CINÉMA

« Toi non plus tu n’as rien vu » – Corps en justice

Toi non plus tu n'as rien vu © Sensito Films
© Sensito Films

Béatrice Pollet, dans Toi non plus tu n’as rien vu, filme Claire (Maud Wyler) qui tombe enceinte sans le sentir ni le voir. Sophie (Géraldine Nakache) va assumer la défense de son amie. Il est question du corps des femmes et du rôle de mère.

Claire, mère de deux enfants, accouche seule chez elle et laisse son enfant à l’abandon sur une poubelle à l’extérieur de chez-elle. Elle se réveille à l’hôpital et est accusée de tentative d’homicide sur son nouveau-né. Le long métrage suit le procès de la mère. Comment, après deux accouchements, n’a t-elle pas compris qu’elle était enceinte ? Toi non plus tu n’as rien vu montre le pouvoir du corps qui ment au cerveau d’une femme ; le déni de grossesse existe bien.

Le personnage de Claire Morel est celui d’une femme issue d’un milieu aisé et éduqué. Béatrice Pollet voulait que ce soit elle qui soit atteinte d’un déni total, pour montrer que les femmes qui le vivent sont toutes de conditions sociales différentes. De plus, elle est avocate. Et elle doit préparer sa défense. Son métier cristallise les interrogations. Une avocate accusée d’homicide sur son enfant, c’est un choc. Car Claire est aussi une mère aimante qui devient subitement, aux yeux de tous, son antipode : une meurtrière. La réalisatrice voulait filmer la réalité. Le regard des autres qui ne la croient pas, car les preuves sont là. Le personnage du juge d’instruction, joué par Pascal Demolon, est un personnage loin des stéréotypes. C’est un juge qui pose des questions, qui a de l’espoir. L’espoir existe aussi au travers du nouveau-né, qui n’est pas mort.

Lumières et émotions

Ce film est un thriller judiciaire. Ni le spectateur, ni les personnages n’ont le temps de comprendre que Claire est déjà incarcérée. C’est alors qu’un déni de grossesse qui parle de l’intime se retrouve à être questionné en justice. Mais, malgré la violence des scènes, on ne ressent pas le pathos. Ce long métrage est avant tout un film d’action, laissant au spectateur la place de l’enquêteur. La réalisatrice met en parallèle cette enquête, dure et froide, avec la douceur de certains personnages. Thomas (Grégoire Colin), le mari de Claire, travaille à l’Office national des forêts en plein cœur d’une forêt. Les entrevues auprès du juge d’instruction, des procureurs, les scènes en prison qui se succèdent, sont entrecoupées par des scènes où l’on respire auprès des arbres, avec Thomas et ses deux filles.

Une opposition qui se ressent aussi par les choix des cadres et des lumières. Lors de ses entrevues en prison avec son avocate, dans le bureau du juge d’instruction, ou chez-elle lors de l’enquête avec la procureure (Ophélia Kolb), les scènes sont jaunes, blanches, laiteuses, Claire a la peau pâle. Alors que dans sa cellule partagée avec sa codétenue (Fatima Adoum) qui la motive, les couleurs sont plus chaudes.

Toi non plus tu n’as rien vu montre aussi la progression des hommes de ce film. Thomas, le mari, le juge d’instruction, Paul, l’assistant de Sophie, les policiers. C’est le personnage de Sophie (Géraldine Nakache) que le spectateur suit. Pour elle, ce procès questionne le rôle de mère et le corps des femmes. Le film s’ouvre sur une scène de Claire, le ventre plat à la piscine. Le spectateur non plus n’avait rien vu. Sophie veut montrer que le déni de grossesse est un déni collectif, et demande au spectateur d’abandonner ses préjugés.
Le film est sorti le 8 mars en salle, journée internationale des droits des femmes.

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