Bonne Conduite est la nouvelle comédie de Jonathan Barré, avec la participation de ses complices du Palmashow, Grégoire Ludig et David Marsais. Sécurité routière et enquête au Finistère, retour sur une comédie réjouissante.
Pauline, interprétée par Laure Calamy, est institutrice en auto-école de jour, et tueuse de chauffards la nuit… Les flics Kervella (David Marsais) et Giordano (Grégoire Ludig) mènent l’enquête. Voilà l’argument pour ce film plein de surprises.
Le premier fait remarquable, et peut-être d’abord effrayant, du film, est son côté référentiel. La première séquence établit le personnage de Laure Calamy. À bord de sa voiture, cherchant sa prochaine victime, baignée de lumière néon. Le côté giallo/Nicolas Winding Refn n’aura échappé à personne, et n’aura pas manqué d’ouvrir une entrée prudente dans le film. Les désirs cinématographiques des trois membres du Palmashow, originaires de la télévision, étoufferont-ils la vitalité de leur humour ? Barré trompe vite les attentes, et rassure. Sa démarche est moins proche de celle d’un Guy Ritchie, que de celle des Bourkherma, réalisateurs de Teddy (2020) et L’année du requin (2022). Si la mise en scène et les personnages évoquent des codes et références très anglo-saxons – Mindhunter, la série de David Fincher, est nommée dans le texte – c’est à titre comique.
Sur le fil… conducteur
Le moteur humoristique est le plus souvent alimenté par la tension entre ces codes ampoulés et une intrigue très territorialisée. Barré s’amuse de la rupture avec le côté très « anticlimatic » des noms et environnements de la campagne française. Ici Bretagne, avec noms bretons, routes tranquilles, bars ringards et vendeurs/éleveurs d’huitres – joliment interprété par Thomas VDB. Un jeu de mot, autour de Keyser Söze, en référence à Usual Suspects, inquiète d’abord tant il semble être un clin d’œil lourdaud. Mais il est travaillé si longtemps et porté à un tel point de ridicule qu’il évite cet écueil.
Dans son écriture et dans sa mise en scène, c’est cette agilité qui fait la fraicheur du style Barré. Il évite la plupart des pièges attendus, et se débrouille pour réinventer son film à chaque séquence. Sa mise en scène quitte volontiers le filmage référencé pour proposer un découpage plus rythmé et intuitif. Les simples champs/contre-champs entre Ludig et Marsais se démarquent par un montage précis qui sublime la puissance comique du duo.
C’est donc la rupture de régime esthétique qui crée la comédie, mais aussi la rupture de ton. On saute d’une séquence bouffonne entre Ludig et Marsais, à un moment de premier degré déroutant. Ces ruptures ont la valeur de rendre les séquences comiques encore plus désarçonnantes, lorsqu’elles suivent un moment plus sincèrement mélodramatique. Le passage dans l’autre sens, de la comédie au drame, est un peu moins heureux. Il pourra avoir tendance à mettre à distance de la fiction. C’est dommage, mais ces passages restent bien dosés et le rire n’est jamais loin.
Un solide trio à la barre
La réussite du film tient également à trois éléments ; Laure Calamy, David Marsais et Grégoire Ludig. Le film s’autorise des caméos nombreux et pas toujours réjouissants, comme celui, assez embarrassant, d’Alex Ramirès en gangster irlandais. Pourtant, le trio de tête tient la barre. Calamy d’abord, véritable premier rôle comique, comme dans le très réussi Antoinette dans les Cévennes (2020). Son implication totale et son cabotinage participent grandement au plaisir de Bonne Conduite. Elle met au service du film toute sa puissance de jeu, oscillant sans cesse entre la monitrice d’auto-école gentille et endeuillée le jour, et l’impitoyable meurtrière des routes la nuit.
Ludig et Marsais semblent, eux, se déplacer de leur position et faire bouger les lignes de leur jeu au cinéma. Après La Folle Histoire de Max et Léon (2016), Les Vedettes (2022), mais aussi le Mandibules (2021) de Quentin Dupieux, autant de films où ils occupaient le premier rôle, ils se mettent ici en retrait. Leur humour change alors de caractère, s’exprime par des ressorts plus fins. Moins de gags, moins de jeux de mots, de la comédie plus discrète : de simples éléments de maladresse ou de candeur. Malgré leur partition essentiellement comique, ce régime plus doux laisse émerger à l’écran une sincère sympathie et tendresse pour les personnages. Dans le rôle ancestral, en France, du duo de flics, qu’eux-même ont déjà pris en charge dans leurs sketchs, ils réussissent à ne rien livrer d’attendu et à transformer l’énergie de leur duo.
Si Bonne Conduite se révèle un peu inégal par moments, le film reste un morceau de fraîcheur et d’inventivité à saluer. Une comédie honnête, originale, qui ne mérite pas le relatif échec en salle qui semble malheureusement s’annoncer…