CINÉMA

CINÉ-CANAPÉ – AVRIL

un homme et une femme se regardent dans un surcadrage (CINÉ+)
© Pyramide distribution

Tous les deuxièmes vendredis du mois, les rédacteur·ices de Maze vous proposent une sélection de films à voir (ou revoir) sur Mubi ou CINÉ+. Au programme de ce mois d’avril : Mohammad Rasoulof, Alan Parker, Jerzy Skolimowski et Jafar Panahi.

Le Diable n’existe pas, Mohammad Rasoulof (2021)

Avec Le Diable n’existe pas, Mohammad Rasoulof livre un drame poignant, plongeant son public au cœur de l’Iran actuel que domine une loi autoritaire : la peine de mort. Quatre courts-métrages indépendants se succèdent à l’écran, quatre trajectoires que relie la réalité de cette loi et ce qu’elle peut engendrer de bouleversant pour ceux qui sont contraints de l’appliquer.

Un père de famille dont le quotidien semble paisible mais qui mène une double vie de bourreau, un conscrit forcé à tuer l’un de ses pairs, un couple qu’un sombre secret vient ébranler et un médecin condamné par la maladie mais dont le passé refait surface. Face à la loi, certains ferment les yeux, d’autres finissent par se résigner, d’autres encore tentent de résister. Dans tous les cas, un sacrifice : sa conscience ou sa liberté. Car en Iran, «  dire non, c’est détruire sa vie  ». Pour mettre en scène ce sacrifice, le réalisateur iranien fait le choix de longs plans fixes et d’un fond sonore sans artifices : à mesure que le long-métrage avance, il s’imprègne d’un silence qui le rend presque assourdissant. L’on n’entend bientôt plus que le souffle du vent, le son mélodramatique d’un vinyle sur un tourne-disque ou le bourdonnement d’une ruche. La tension est palpable, l’émotion indéniable.

Voici, en 150 minutes, une proposition poignante revenant aux racines de ce qu’est l’humanité d’un individu. Tourné clandestinement pour éviter la censure, ce qui explique le découpage scénaristique original, ce long-métrage est le lauréat de l’Ours d’Or à la Berlinale 2020.

A voir (ou revoir) sur CINÉ+.

Aude Cuilhé

Angel Heart, Alan Parker (1987)

À la lecture du synopsis d’Angel Heart, tout nous indique que nous allons assister à un polar palpitant qui reprendrait la grande tradition cinématographique du film noir initiée par les adaptations de Raymond Chandler et de Dashiell Hammett.

Mais Mickey Rourke n’a rien d’Humphrey Bogart, tout autant qu’Alan Parker n’est ni Howard Hawks, ni John Huston. Le cinéaste britannique — que Maze avait déjà abordé avec le magnifique Pink Floyd  : The Wall — aidé par Trevor Jones (à la musique), Brian Morris (aux décors) et Michael Seresin (à la lumière), transfigure son intrigue pour l’emmener vers le terrain du fantastique, dans une atmosphère suintante et oppressante qui n’est pas sans préfigurer L’Échelle de Jacob d’Adrian Lyne.

Vétéran de la Seconde Guerre mondiale devenu détective privé, Harry Angel est engagé par un certain Louis Cyphre afin de retrouver, pour des raisons contractuelles, un crooner dénommé Johnny Favorite. L’enquête commence dans un New York sale aux couleurs très contrastées, avant de se poursuivre sous le soleil cuisant de La Nouvelle-Orléans, lieu où se mêlent jazz et vaudouisme. Mais alors que les meurtres sanglants s’accumulent, le chanteur demeure introuvable et le mystère ne fait que s’épaissir pour Angel.

Ce serait un mensonge de dire qu‘Angel Heart brille par sa subtilité. En effet, les symboles que l’on y trouve sont si grossiers qu’ils ne peuvent être le fruit d’une paresse d’écriture. Les noms des personnages et la clarté des dialogues ont pourtant le mérite de libérer le film de ses enjeux scénaristiques. Son essence est alors différente  : Angel Heart est le curieux spectacle d’une chute inéluctable et tragique, dans lequel Mickey Rourke se montre à la fois bestial, fragile et pathétique. Quant au public, en avance de plusieurs temps, il ne peut que constater son impuissance — et les légères fautes de goûts que le film commet ponctuellement.

