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Rencontre avec En Attendant Ana : « C’est un constat sur nous »

En Attendant Ana @Arno Muller

Trois ans après son dernier album, En Attendant Ana revient avec Principia. Un opus plus arrangé et pour la première fois entièrement maîtrisé par le groupe.

Né en 2015, le quintet de rock indie En Attendant Ana est composé de Margaux Bouchaudon (chant, guitare, claviers), Camille Fréchou (trompette, saxophone, chœurs, guitare), Maxence Tomasso (guitare), Adrien Pollin (batterie) et Vincent Hivert (basse). Principia, leur troisième album, est sorti le 24 février sur le label américain Trouble In Mind. C’est à bord de la péniche du Petit Bain que Maze a pu rencontrer le groupe, avant sa release party.

Qu’est-ce qu’il raconte, ce disque ? De votre vie et de votre travail ensemble, mais aussi en général ?

Margaux : Je dirais que c’est un constat sur nous, sur la place qu’on occupe dans la société, comment on essaie de s’en sortir. J’utilise ce mot « constat » parce qu’on n’a pas l’envie de revendiquer quoi que ce soit, ni d’avoir des thématiques très politiques ou sociales… on n’a pas envie d’avoir ce rôle-là. C’est vraiment plus l’idée d’un constat, sur ce qu’on est, où on va, comment et avec qui.

Et pourquoi ce nom d’album, Principia ?

Margaux : « Principia », c’est le nom du premier morceau de l’album qui a été un peu finalisé – même carrément finalisé, c’est un des premiers qu’on a enregistrés. À l’époque, j’essayais de trouver des choses rassurantes et tangibles pour moi, du coup je me suis intéressée à des écrits scientifiques… Et très vite, je suis tombée sur Principia. C’est le petit nom de l’essai de Newton dans lequel il théorise pour la première fois les lois de la gravitation. Ça sonnait bien, et ensuite on s’est rendu compte que ça correspondait à plein d’autres trucs, à pas mal des chemins qui ont été empruntés dans le disque. C’était une évidence.

C’est votre troisième album depuis 2017, avec Lost and Found puis Juillet en 2020… Qu’est-ce qui a changé depuis  ?

Camille : Déjà, on a pas mal changé de formation. Il y a des gens qui sont partis et qui ont été remplacés, mais chacun a amené quelque chose de différent.

Margaux : Oui, l’arrivée de Vincent à la basse – en tout cas pour ce disque-là – a changé pas mal de choses dans notre travail à cinq. Les rôles ont été redéfinis au moment de son arrivée ! J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec lui, on a mixé l’album tous les deux. Ce n’est pas une place que j’ai eue auparavant dans le groupe. Et puis on a commencé à travailler sur ce disque pendant le confinement, donc on a dû trouver d’autres techniques pour travailler ensemble, comme on n’avait pas la possibilité de se voir aussi souvent. Ça a modifié notre équilibre de groupe à ce moment-là.

Camille : On s’est pas mal posé la question de laisser plus de place à chaque instrument…

Margaux : Et même dans tes lignes, d’envisager un peu autre chose !

Camille : Je trouve que ça va ensemble, les lignes sont un peu différentes, un peu plus complexes. On a plus travaillé sur le fait de les laisser vivre seules.

Margaux : Sans que ça soit forcément mélangé aux voix, par exemple. C’est pensé plus séparément, pas juste quelque chose qui se rajoute par-dessus.

Adrien : Il y a au moins deux fois des instruments différents qui joueraient les mêmes notes en même temps, par exemple. C’est un peu plus séparé, plus polyphonique dans les arrangements.

Maxence : C’est un peu plus arrangé, tout simplement. Par rapport à notre précédent album, Juillet, qui était assez frontal – mais c’est ce qu’on voulait aussi à l’époque –, là on a vraiment voulu essayer de créer des espaces. Et on a eu le temps de faire des arrangements, aussi !

Par rapport à vos deux opus précédents, on a aussi l’impression que vous vous êtes assagis ou plutôt, que c’est un album plus apaisé ?

Maxence : C’est vrai qu’il y a beaucoup de gens qui disent qu’il est apaisé, mais moi je ne trouve pas spécialement. C’est pas parce qu’il est moins direct qu’il est forcément plus apaisé, notamment dans ce que les chansons veulent dire. Il y a de la colère dans cet album, et sur scène on envoie aussi de manière assez directe. Il est arrangé, plus qu’apaisé.

Il y a de la colère dans cet album.

Vincent : On les joue peut-être toujours avec l’énergie d’avant, mais les morceaux ne sont plus les mêmes. C’est dans ce sens-là qu’« apaisé » ne correspond pas vraiment.

Maxence : Voilà, c’est ça ! Maintenant on a trouvé des directions qui sont plus définies et qu’on assume plus, mais elles ne sont pas forcément aussi violentes et massives.

Vincent : Après, je peux voir le côté où c’est moins urgent que certains morceaux du disque d’avant. Du moins, ce n’est pas la même urgence. Par exemple, la chanson « The Fears, The Urge » dit quand même beaucoup de choses et n’est pas apaisée du tout… Même si d’un point de vue musical, c’est moins violent.

