Après deux court-métrages introductifs, Andrés Ramírez Pulido dévoile son premier long-métrage, L’Eden, Grand Prix de la 61e Semaine de la Critique. Plongée dans le purgatoire d’un groupe de jeunes qui purgent leur peine au fin fond de la forêt colombienne.
Une prison expérimentale à ciel ouvert, au milieu de nulle part. C’est là qu’on envoie un groupe de mineurs coupables de crimes. Ils sont surveillés par deux hommes aux antipodes : Godoy, geôlier agressif, et Alvaro, sorte d’éducateur plein d’espoir qui leur fait suivre une thérapie. Ils passent leurs journées à réhabiliter une hacienda (exploitation agricole) abandonnée, sous la chaleur brûlante du soleil colombien.
Dans ce groupe, il y a Eliú. Un jeune homme timide, coupable d’un meurtre qu’il tente d’oublier. Mais son passé finira par le rattraper quand El Mono, son complice, sera à son tour transféré dans le centre, pour qu’ils répondent tous deux de leurs actes.
Très ancré dans la réalité, c’est directement dans la province colombienne qu’Andrés Ramírez Pulido est allé chercher ses acteurs non-professionnels, en casting sauvage. C’est ainsi qu’il a rencontré Jhojan Estiven Jimenez qui incarne Eliú avec une sensibilité et une intensité remarquables. Et c’est par des rencontres avec des jeunes, lors d’ateliers de cinéma qu’il animait, que la question du rapport à la figure paternelle s’est imposée à lui. Mais en parallèle de ce réalisme, L’Eden parvient à créer, par le son et l’image, une nouvelle dimension fantastique, mystérieuse et parfois inquiétante, qui révèle la violence et les traumatismes cachés d’Eliú.
Réhabiliter la hacienda, se réhabiliter soi-même
Dans L’Eden, les corps suent, les corps transpirent et essayent, dans un ultime effort, de refaire vivre ce lieu à l’abandon. Avec ses colonnes inspirées de la Renaissance, sa piscine et sa nature abondante qui se mêle à l’architecture exubérante, la hacienda pourrait ressembler à un coin de paradis. Pourtant c’est loin de l’être : ce n’est plus qu’une ruine, comme ces jeunes dont la vie a été détruite par leurs crimes. Et l’image, avec ses couleurs ternes et sa faible saturation, est comme un voile de pessimisme qui décolore ce qui à l’œil nu pourrait sembler être plein de couleur.
Il n’y a plus de vie dans cet endroit, et malgré les travaux éprouvants des jeunes incarcérés, nous n’en voyons jamais la fin. Le paradis pourrait être, il est une possibilité sous leurs mains, mais rien n’y fait, ils ne l’atteindront pas. Du moins, pas de cette façon-là.
C’est seulement quand Eliù parvient à s’enfuir du centre que les couleurs reviennent. Il se retrouve au milieu d’une soirée organisée par son jeune frère qui, à l’opposé, vit sa vie pleinement avec insouciance. Le cadre est inondé de lumières, néons et à la place du silence de la forêt, une musique assourdissante. Mais il y a trop de couleurs, trop de vie, autour du jeune homme qui a été amputé d’une partie de la sienne à jamais. Il ne le supporte pas, et s’en va.
Dans ce centre, les jeunes hommes ont déposé tous leurs crimes, leurs vices, sur des formulaires qu’on leur demande de remplir. Comme dans un purgatoire, ils se mettent à nu et attendent le jugement final.

Le père absent est partout
Bien que le père d’Eliú ne soit jamais montré, la figure paternelle est omniprésente dans le film. Il y a d’abord le père autoritaire que l’on craint, symbolisé par le geôlier qui n’hésite pas à être violent. Puis il y a l’éducateur Alvaro, le père plein de regrets qui ne veut pas qu’on répète ses erreurs. Il croit en la thérapie pour faire changer ces jeunes hommes. Mais lorsqu’on le déçoit, il devient soudainement cet homme violent, confronté à ses propres échecs.
Le père, c’est également la question de la masculinité, de la virilité. Elle émane de toutes parts : de la jungle sauvage, des torses nus, des travaux physiques. Ces garçons déjà hommes, sont eux-mêmes enfermés dedans. Et pourtant, lorsqu’ils évoquent leur mère, une sensibilité étonnante s’empare d’eux. On comprend que la vengeance, la haine qui bouillonne en chacun, est liée à l’héritage du père. Voilà ce qu’il leur laisse : la violence.
Eliú, quant à lui, en a fait l’expérience directe, car son père a abusé de lui. Il le portera à jamais sur sa peau, et le seul moyen de l’effacer est qu’il le tue. Mais c’est un crime absurde qui lui coûtera la liberté. Par erreur, ce n’est pas son père, mais un autre à qui il enlève la vie. Et lorsqu’il part chercher le cadavre accompagné de la famille en deuil, le corps a disparu. C’est comme si le destin l’empêchait de venir à bout de son traumatisme. Ou qu’il cherchait à lui dire que ce n’est pas par la destruction qu’il y parviendra.
À la fin, le jeune homme nous regarde droit dans les yeux, avec un regard troublant. On ne saurait dire s’il aspire à la vengeance ou à la reconstruction. Va t-il s’en sortir ? Peut-on se défaire un jour du traumatisme ? La violence sera-t-elle la fin ? Andrés Ramírez Pulido ne nous donne jamais la réponse verbalement. Il laisse le regard d’Eliú s’en charger. En tout cas, une chose est sûre : le paradis est bien loin.