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Rencontre avec Uzi Freyja : « Je ne fais pas de différence entre le rap masculin et féminin »

© Magneto Club

Uzi Freyja est l’association de deux mondes. D’un côté, l’univers électronique et techno du producteur Stuntman5 et de l’autre, Kelly Rose et ses influences R’n’B/rap. Après un premier EP sorti en 2021, le groupe remet le couvert avec Lunacy, sorti fin 2022. Une claque et un vent frais sur le rap made in France.

L’agressivité des prods de Stuntman5 mise au service du franc-parler de Kelly Rose, c’est ça Uzi Freyja. Viscéralement rap mais aussi électro, le groupe ne veut pas se coller d’étiquette et trace son propre sillon. Signé au sein du label Warriorecords (Maud Geffray, Minuit Machine, Rebeka Warrior…), le groupe commence à se faire un nom et une réputation. Alors qu’ils viennent de gagner plusieurs prix et amorcent une tournée des festivals, Kelly et Stuntman5 ont répondu à nos questions, en toute transparence.

Pouvez-vous nous raconter votre rencontre et les débuts de votre collaboration ?

Stuntman5 : Totalement par hasard. C’était l’époque où Kelly habitait à Nantes. On s’est croisés dans la rue à un open mic. Je passais par là avec mes filles, Kelly a pris le micro et elle a impressionné tout le monde. J’ai pris son numéro de téléphone et on a commencé à travailler. Aussi simple que ça. Il a fallu s’entendre après, parce que la collab’ n’était pas évidente sur le papier ! Ça a mis quelques mois avant qu’on se dise : on va faire un truc.

Comment êtes-vous tombés d’accord musicalement ?

Kelly : Je pense pas qu’on a décidé de prendre un chemin, on a suivi la vibe. Il y avait deux bases : le rap et le style que pratique Stuntman, l’électro. On ne s’est pas dit qu’on allait faire de la drill, c’était plus comme un laboratoire. On a testé plein de trucs et on teste encore aujourd’hui. Il n’y a pas vraiment de ligne directrice. On a juste suivi le fait qu’on aime la musique.

Stuntman5 : Chaque morceau est un chemin. On ne s’est pas fixé une ligne directrice. Je pense qu’on travaille plutôt par aversion envers ce qui passe tout le temps à la radio. On a envie de faire un peu différemment du rap français qu’on entend beaucoup.

Vous vous mettez dans la case du rap français ?

Kelly : On habite en France, donc oui ! (rires) Mais je chante en anglais. Une artiste comme Romane, qui chante en anglais, on ne va pas dire c’est de la soul française ou de la soul anglaise, on dira que c’est de la soul. Pareil pour nous, c’est du rap, juste du rap. On est là pour kiffer et faire kiffer d’autres personnes. J’écris 90 % de mes textes en anglais parce que je me sens beaucoup plus à l’aise. J’adore ce côté où je peux tourner ça en dérision. Quand j’utilise certains mots en anglais, on dit que je suis trop badass alors qu’en français on me dirait « T’as vu comment elle est vulgaire ! ». C’est beaucoup plus pointé du doigt quand j’écris en français. Beaucoup de rappeuses, quand elles rappent en français, ont tendance à rapper avec une voix extrêmement grave pour être associées aux garçons. En anglais, j’ai l’impression de pouvoir beaucoup plus jouer avec les différentes cordes vocales que j’ai.

Qui revendiquez-vous comme inspirations ?

Stuntman5 : Il y en a beaucoup, j’aurais du mal à citer des noms. J’écoute assez peu de rap actuel, à part des prods qui me marquent, des producteurs comme JPEGMAFIA par exemple, j’aime bien son approche sonore. J’aimerais bien qu’on soit affilié à des gens comme ça. L’autre fois, je regardais mon bilan 2022 sur Spotify et en fait j’écoute assez peu de rap finalement. Surtout mes vieux machins de rock et d’électro, et de temps en temps j’ai comme une révélation sur un morceau de rap mais c’est assez ponctuel. Je trouve que la plupart du rap américain est de la musique d’habillement pour des défilé des mode ou pour faire du shopping. Je pense à Drake en particulier. C’est agréable à écouter mais ça ne m’emmène pas. Public Ennemy et Beastie Boys c’est les vieux qui m’ont marqué ! 

Kelly : J’écoute vraiment de tout, autant l’ancienne génération que la nouvelle, autant underground que des superstars. Avec les morceaux de Lil Kim j’ai envie de me bagarrer avec la Terre entière ! (rires) « Big Momma Thang » par exemple, c’est mon morceau. J’écoute l’album de Megan Thee Stallion pour voir ce qu’il se fait, Lola Brooke… Je ne fais pas de différence entre le rap masculin et féminin, c’est juste du rap. C’est aussi par phases. L’année dernière, j’étais à fond sur Kendrick, vraiment à fond. Je suis toujours à la recherche de musiques qui ont un sens au niveau du flow, de l’accompagnement, de l’énergie et surtout qui vont m’ambiancer. Pas juste mon corps mais aussi ma tête. Je ne connais pas beaucoup le rap anglais mais Little Simz c’est ma go sûre. Ivorian Doll j’aime beaucoup aussi. Ces deux femmes-là sont mes go sûres, elles sont super douées.

