À la UneMUSIQUERencontres

Rencontre avec Flavien Berger : « C’est le disque qui continuera à tourner sans moi »

Crédit Isabella Hin

De retour avec un 3ème album, Flavien Berger et sa pop électronique folle nous emmènent dans les méandres de l’occulte, thème mystérieux de ce merveilleux nouvel opus Dans cent ans.

C’est en 2015 que l’artiste parisien déversa sur les ondes sa musique magique et poétique avec un colossal premier album, Leviathan. Un premier effort surprenant, puissant et à l’écriture universelle. C’est à travers ses machines et sa voix posée que l’on voyage pour la première fois dans l’univers abracadabrant de Flavien Berger. Un monde empli de métaphores, d’images rêveuses et de sons délicats. Un monde qui sera rejoint par de nombreux nouveaux adeptes après la parution, 3 ans plus tard, de Contre-Temps en 2018. Une machine à voyager dans le temps avec laquelle il est devenu bien trop simple de s’évader. Puis le monstre musicien prend son envol vers d’autres contrées avec un album instrumental De la Friche (2021), s’essaye à la composition de musique de film avecTout le monde aime Jeanne (2022) de Céline Devaux, et enfin co-réalise le dernier album de Pomme Consolations (2023). Tous ces projets l’amèneront à ce nouveau bijou futuriste.

Dans cent ans clôture cette trilogie mystique et sonore autour de la pop. Nous avons donc voulu rencontrer Flavien Berger afin de nous éclairer sur ce magnifique 3ème album. Manifeste de l’occulte et vision avant-gardiste, ici, l’artiste resquille et nous charme par les 12 chansons rayonnantes de ce nouveau projet. Vision d’orgasme, obsession du regard, voyage dans le temps, rêve et réalité, et féminisme ; voilà le regard lointain sur notre monde de ce penseur moderne. Rencontre.

En 2015, tu avais rencontré Maze au festival La Route Du Rock. Nous t’avions posé la question suivante : «  Où te vois-tu dans 5 ans ? ». Tu nous avais répondu que ce serait sûrement la guerre. Nous pouvons mettre en lien celle de l’Ukraine aujourd’hui, et que tu construirais une cabane ou un bunker secret pour continuer à faire de la musique clandestine. Nous sommes arrivés à échéance, quand est-il de ce projet ?

Est-ce que j’ai commencé ce projet ? Non. Mais dans ma liste des 10 choses à faire avant de mourir il y a construire une cabane pour faire de la musique dedans donc je suis plutôt raccord.

Tu voudrais la construire où ?

À la montagne ou à la campagne mais en tout cas être à hauteur d’arbre pour que par la fenêtre je sois submergé de bombes d’arbres, de végétal et de vent dans les feuilles. Un truc à plusieurs étages en bois ou avec le strict minimum mais où je peux faire du son.

Plus sérieusement, ce nouvel album Dans cent ans est l’opus qui clôt ta trilogie avec Leviathan et Contre-Temps. Cette idée de trilogie était-elle prévue depuis le début ou est-elle venue avec le temps ?

C’était un peu prévu. Puis plus ça allait plus ça se définissait. Je savais que j’allais faire un album sur le voyage dans le temps (rapport à Contre-Temps) à la fin de Léviathan (2015) parce je le dis même dans une des chansons de l’album. Et je voulais faire un album sur le diable, ce qui est devenu Dans cent ans qui n’est pas vraiment un album sur le diable mais plus sur l’occulte. C’est des explorations un peu. Je voyais chaque album comme ça.

Qu’est-ce que signifie cette trilogie ? Et surtout, elle signifie la fin de quoi ?

Je ne pense pas que ça signifie la fin de quoi que ce soit. Une trilogie c’est un peu triangulée, ça se tient. On peut la prendre par tous les bouts. C’est un format pop en fait. Ces disques-là, ils signifient pour moi une période d’exercices pop. J’ai sciemment fait des choix d’explorations musicales dans la pop avec les formats et la lisibilité que ça permet, comme un exercice. Donc je dirais que ça clôt une période d’expérience mais aussi d’exercice de style sur ce terrain-là.

