déjà partiellement joué Sabrina en 1954 et où se déroulera Irma la Douce en 1963. Ville romantique par excellence, Wilder bat en brèche ce cliché dès la séquence d’introduction : d’une énumération de diverses situations amoureuses ou affectueuses, allant des plus classiques aux plus folkloriques, on arrive au cœur du film.

Du haut de la colonne Vendôme, le détective Chavasse photographie la chambre 14 du Ritz. Dans celle-ci, le richissime Frank Flannagan reçoit une dame, dont le mari soupçonnait la relation extraconjugale. Ce dernier, apprenant la nouvelle, affirme vouloir tuer l’homme d’affaires le soir même. Mais la fille du détective privé, qui donne son titre français au film, a entendu la menace et se rend sur place pour empêcher son exécution. C’est ainsi que Audrey Hepburn s’éprendra de Gary Cooper en dépit de sa réputation de bourreau des cœurs, et de leur différence d’âge — une trentaine d’années.

On retrouve dans Ariane la subtilité de la mise en scène de Lubitsch déclinée chez Wilder : une élégante suggestion — on ne montre pas tout, il ne tient qu’au spectateur de saisir les sous-entendus et de deviner le hors-cadre — et un humour fin et raffiné. Les dialogues y sont pour beaucoup, mais ce sont aussi les situations de la deuxième partie du film qui prêtent au rire et à la réflexion que Wilder passe en sous-texte. En effet, lorsque la jeune Ariane, cultivant le mystère de son identité auprès du milliardaire à qui elle ne réserve que ses après-midis, se met à s’inventer avec une apparente spontanéité une vie amoureuse effrénée, c’est la débâcle pour le séducteur. La chambre où il loge devient le théâtre d’une nuit blanche baignée d’alcool et de musique tzigane causée par sa jalousie obsessionnelle, résultat d’un pauvre enregistrement audio qu’elle lui a laissé.

Mais pour Ariane, il s’agit moins d’un coup de balai dans les mœurs que d’une méthode de séduction — qui en dit néanmoins très long. Car à sa satire sociale, Ariane superpose des contes tels que Cendrillon — les deux séquences liées à la perte d’une chaussure qui ponctuent le film en sont une allusion évidente — en y ajoutant une pointe d’irrationnel dans les concours de circonstances qui guident le récit pour arriver au « happy »-end — et sa regrettable voix-off.

Ariane (1957) © Billy Wilder Productions

« - Thank you I. A. L. Diamond », « - Thank you Billy Wilder »

La carrière américaine de Wilder impressionne par son hétérogénéité. Alternant entre différents registres et différents genres, ce Juif autrichien qui a fui le nazisme s’est construit une solide réputation aussi bien pour ses films noirs que pour ses comédies. Scénariste de tous les films qu’il réalise — et produit à partir du Gouffre aux chimères en 1951 — il désire avoir un contrôle total sur ses films.

Pourtant, n’ayant pas pour langue maternelle l’anglais, il a ressenti le besoin d’avoir toujours un collaborateur pour l’épauler à l’écriture. On pourrait ainsi décomposer la carrière de Wilder en trois temps. D’abord, à la Paramount avec la collaboration, parfois houleuse, avec l’américain Brackett jusqu’au début des années 50 — excepté Assurance sur la mort en 1944, fruit de la douloureuse expérience avec l’auteur de romans noirs Raymond Chandler, comme le rappelle très bien le documentaire Billy Wilder, la perfection hollywoodienne. Cette collaboration s’achèvera par l’un des films que l’on cite le plus lorsque l’on parle de lui et d’Hollywood, Boulevard du Crépuscule en 1950.

S’ensuit, jusqu’en 1957, une période où aucune collaboration n’est reconduite, mais qui comporte certains des sommets de la carrière de Wilder. Le Gouffre aux chimères, sans doute son œuvre la plus sombre, met en scène le cynisme d’un journaliste avide de scoops et de sensationnel — il est à noter que Wilder a été reporter dans sa jeunesse européenne. En 1954, sort Sabrina, comédie romantique avec Humphrey Bogart, William Holden et Audrey Hepburn qui effectue pour l’occasion un premier crochet par Paris. C’est le dernier film du cinéaste pour la Paramount.