Votre deuxième EP est sorti fin 2022 et se place dans la parfaite lignée du premier, jusque dans la pochette. Ont-ils été composés en même temps ? Les vouliez-vous aussi proches esthétiquement ?

Kelly : Dans le label où on est, c’est la ligne de conduite d’avoir les mêmes pochettes. Mais si ça ne tenait qu’à nous, on aurait aimé avoir une pochette différente. Musicalement, le premier projet était comme une présentation de ce qu’on fait et comment. C’était une introduction. Le deuxième c’est plus une montée en puissance. Maintenant qu’on a montré ce qu’on fait, on veut montrer quelque chose de très différent mais qui continue sur la même ligne. Dans la prod, on est allés beaucoup plus loin. Les projets ont chacun leur traits de caractère, leurs force. C’est proche mais c’est très lointain aussi. En deux écoutes on peut sentir la passation.

Stuntman5 : Je suis sûr qu’en lecture aléatoire, les deux EP fonctionneraient très bien. 

Tu parlais du label Warriorecords. Comment les avez-vous rencontrés ?

Stuntman5 : Je connaissais déjà Julia [Rebeka Warrior] auparavant. Je pense qu’elle ne se souvenait plus de moi, elle voit tellement de monde (rires) ! La personne qui fait leur mastering est un ami commun, il m’a mis en relation. Il fallait juste que j’arrive à mettre notre musique entre ses oreilles, dès que ça a été fait elle a kiffé et c’était parti.

Le label a l’habitude de signer des artistes engagé·es. Vous vous êtes tout de suite reconnu·es dans la ligne éditoriale ? 

Kelly : J’aimerais bien revenir sur le terme « engagés ». On ne s’est pas définis comme engagés dès le début de notre musique. Je ne suis pas très fan qu’on catégorise ma musique de « féministe » parce que ça la catégorise très vite pour juste une cause, alors que je ne m’arrête pas là. Initialement, c’était surtout mes problèmes que je racontais. Au fur et à mesure que les gens l’écoutent, ils ont ce sentiment que je suis engagée, que j’ai envie de me battre contre la planète Terre alors que pas du tout, c’est juste un journal intime.

Quand le label est arrivé, ils nous ont parlé de trucs et honnêtement, je ne pensais même pas que c’était un label engagé. Je pensais que c’était un label engagé parce qu’il veut signer des personnes queer, qui ouvrent d’autres portes. On veut tous avoir des personnes qui nous ressemblent. Dans le style de musique qu’ils faisaient je ne voyais pas forcément d’engagement. J’aimais le fait qu’il y ait un panel de différentes choses et de différentes personnes surtout. Peut-être qu’on allait bien là-dedans, mais musicalement on est le mouton noir dans un troupeau. Ce qu’on fait est radicalement différent de ce qu’ils font.

Tu ne veux donc pas qu’on vous catégorise ?

Kelly : Je trouve que le mot engagé est un peu grand à mettre sur mes épaules et celles de Stuntman5. C’est très lourd. Ce n’est pas juste un terme qu’on dit, c’est plein de choses. Ma musique parle d’un problème qui touche beaucoup d’autres personnes. Quand on qualifie ma musique de féministe, je suis contente parce que ça veut dire que des femmes sont touchées mais je pense aussi à d’autres personnes exclues par ça. Je n’ai pas envie que ça s’arrête là. Je suis engagée mais tout le monde est engagé. Ma musique ne s’arrête pas à ça, elle est pour tout le monde. Le fait de la catégoriser me retire ça. Ma musique est pour tout le monde.

D’où vient votre nom ?

Kelly : Je vais laisser Stuntman répondre à ça parce qu’au début il voulait qu’on s’appelle Princesse Samsung (rires) !

Stuntman5 : C’est toujours compliqué de trouver un nom. Je voulais associer deux mots qui s’opposent, on a commencé à travailler sur des associations et on est arrivés là-dessus : le fusil et la mythologie nordique avec une princesse, Freyja. 

Kelly : J’aime beaucoup la mythologie et je trouvais que c’était super cool d’avoir la violence avec Uzi et une référence plus apaisée avec une déesse. C’est une force tranquille et je trouve que ça nous représentait super bien : entre Stuntman5, côté prod, qui tabasse nos oreilles et notre corps et moi, à qui on dit que je suis trop mignonne alors que je passe mon temps à insulter tout le monde sur scène (rires), ça nous représente plutôt bien !

Stuntman5 : Mais on s’est un peu compliqué la vie sur l’orthographe !

Vous avez une grosse tournée en cours et prévue, notamment cet été, avec des passages par de gros festivals : Dour, Vieilles Charrues… Avez-vous l’impression d’avoir franchi une étape dans votre parcours artistique ?