Et pourquoi avoir appelé l’album Dans cent ans  ?

Parce que dans cent ans je serai mort. Après c’est pour le jeu avec les mots. Il y a une espèce de consonance avec les deux premiers albums. Quelque chose qui se termine en « than/temps/ans ».

En parlant de temps, je vois une certaine obsession envers le temps. «  Contre-temps  », «  Dans cent ans  », «  Deadline  », «  Berzingue  », «  Hyper Horloge  »,… D’où vient cette préoccupation ?

Je ne sais pas si je suis obsédé mais je pense que le temps c’est un matériaux inhérent à la musique parce que son ADN c’est le temps. Dans un morceau de musique il y a des informations mais l’une des informations principales c’est le temps que ça dure. C’est Sakamoto qui dit que c’est une architecture dans le temps la musique. Tu empiles un peu comme ça, de manière horizontale les harmonies, les sonorités, et ça se balade. Disons que dans un exercice un peu méta comme Leviathan qui raconterait ma découverte de la musique comme si c’était un grand monstre, Contre-temps qui en parle comme vecteur de souvenir donc de machine à voyager dans le temps. Dans cet exercice, il y a toujours ce truc de «  qu’est-ce que je veux raconter avec ce disque ?  » et je pense que là ça raconte l’après en fait. C’est presque le disque qui continuera à tourner sans moi.

J’ai été marqué par une installation à Nantes où ils ont demandé à des habitant·es en 1999 d’encapsuler des objets afin d’être ouverts cent ans plus tard. Cette exercice c’est fou parce que c’est un exercice de vanité. Faire un disque c’est te rappeler qu’un jour tu seras mort. L’art en règle général mais dans mon cas c’est drôle car un disque c’est presque un frisbee. Il y a un geste de lancer un peu comme ça, ce lancé dans l’avenir où le frisbee ne revient pas et tu l’envoies dans le futur.

Tu aimes faire des références à la mythologie, le mystique. Je pense aux chansons «  Leviathan  », «  Jericho  », «  Feux Follet  »,… Qu’est-ce qui t’amène à partager ce genre de choses ? Pourrais-tu nous en dire plus sur la chanson où tu cites le rêve du papillon de Tchouang Tseu ?

Dans ce disque là il y a pas mal d’exploration de l’inconscient et d’exploration de l’occulte. J’ai commencé une analyse en 2020. Les mots sont devenus un nouveau terrain de jeu, d’exploration, avec les mots comme les rêves, une analyse plutôt d’un style lacanien. Je me suis retrouvé avec un matériau que je connaissais qui était mon écriture et qui revêtait une espèce de symbole caché. Il y avait une espèce d’enquête avec les mots, les rêves.

Et Tchouang Tseu j’aime bien car ça ouvrait un peu sur la deuxième partie du disque où le morceau d’après est « Dans cent ans » qui parle d’un rêve, une vision d’avenir. Pourquoi lui sinon ? Parce que j’ai eu la chance de croiser quelqu’un qui lisait ce texte-là. Donc « 莊子 » c’est un enregistrement de terrain qui faisait partie d’une espèce de grande réunion d’aventuriers·ères qui s’appelle le Bivouac Noir qu’on a fait en 2021. Et il y avait les criées où on lisait au coin du feu. Et dans cette criée il y avait une Taïwanaise qui a lu ce poème du papillon. Ce que ça veut dire pour moi, car je redécouvre ce poème un peu tout le temps, c’est que ça pose plusieurs questions. La question de la réalité, de l’enveloppe et un peu de ce monde du rêve que j’aime bien.

Tu parles de rêve et ça me fait penser à ta chanson «  Jericho  » qui est une ville en Cisjordanie considérée comme la plus vieille ville du monde et premier centre des cultes des divinités lunaires. Qu’est-ce que représente cette ville pour toi ? Y es-tu déjà allé ?