À voir (ou revoir) sur Ciné+.

Matthieu Miseré

Travail au noir, Jerzy Skolimowski (1982)

1981. Trois ouvriers polonais, et leur contremaître, Nowak (Jeremy Irons), sont envoyés à Londres pour rénover la maison de leur riche patron. Attirés par l’appât du gain, ils tentent leur chance. Un motif économique, auquel s’ajoutent rapidement des enjeux politiques, vécus de loin, mais ressentis de près : dès décembre 1981, la loi martiale est instaurée en Pologne, dans le but de réprimer le syndicat Solidarność. Malgré tout, Nowak refuse que ses ouvriers soient au courant.

Dans un style visuellement dynamique, alternant plans fixes et immersifs, Jerzy Skolimowski parvient à tirer le portrait d’un être sournois, prêt à tous les mensonges, qui ne s’attache qu’à une chose : occulter pour mieux régner. La voix-off, omnisciente et monotone, renforce la distance qui s’installe entre le contremaître et ses ouvriers. Le spectateur devine tout, mais par fidélité à la voix qui l’accompagne, il ne doit rien dire.

Récompensé par le prix du scénario au Festival de Cannes 1982, Travail au noir critique et écrase les idéaux de l’immigration économique : le travail est placé au coeur de tout, à toute heure, en tout lieu, quitte à détruire les âmes ayant cru en lui.

Un film nécessaire, par un réalisateur alors en exil. Skolimowski transpose sa condition et sa sensibilité vis-à-vis des événements sur ceux qui, exilés par choix, deviennent exilés de force.

A voir (ou revoir) sur Mubi.

Yoann Bourgin

Taxi Téhéran, Jafar Panahi (2015)

Téhéran, 2015. Le réalisateur Jafar Panahi s’improvise chauffeur de taxi. Il sillonne la ville, tout en échangeant avec les personnes qui s’installent à bord et qu’il filme au moyen de trois petites caméras embarquées. Enseignante, voleur à la tire, avocate, vendeur à la sauvette, ami d’enfance… En utilisant le numérique comme outil de liberté, Panahi livre un portrait divers et complexe de l’Iran contemporain.

En mars 2010, le réalisateur est arrêté en plein tournage avant d’être incarcéré en tant que détenu politique. Trois mois plus tard, après une grève de la faim et une caution de 164000 euros, il est libéré, mais condamné à ne plus bouger, filmer, ou s’exprimer publiquement pendant 20 ans. Aux antipodes d’un acte de reddition, le cinéaste iranien réussit avec ce troisième long-métrage à contourner la censure pour se réapproprier son statut de réalisateur et de scénariste.

Les personnages qui se succèdent incarnent un échantillon représentatif de la société iranienne montée de toutes pièces par le réalisateur. Amis et connaissances se succèdent, amenant le docu fiction sur le terrain du réel. Petits récits s’entremêlent pour former une toile documentaire dans lequel déambule le véhicule. Les portes s’ouvrent et se ferment, l’habitable devient poreux, permettant à l’intérieur et à l’extérieur de se rencontrer et de se confondre.

La fluidité qui émane de cette déambulation sereine dans les rues de Téhéran permet à la réalisation de livrer avec une limpidité frappante toute la vision de la société qu’elle cherche à dépeindre. En abordant l’importance de la diffusion illégale qui dévoile un espace de liberté à conquérir, Panahi raconte la place des petits appareils photos et téléphones portables. Ces multiples capteurs du réel sont pour le réalisateur une multitude de moyen de capter le réel, et de donner du relief à la masse. Comme il l’explique à sa nièce, personnage intégrant de Taxi Téhéran, il faut, si la loi l’exige, savoir déformer la réalité pour rendre le film diffusable. Sous le nez des mollahs, armé d’une habileté certaine et d’une acuité politique fine, le cinéaste iranien détourne la censure et continue, malgré l’interdiction, à réaffirmer son art.

A voir (ou revoir) sur Mubi.

Romane Fragne

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