Toutes les deux semaines, les rédacteur·ices de Maze vous proposent un tour d’horizon des albums et EP qui ont fait l’actualité musicale.
Nick Waterhouse – The Fooler
Nick Waterhouse s’en fiche totalement de ce qui se fait en ce moment, et ça fait du bien. En pèlerin d’un temps passé, Waterhouse résume son voyage spirituel comme s’il était « all[é] voir le maître de kung-fu sur la montagne ». Son voyage se compose de sons blues, de garage, de soul et de ballades : classique mais inclassable, la musique de Waterhouse reconfigure et renouvelle tous ces genres, et compose un paysage sonore spacieux, réverbéré, profond.
The Fooler est le sixième album de ce Californien à l’élégance intemporelle depuis Time’s All Gone paru en 2012 et largement passé inaperçu, qui a connu depuis un succès mondial. C’est un adieu à son existence passée dans une ville qui relève autant du rêve que de la réalité et que du potentiel – d’où le titre de l’album, The Fooler (Celui qui dupe, ndlr), indice que le musicien cherche avec cet album à exprimer une perspective narrative en perpétuel changement. Il explique : « J’ai vécu toute ma vie à San Francisco, et une grande partie de cette ville a changé, s’est dissipée et a été nivelée par (…) l’argent. En plusieurs années, c’était comme si quelqu’un avait coupé l’oxygène là-bas. (…) Une grande partie de ce que je voulais dans la vie était là. J’ai dû digérer beaucoup de ces choses au fil des ans. »
Sortie le 1er avril.
Coups de cœur : Was It You, Hide And Seek, It Was The Style
Milena Ill
Boygenius – The Record
Trio féminin, Boygenius est le groupe d’indie folk qui fait actuellement parler de lui à Los Angeles comme à Paris. The Record, leur premier album studio, est une belle introduction à un univers nostalgique et familial. Pas besoin d’être un connaisseur du folk rock pour se lover dans le cocon musical de ces trois artistes qui réchauffe l’âme et le cœur.
The Record est le genre d’albums qu’on mettrait volontiers en lecture aléatoire pour passer une réconfortante soirée cocooning. A l’écoute d’Anti-Curse, l’on s’imagine déjà cheveux au vent dans un cabriolet made in USA parcourant les Grandes Plaines. The Record respire l’été, la jeunesse et l’aventure : « Take a break, make your escape », pouvons-nous relever dans « $20 » où l’on croit reconnaître par moments la voix de Lana del Rey. Boygenius ne se démarque pas par des titres particulièrement novateurs – puisant dans un imaginaire musical déjà bien implanté sur la scène US – mais c’est dans l’énergie chaleureuse du groupe que l’auditeur désorienté trouvera refuge.
Sortie le 31 mars.
Coups de cœur : Anti-Curse, Not Strong Enough, $20
Marion Bauer
Annabel Lee – Drift
Sa voix attrape tellement les oreilles qu’il semble logique à la première rencontre auditive de penser qu’Annabel Lee, c’est elle toute seule. Mais non, la voix d’Audrey est bien accompagnée de la basse de Vankou et de la batterie d’Hugo.
Ensemble, les trois Belges forment un groupe que sans doute beaucoup de bébés rockeurs aujourd’hui trentenaires auraient voulu monter au lycée. Sur ce troisième album, ça tape dur, ça gratte fort, ça fait du bruit tout en sachant parfois nous plonger dans la mélancolie de mélodies plus douces. Le tout avec un son qui semble parfois enregistré au fond d’un garage qui servirait de salle de répétition. On est pourtant très loin d’avoir affaire à des amateurs. Son chaos électrique, ses imperfections apparentes, Annabel Lee les maîtrise parfaitement.
Avec sa musique teintée par la peinture mate des années 1990, le trio convoque les sons et les images de l’adolescence (notamment celles venues des États-Unis), sans surjouer la nostalgie, pour raconter leurs questions et leurs tourments d’aujourd’hui.
Sortie le 24 mars.
Coups de cœur : Dinosaur, Go Go Gadget, High Anxiety
Kevin Dufrêche
JUL – Album gratuit, vol.7
« Mode rage activé », annonce d’emblée l’ovni dans son titre d’ouverture « Keyzer Söze ». Beaucoup de temps s’est écoulé depuis que le rappeur iconique marseillais a sorti ses premiers albums en 2014. Avec ce septième album gratuit, Jul revient plus fort que jamais avec des titres qui en imposent …
Qui a brisé le cœur de Jul ? Cet album a un goût amer, et le rappeur lui-même ne cache pas ses déceptions qu’il dévoile au grand jour. Jul, que l’on affublait jusque-là d’une étiquette de gentil rappeur en proie à un idéalisme exacerbé, montre désormais les crocs et passe définitivement au cran supérieur. Le travail se fait ressentir : les punchlines fusent, le débit de parole est éminemment maîtrisé, les instrus sont recherchées et engageantes … La rancœur de Jul face à ceux qui l’ont trahi se fait ressentir jusque dans le timbre de sa voix qui se fait plus rauque et offensive.