Pour moi c’est un ville brisée. Dans la bible Jericho se fait pulvériser par les trompes de je ne sais plus qui mais elle se fait assiéger par de la musique. Mais dans cette chanson je ne parle pas de cette ville. Il y a beaucoup de sous texte en fait dans cet album. Je pense que je parle d’un état, d’une vision liée à l’acte amoureux. Des visions d’orgasmes. «  Jericho  » c’était le titre de travail de la chanson et plus tard j’ai écrit des paroles qui parle d’un endroit. Je fais beaucoup ça, je garde souvent les titres de travail. Comme «  Brutalisme  » qui ne parle pas du tout de brutalisme. Les titres de travail c’est intéressant car ça signifie, ça rappelle l’évolution de la chanson.

Je trouve que tu as une belle capacité à écrire des chansons romantiques et poétiques comme «  Gravité  » ou encore «  Pamplemousse  ». Ici, j’aime particulièrement «  Les yeux, le reste  ». Je souhaitais savoir ce que le regard avait de si particulier ?

On a un cerveau humain qui est focus sur les yeux. On peut se souvenir d’un visage alors que c’est une suite hyper complexe de signaux et de formes et on est pas capable de retenir une suite de 6 chiffres par exemple. Un visage en terme d’informations c’est beaucoup plus compliqué mais notre cerveau dans l’évolution il s’est arrêté sur des choses qui étaient nécessaire à son évolution. Le regard pour moi, c’est vraiment un truc qui peut changer les choses. Par un regard il y a une trajectoire de vie qui peut être modifier. J’ai lu que je disais souvent le mot «  visage  » dans mes chansons (rires). Mais cette chanson-là parle d’un regard qui peut changer une vie.

Je reviens sur cette trilogie avec les morceaux «  666666  », «  88888888  » et «  999999999  » qui sont des sortes d’épopées électroniques. Pourquoi les avoir intitulés comme ça ? Est-ce qu’il y a un code secret derrière ?

J’ai commencé «  88888888  » (prononcé 8×8) quand j’ai fait Leviathan. C’est un espèce d’album électronique qui s’enchevêtre sur le long court. En fait, «  88888888  » commence comme termine «  999999999  » et «  7777777  », qui est dans Contrebande 01 commence comme termine «  88888888  » et ainsi de suite. C’est une espèce de digression. Si tu les mets à la suite ça s’enchaine parfaitement. Ce qui m’intéresse c’est que c’est un projet que je peux continuer car je vais faire 4444, puis 333. Je sais pas vers quoi ça va terminer car ça digresse et on arriverait vers le néant. En tout cas, c’est assez amusant de ce dire que j’ai un rendez-vous avec ce projet là un peu régulièrement au long court.

On parlait de penseur avec Tchouang Tseu tout à l’heure, et ce projet électronique dont on parle à l’instant me fait penser à tes idées parfois extravagantes voir absurdes comme cette chanson «  Pied de Biche  ». est-ce que tu peux m’expliquer ce titre ?

Ça vient un peu d’une passion envers cet objet. En tout cas, une forte attraction. Parce que j’ai eu à utiliser cet objet pour démolir des choses et ça m’a plu. Comme à l’instar, j’ai fait une chanson sur la fête foraine. Écrire des chansons sur des trucs qu’on aime c’est quand même cool.

Enfin c’est quand même un pied de biche.

Ah oui, tu veux dire il y a une sorte de violence sourde avec cet objet ?

Par forcément, je me demandais si il y avait un sous-entendu avec le mot car son nom technique c’est «  pince à décoffrer  ».

Je ne savais pas qu’il y avait un mot technique pour ce mot (rires), tu viens de me l’apprendre. Mais en fait, j’ai commencé à écrire cette chanson d’une manière assez simple. Puis je cite Pipilotti Rist, qui est une artiste suisse allemande qui a fait une super installation vidéo dans laquelle on voit une femme péter des fenêtres de bagnole avec une fleur. Et je parle de ma mère aussi car ma mère avait vraiment un pied de biche dans son coffre. Et du coup, je me suis dit  «  mais attend. C’est un peu pseudo féministe en fait  ». Du coup, ça m’a fait peur que la chanson soit une espèce de proto discours allié. Non pas que je veux pas être allié, au contraire. Depuis 3 ans, je lis de la littérature autour du féminisme pour m’éduquer. Mais justement je veux pas en faire un truc qui me rende cool. La route vers l’enfer elle est pavée de bonnes attentions. Faire une chanson où tu dis «  ouais je suis de votre côté  », en fait il faut savoir d’où on parle, à qui on s’adresse, qui on est.