Puis vient Ariane, en 1957. Pour ce film, Wilder écrit avec I. A. L. Diamond dont il est difficile de ne pas parler lorsque l’on parle du premier. En effet, ils ne se quitteront presque plus et écriront la totalité des films de Wilder, en majorité des comédies, du culte Certains l’aiment chaud (1959) jusqu’à son ultime film, le très peu estimé Victor la Gaffe (1981). Les deux hommes s’entendent parfaitement. Ils travaillent avec régularité, assiduité et n’ont pas d’animosité réciproque. Le documentaire de Clara et Julia Kuperberg interroge le fils d’« Iz » Diamond, lequel livre quelques anecdotes qui témoignent bien de la symbiose dans laquelle ils exercèrent.

Pour La Garçonnière, sommet de leur collaboration, ils remportent l’Oscar du meilleur scénario en 1961. Il s’agit de l’histoire de Jack Lemmon, en modeste employé d’une compagnie d’assurance, qui pour obtenir ses promotions prête régulièrement et gracieusement son appartement à ses supérieurs hiérarchiques afin qu’ils puissent y voir leurs maîtresses. Exemplaire de l’équilibre dans lequel cohabitent les registres comiques et dramatiques chez Wilder, il s’agit probablement simultanément du plus drôle et du plus déchirant film de son auteur. Quant au monde du travail, il est montré de façon impitoyable : un milieu où pour exister, se valoriser et progresser, il est nécessaire de se compromettre.

La Garçonnière (1960) © United Artists

La mélancolie européenne

La filmographie de Wilder se compose de multiples allers-retours entre le Nouveau Monde et l’Ancien. Alors loin d’être achevée, il aborde la Seconde Guerre mondiale dès 1943 avec Les Cinq Secrets du Désert, où Erich von Stroheim incarne le général Rommel. Plus tard, dans Stalag 17, il filme l’affrontement, dans un camp de prisonniers militaires, entre William Holden et Otto Preminger — le réalisateur d’Autopsie d’un meurtre passant pour l’occasion devant la caméra.

En 1948, il retourne dans la capitale allemande détruite par les bombes, où il filme Marlene Dietrich dans La Scandaleuse de Berlin. Enfin, il y retournera au début des années 60, quelques heures avant la mise en place du Mur, pour Un, deux, trois, satire sur une tentative d’installation de Coca-Cola derrière le rideau de fer. En outre en 1945, lui, dont la mère et le beau-père ont été exécuté·es par les nazis, filme pour l’Armée américaine la découverte des camps de concentration dans le documentaire Death Mills.

À la fin de sa carrière, l’Europe prend dans son cinéma sa tournure la plus mélancolique, sinon amère. En 1970 en Angleterre, il réalise La Vie privée de Sherlock Holmes qui joue et déjoue des codes, clichés et légendes que l’on assimile au personnage d’Arthur Conan Doyle. Deux ans plus tard, dans Avanti !, il filme Jack Lemmon en voyage en Italie pour aller chercher la dépouille de son père. Le héros découvre à cette occasion que son paternel menait une double vie avec une autre femme, décédée elle aussi dans l’accident de voiture qui les a emporté·es tous les deux. Lemmon, homme d’affaires pressé et intéressé, tombe à son tour sous le charme de la fille de l’amante du défunt. La côte amalfitaine est l’occasion de tordre le cou aux clichés qu’ont les Américains sur le peuple italien, et bien sûr d’ironiser sur les années fascistes.

Enfin en 1978, il y a la Grèce de Fedora. Cette œuvre à rebours des canons de l’époque, s’inscrit dans le travail amorcé par Boulevard du Crépuscule sur la noirceur de l’industrie cinématographique américaine. On y suit l’histoire d’une nouvelle star déchue, qui s’est retirée sur une île grecque. Le personnage de William Holden part à sa recherche car il la veut dans le film qu’il s’apprête à produire. Recherches sur le cinéaste et sur les conditions de création du film à l’appui, Jonathan Coe a publié il y a deux ans aux Éditions Gallimard, le très joli roman Billy Wilder et moi. L’ouvrage relate l’histoire fictive d’une jeune interprète grecque nommée Calista sur le tournage du film. On croise dans ce tendre et déchirant tourbillon de nostalgie Wilder et Diamond, mais aussi Holden, Marthe Keller et même Al Pacino.

Billy Wilder, la perfection hollywoodienne, (Julia Kuperberg, Clara Kuperberg), diffusé le 29 mai 2023 sur Arte et disponible dès maintenant sur Arte.tv.

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