Est-ce que vous avez changé des choses dans vos habitudes, dans votre processus de création avec Principia ?

Adrien : Du début aux dernières phases d’enregistrement, on n’a pas fait de la composition avec tout le monde en même temps. Des groupes se sont organisés à trois instruments, guitare-basse-batterie au départ, et les bases de morceaux ont été écrites avec ces trois instruments-là. Après, on a pensé les arrangements et les instruments additionnels. Mais les morceaux étaient censés se tenir déjà avec trois instruments et les lignes de voix.

Margaux : Je ne trouve pas non plus que ça a été radicalement différent des autres fois, c’est juste qu’on a pris plus le temps à chaque étape de se poser la question. « Anita », c’est peut-être un morceau que vous avez pensé seulement guitare-basse vous deux, mais comme avant, ça partait de démos… De toute manière, il n’y a pas mille façons de fabriquer une chanson !

Vincent : Le tronc commun, c’est que les morceaux partent toujours des propositions de Margaux qui sont majoritairement des guitare-voix. C’est à partir de ça qu’on rajoute des choses, mais on s’en tient toujours à respecter son intention de base.

Maxence : Je pense qu’il y a eu des étapes de réflexion supplémentaires, qu’on n’avait pas forcément eues en enregistrant Juillet. On avait une contrainte de temps en l’enregistrant en une semaine, alors que là on a eu le temps de réfléchir vraiment les morceaux.

Et j’ai cru comprendre que vous avez plus fait les choses vous-mêmes…

Margaux : C’est vrai et faux… (rires) En fait, Vincent était notre ingé son avant, donc il a déjà travaillé sur l’album précédent, ça reste en famille. Maintenant il est dans le groupe, c’est la première fois dans En Attendant Ana qu’il est à toutes les étapes. Et moi aussi par extension, car je n’avais pas pu travailler avec lui sur l’album précédent. Donc oui, on l’a fait nous-mêmes, car au sein du groupe on a pu maîtriser toutes les étapes du début à la fin. Dans ces moments-là, tu peux imaginer quelque chose au début de la création d’un morceau et vraiment aller jusqu’au bout de l’idée. Et parfois ça va même faire naître d’autres idées ! C’est la première fois qu’on réussit à faire exactement ce qu’on voulait.

C’est la première fois qu’on réussit à faire exactement ce qu’on voulait.

Maxence : Et puis à le produire en fait ! Avec Vincent dans le groupe, on s’est un peu accaparé la production, enfin surtout Margaux et Vincent qui ont fait le mix aussi. Et ça, on ne l’avait même pas imaginé avant.

Margaux : Quand on bossait avec Vincent, je me suis revue au moment de recevoir les mix de Juillet. On n’avait pas d’idées particulières à donner, on avait quelques références… Là, je vois la différence entre l’idée de départ et comment on a réussi à le faire.

Au niveau des sonorités et de vos clips, on retrouve une ambiance rétro un peu années 90… Est-ce que c’est une période qui vous inspire ?

Maxence : Oh, il y avait quelques groupes dans les années 90… (rires) Moi, je ne le trouve pas si nineties que ça.

Vincent : On n’a pas eu beaucoup de références sur ce disque-là, ou alors très peu. Je n’arrive pas à me souvenir de m’être dit « Ah tiens, c’est un morceau qui pourrait être à la machin ! »

Margaux : On a plus eu ces réflexions pour des espèces d’ambiances globales, de directions de morceaux ou de structures… Mais je n’ai pas le souvenir qu’on se soit dit : « Là, il faut que ça sonne exactement comme ça. »

Adrien : On s’est un peu enthousiasmé quand on a entendu les premiers enregistrements. Ils n’étaient pas censés être définitifs, mais on s’est dit « Trop bien, ça fait ce son-là, continuons. » Et juste cet enthousiasme a fait qu’on ne s’est pas posé la question de savoir si on devait le rapprocher de quelque chose qu’on connaissait déjà ou pas.

Margaux : Et au moment du mix, on a essayé de respecter ces prises-là au maximum. On n’a pas changé drastiquement le son qui avait été donné aux moments des enregistrements.

Maxence : Il n’y a pas eu une volonté de maquiller les morceaux pour qu’ils aient une patine d’ambiance ou d’époque. On a essayé de garder un son plus naturel sur ce disque.

On a essayé de garder un son plus naturel sur ce disque.

Vous allez parcourir les États-Unis durant tout le mois de mai (23 concerts en un mois, de la Californie à la côte Est en passant par le Texas)… Ce n’est pas votre première tournée là-bas, mais ça a l’air assez fou et intense non ?

Margaux : Ça fait un peu peur, et en même temps j’ai tellement de bons souvenirs de la première tournée que j’ai vraiment hâte de rejouer là-bas ! C’est un peu impressionnant, d’autant qu’on chante en anglais. Ça me prend un peu la tête de me dire « On va dans leur pays, on chante dans leur langue, qu’est-ce qu’ils vont dire ? » Mais en fait on a toujours eu un public hyper cool – j’espère que ça va continuer…

Camille : Ils sont hyper bienveillants, ils restent jusqu’à la fin. Et ils viennent nous voir après !