Donc ça m’a fait peur car à l’inverse ça peut être un objet de forceur. Tout d’un coup je commençais à manipuler des symboles politiques avec lesquels j’étais pas à l’aise parce qu’il faut faire gaffe. Je me suis relaxé, je l’ai fait lire à des amis·es, j’ai simplifié le truc et j’ai à aucun moment filé plus la métaphore de la déconstruction que ça. Donc voilà, c’est surtout une chanson pour péter des murs.

Sinon tu viens donc de sortir ton 3ème album, tu as composé la BO du film Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux, tu as co-réalisé le dernier album de Pomme, il te reste quoi à faire ? J’avais lu dans une interview que tu étais passionné de cinéma. Est-ce que la réalisation pourrait t’intéresser ?

Alors j’ai un rendez-vous avec la réalisation mais elle ne sera pas tout de suite car je n’ai rien à raconter, en tout cas cinématographiquement.

Et tu regardes d’un œil attentif ceux qui réalisent tes clips ?

De plus en plus, parce que pour le clip de « Feux Follet » qui est réalisé par Vimala Pons, je suis dans le clip pour la première fois. Je faisais des caméos avant mais là c’est la première fois que je fais un clip simple où je chante. Il y a une idée qui vient d’un rêve qu’elle a mis en scène et ça, ça m’a beaucoup passionné, j’ai bien aimé le plateau car c’est super valorisant, tout le monde est autour de toi. T’as l’impression d’être important et ça requinque.

Mais du coup, tu aimerais aller vers quoi ? Je pense à la chanson «  Medieval Wormhole  » qui fait très jeux vidéo. Ça t’intéresserait ?

Ah ouais grave. J’adorerais. En vrai, je m’y connais pas assez et quand j’étais petit j’y jouais pas vraiment. Je lisais et achetais les magazines de jeux vidéo mais je touchais pas à la console. Puis je suis pas bon, il y a un truc de psychomotricité qui ne marche pas. Je crois que je ne suis pas assez connecté avec mes mains. Après j’aime beaucoup l’univers de Mario, les jeux de fantaisies, les open world mais un truc plutôt aventure. Même si c’est un travail énorme.

Mais là ce que j’aimerais bien faire c’est créer un jeu vidéo pour l’utiliser dans des live. Peut-être pas les miens mais plus dans ceux du collectif SIN. J’aimerai bien qu’on fasse des live et une personne qui fait le live joue à un jeu vidéo dans lequel elle irait chercher des sons, ce genre de choses.

Dernière question, comment vois-tu la musique dans cent ans ?

Je pense qu’elle sera faite par des robots. J’ai toujours cette intuition que ce sera plus du tout un truc humain. On se souviendra de l’époque où la musique était faite par des humains. Je fais une incantation pour que ça n’arrive pas. Mais je pense qu’il y aura plus d’instruments, que chacun aura sa musique, en mode embarqué, sa propre bande son générée tous les jours par IA qui te lit et chope toutes tes données.

Alf mon mixeur de cette album et de l’ancien disait même que la musique fusionnerait avec le soin. Qu’on allait avoir des musiques qui nous soignent et qui nous accompagnent dans notre développement physique. Mais je pense qu’il y aura toujours un retour à l’oralité. De plus en plus, je chante en vrai avec des gens. C’est très agréable, de faire des chorales de chanson pour faire de la vaisselle, aller à la rivière, creuser des trous, … ça a toujours existé et ça existera toujours l’oralité qui accompagne un labeur.

You may also like

More in À la Une