Il n’est pas risqué de dire que nous tenons là le meilleur album du J – un album à la tonalité sombre qui penche discrètement du côté de l’univers d’un autre rappeur marseillais tout aussi célèbre, SCH, dont l’univers menaçant et tortueux est ouvertement assumé. Ce dernier album est l’occasion de redécouvrir Jul sous un nouveau jour, loin de cette image médiatique et stéréotypée qui lui colle à peau.
Sortie le 20 mars.
Coups de cœur : Keyzer Söze, Ounanana, Monstro, Kusher kush, Messes basses, Scar et Mufasa, Ca va chérie ça va
Marion Bauer
Altin Gün – Aşk
Après deux albums consécutifs aux influences disco pop orientales des années 80 (Yol et Âlem), le sextet d’Amsterdam revient à leurs prémices folk-rock anatolien et psychédéliques des seventies. Connus pour leurs concerts endiablés, le groupe a décidé avec Aşk de transmettre cette énergie sur album. Enregistré d’une façon retro et plus pur avec un enregistrement en direct sur bandes, nous ne pouvons que constater un résultat fabuleux où nous traversons cette épopée cosmique et sonore délicieuse qui fera danser les chanceux qui iront voir le groupe sur scène. Nous y découvrons aucune composition originale mais seulement des reprises de chants traditionnels et autres artistes folkloriques turcs qui voyagent à travers les âges. Ces compositions sont retranscrites ici avec une force vivante et dansante à travers les versions pop psychédélique des musiciens d’Altin Gün.
Sortie le 31 mars 2023.
Coups de cœur : Badi Sabah Olmadan, Leylim Ley, Dere Geliyor, Rakiya Su Katamam.
Thomas Soulet
Lana Del Rey – Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd
Lana Del Rey craint de tomber dans l’oubli, tourne une page sur sa carrière et c’est ce que son tout nouvel album paru seulement 1 an et demi après les deux derniers de 2021 semble démontrer.
Intitulé Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd, cet album est sans doute l’un des plus profonds projets artistiques de l’artiste à la voix rock et lyrique. Cet opus est en quelques mots la messe des feux de l’amour, un mélange d’états d’âme, une pause spirituelle d’une heure et dix-sept minutes.
Plus que quelques sons, ce nouveau projet est surtout une manière pour l’ex grande star à une époque adulée, de chercher un nouveau but à sa vie, à son existence. Avec humilité, Lana évoque sa peur du temps qui passe, de la mort, du vide. C’est le champ lexical de cet album construit différemment des autres, où Lana abandonne l’orchestre symphonique pour laisser son âme prendre pleinement place.
Dans « Kintsugi », l’une des plus belles chansons de ce projet, l’artiste offre une magistrale mélodie où son obsession de briller nous emmène dans des hauteurs perçantes, où l’interprète de « Video Games », chante la nostalgie de sa gloire passée. Cet album nous offre quelque chose de l’ordre du sacré, et Lana Del Rey a le don en y mêlant divinement bien le prêche du pasteur Judah Smith, de proposer un album humain et bouleversant, qui tire les larmes et qui nous aide à entreprendre, à aimer notre existence, aussi simple soit elle.
Sortie le 24 mars.
Coups de cœur : The Grants, Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd, A&W, Kintsugi, Judah Smith Interlude, Let The Light In
Stanley Torvic
Meule – Beau Red
Dans la ligné de leur premier EP éponyme sorti en 2021, Meule signe Beau Red, un OVNI garage électronique pulsatile aux allures de Kraftwerk dédoublé d’un King Gizzard and the Lizard Wizard. Avec les 6 titres qui composent ce nouvel EP, le groupe hébergé par Figures Libres Records et Luik Record, s’ancre encore davantage dans un mix aussi surprenant qu’insaisissable de krautrock et de garage rock.
La guitare et les batteries se dressent face à un mur de synthés modulaires pour créer des boucles hypnotiques dominée par des grooves répétitifs et saturés, offrant ainsi une envolée électro-psyché-rock lancinante. En s’exprimant uniquement sur des plages longues, le groupe s’affranchit définitivement du format pop pour se dégager un terrain vague d’expérimentation à la croisée des genres.
Tantôt douce, souvent sauvage, la musique de Meule dresse un portrait acrimonieux du devenir de l’humanité. À bord du train « No Couchette », le voyage rythmé est par les grooves répétitifs et saturés. Appelant à la transe collective par un affranchissement des codes traditionnels, ce nouvel EP marque une année 2023 prometteuse pour Meule.
Sortie le 21 avril 2023.
Coups de cœur : No couchettes part 1 et Beau Red part 2
Romane Fragne