Stuntman5 : Oui, et en même temps il faut rester humble. C’est vrai qu’on commence à se faire une petite réputation en live mais quand on voit les chiffres du streaming et des vues, sur le digital c’est encore un peu timide. Je pense aussi que c’est une année importante pour nous. On veut passer une étape, on se donne les moyens de le faire. On a la chance d’avoir gagné quelques prix qui nous permettent d’avoir des moyens et de l’accompagnement avec les Francofolies, le FAIR et le Chorus. Ça permet de progresser, on commence à être bien entourés. Quelque part on est en train de se professionnaliser, je le vois comme ça. 

Kelly : On peut dire qu’on a « percé » au niveau du live, parce que c’est notre plus grande force mais on ne peut pas non plus se qualifier d’avoir percé parce que niveau digital on est un peu loin. C’est tout à fait normal parce que notre musique est un peu dure aux oreilles du « Français » moyen. On ne fait pas du mainstream donc ça va être compliqué, mais on a franchi plusieurs étapes. Tout se fait étapes par étapes. D’abord on s’est rencontrés, puis on a sorti un projet, on a signé dans un label en février 2021. On a eu la première année pour tester, pour montrer aux gens. Il faut garder la tête sur les épaules parce qu’on peut très bien se dire qu’on fait les Vieilles Charrues, Dour, mais le reste du travail est encore à faire. On a envie que les gens viennent nous voir en live mais aussi qu’il écoutent ce qu’on fait, dans leurs écouteurs.

Stuntman5 : Et puis les Vieilles Charrues on ne les a pas encore faites !

Travaillez-vous déjà sur un premier album ? 

Stuntman5 : Oui ! On commence à y réfléchir et on se lance doucement dedans. On a des éléments mais c’est encore un peu tôt pour se projeter. 

Si vous pouviez collaborer avec un·e artiste, qui ce serait ? 

Kelly : J’aimerais bien faire un truc avec une rappeuse ou un rappeur français·e. Juste un·e artiste français·e en fait ! Le Juiice par exemple, j’aime bien ce qu’elle fait, ou Davinhor. Ou même quelqu’un de plus décalé comme Kalika ou Yoa. En plus avec Yoa on a la même nationalité, donc c’est comme si on était sœurs ! Ce serait beau de voir nos deux univers se toucher je crois. Et aussi pourquoi pas un bon gros rappeur misogyne ! Pour pouvoir lui détruire sa prod (rires) ! Genre Niska, pour lui montrer que c’est moi qui ai la voix la plus grave. 

Stuntman5 : Je réfléchis mais je crois que je ne voudrais pas collaborer avec un producteur, plutôt avec un groupe de rock. J’ai joué dans des groupes de rock mais je suis un guitariste assez médiocre. J’aimerais bien avoir la possibilité de jouer avec un groupe qui joue hyper bien et qui jouerait une compo que j’ai faite, sur laquelle Kelly pourrait chanter pour faire un truc ultra percutant. Me servir de leur virtuosité pour rendre le truc vraiment bien. 

Kelly : C’est vrai qu’il y a des chansons que j’aimerais beaucoup faire avec de vrais instruments. On en avait parlé il y a super longtemps avec Stuntman, je voulais un morceau méga rock, qui va vraiment chercher le côté brut de la chose.

Tu parlais de Niska, ça t’aurait intéressée d’être dans Nouvelle École ?

Kelly : Non pas du tout ! Honnêtement, je ne crois pas que ma place aurait été là-bas. Je n’ai pas regardé la saison 1 en entier, ça m’a vite ennuyée. J’ai trouvé que ce n’était pas du tout constructif au niveau des commentaires, à part SCH de temps de temps. Il y a l’opportunité d’avoir une femme dans ce genre d’émission et ils ont pris Shay. C’est vrai qu’elle est super belle mais elle n’apportait rien de plus. Je sais que comme j’ai la langue bien pendue on m’aurait vite virée. En plus, je rappe en anglais et ils voulaient du français. Il n’y avait pas la possibilité de faire quelque chose qui sortait des clous. Je me serai vite perdue là-dedans je pense, littéralement, ça n’aurait pas été constructif pour moi. Mais s’il y avait la même chose avec beaucoup plus de libertés, pourquoi pas. Je pense que mon personnage, ma manière d’être leur auraient peut-être plu, mais moi ça ne m’aurait rien apporté.

Quel est votre dernier coup de cœur musical ?

Stuntman5 : L’album d’une chanteuse américaine, qui joue avec The Roots. C’est une musicienne, guitariste, qui a sorti un album solo, avec des cassures dans tous les sens : Sayagray. Son album c’est 19 Masters. C’est sorti assez discrètement mais c’est vachement bien. 

Kelly : Moi c’est quelque chose que j’ai découvert il y a super longtemps mais que je n’avais pas vraiment écouté, parce que j’aimais juste sa chanson « Slumber Party » avec Princess Nokia. C’est Ashnikko, je la kiffe de ouf. Elle est extrêmement talentueuse. J’adore le côté brut qu’elle a et j’aimerais qu’on puisse s’en inspirer aussi. Dans ses prods elle ose ! J’aimerais beaucoup la voir en concert un jour.

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