Margaux : Ils viennent, quoi, c’est vraiment cool ! (rires) Non mais j’ai l’impression qu’ils ont, peut-être un petit peu plus qu’en France, la mesure de ce que c’est que de tourner. D’être un groupe en tournée, de ce que ça coûte vraiment financièrement. Parce que nous on part là-bas, mais on part à perte ! C’est un investissement.

Vincent : Il n’y a pas les SMAC, pas l’intermittence, pas toutes les structures d’aides de l’État… Les groupes sont plus précarisés et je pense que ça force le public à s’intéresser un peu à la condition d’« artiste maudit ». (rires)

Margaux : Du coup on a eu plein de moments comme ça, de gens qui venaient nous remercier d’avoir fait le déplacement, d’être venus jusqu’à chez eux, dans leur État qu’ils considèrent être le pire État… À chaque fois ils s’excusaient, Trump venait d’être élu et ils étaient tellement mal !

Maxence : Ils étaient là : « Désolé, on a super mal voté ! » (rires)

Camille : Je leur avais dit qu’on venait de Paris et ils nous avaient dit : « Mais qu’est-ce que vous faites là ? » (rires)

Margaux : En fait, ils sont hyper à l’écoute, très bienveillants comme je l’ai dit… Il y avait une atmosphère différente là-bas.

Qu’est-ce qui est différent dans une tournée aux US par rapport à une tournée en France ?

Maxence : Je ne suis pas encore parti en tournée avec En Attendant Ana aux États-Unis parce que je n’étais pas encore dans le groupe à l’époque, mais je pense que c’est des concerts très courts, avec pas ou peu de balances… Et je pense que ça va nous apprendre à être vachement tout-terrain en fait ! D’arriver, se brancher très rapidement et savoir faire un line check propre. Ça va être un super exercice ! Quand on va rentrer, je pense qu’on n’aura plus trop de questions à se poser.

Margaux : Avec des ingés son qui captent tout ce que tu veux faire, en plus ! Ça, c’est assez fou hein, parce que tu as des mecs qui comprennent assez vite la musique que tu joues, ça ne les effraie pas du tout – et ça joue hyper fort aussi.

Margaux : Après ça sera peut-être différent de la première fois, dans d’autres conditions… Parce qu’on avait quand même joué dans une pizzeria, et à la réunion du Parti socialiste de Philadelphie, ils étaient cinq, c’était trop bizarre ! (rires)

Depuis le début votre musique plaît aux États-Unis, pourquoi d’après vous ?

Margaux : Déjà on a un label américain, ça aide, quand même.

Maxence : Je pense que là-bas, ils ont encore une culture un peu comme en Angleterre. Quand on y était allés, je m’étais rendu compte de ça : quand on arrive dans des petites villes anglaises, on se dit que la « pop à guitare » est toujours à la mode en fait. Il y a beaucoup de disquaires par exemple, et je pense qu’aux États-Unis ils ont toujours cette culture.

Margaux : Et nous, on a essentiellement écouté de la musique anglo-saxonne ! On fait une musique qui colle un peu plus à leur culture.

Maxence : Je pense qu’il y a moins de différence vis-à-vis des guitares que par rapport à la France, où on est un pays plus majoritairement d’électro, de techno, etc. Et le public est super curieux et motivé !

Est-ce que ce pays vous inspire globalement, au-delà de la musique que vous pouvez écouter ?

Vincent : Alors c’est pas la nourriture, en l’occurrence… (rires)

Maxence : Ça dépend pour qui, parle pour toi !

Adrien : Le fait d’aller sur la côte ouest, c’est la première fois pour moi. On a été biberonnés à peu près aux mêmes références culturelles depuis les années 90, c’est quand même un peu un rêve de jeunesse qui se réalise. C’est un fantasme qui se présente et c’est trop cool !

Maxence : Je pense que malgré l’horreur absolue du quotidien de la majorité des Américains, la politique américaine et le soft power véhiculé, c’est un pays qui garde encore une contestation et une vraie contre-culture. Elle est hyper présente là-bas, elle l’a toujours été. Je trouve que cette contre-culture est proportionnellement aussi intéressante que le pays peut être horrible sur énormément de points.

Pour finir, comme l’été approche… Est-ce que vous êtes invité·es dans certains festivals ?

Margaux : En rentrant on a quelques dates oui ! On va jouer le 11 juin au festival Biches, et on part en Angleterre aussi. Mais après l’été, on va repartir plus longtemps en Angleterre, et puis on a quelques trucs assez chouettes à la rentrée…

Pochette de “Principia” – En Attendant Ana

En Attendant Ana sera en concert le 14 avril à Évreux (Le Kubb), le 21 avril à Ris-Orangis (Le Plan), le 10 juin à La Roche-sur-Yon (Quai M), le 22 juin à Laval (au 6PAR4) et le 7 juillet à Strasbourg (La Grenze).

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