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Rencontre avec Coline Rio : « C’est un projet que je nourris depuis que je suis petite »

Coline Rio
©Manon Villemonteil

Après quelques années comme chanteuse du groupe Inüit et un premier EP en solo, Coline Rio dévoile enfin son premier album, Ce qu’il restera de nous.

De sa voix douce et sublime, elle nous emporte avec elle dans une introspection poétique et sensible où la nature enveloppe les choses de la vie, tandis qu’on lutte pour ne pas disparaitre. Rencontre avec une artiste animée par la musique depuis l’enfance.

Ce qu’il restera de nous est ton premier album solo, peux-tu raconter sa construction et sa genèse ?

C’est un album qui s’est construit sur une longue période, car c’est un projet que je nourris depuis que je suis petite. J’ai toujours voulu me lancer dans un projet solo et très tôt, j’écrivais des chansons. Pendant la tournée avec mon groupe Inüit, j’ai commencé à écrire en pensant à mon premier album. Certains des morceaux datent de cette période-là. Et ensuite, le covid est plutôt bien tombé, car cette période a permis de faire une pause imposée avec le groupe et ça m’a laissé beaucoup de temps pour me recentrer sur mon projet. Pendant le confinement, j’étais en ébullition. J’ai écrit plein de chansons et je ne me suis jamais arrêté d’écrire. J’ai pu piocher certaines chansons d’une époque et d’autres ont été écrites beaucoup plus récemment, comme « Elle Laisse ». L’album me ressemble dans le sens où j’ai grandi et évolué avec lui. 

Donc un mélange entre la femme que tu es aujourd’hui et l’adolescente que tu as été ? 

Il ne s’agit pas vraiment de titres de sortie d’adolescence. Mais peut-être que sur la réédition, il y aura de plus anciennes chansons qui me touchent et qui ont encore du sens. Sur l’album, ce sont plutôt des titres nés sur les deux dernières années. 

Il y a une idée diffuse dans cet album, celle de laisser les choses derrière soi, d’avancer vers la lumière…

Oui complètement. C’est avancer et accepter que les choses aient une fin ou que certaines ne se terminent jamais, comme des souvenirs qui peuvent faire durer les choses toute la vie. Cet album, c’est un peu une empreinte que je voulais donner dans le monde de la musique et aussi pour moi. J’ai très peur de disparaître. J’ai besoin de dire les choses pour cristalliser ce que j’ai vécu. Elles ont existé et il faut avancer. J’avais envie de leur rendre hommage et de les chanter.

C’est la peur de la mort qui te hante ? 

Oui, c’est une vraie angoisse depuis que je suis petite. Surtout la mort de mes proches. C’est terrible parce que les parents, on les voit vieillir, c’est le meilleur moyen de se rendre compte que l’on vieillit soi-même et qu’on est de passage. Je suis très proche de mes parents, de mon frère, de mes ami·es. C’est très important pour moi et c’est dur de voir ce vieillissement. Je pense que l’on s’apaise et que l’on accepte avec l’âge.

Là, il y a des personnes très proches dans ma vie qui sont âgées et que je vais voir disparaître dans les prochaines années et ça me travaille beaucoup. Je ne suis pas prête, j’ai besoin de ces personnes et je me demande comment je vais pouvoir m’en sortir quand elles ne seront plus là. C’est accepter qu’elles sont là quoi qu’il arrive et que ce que j’ai construit avec eux restera, mais c’est dur. 

Tu penses que ces peurs nourrissent ton écriture et ta créativité ? 

Ce sont des expériences et des rencontres. Ce qui nous marque, c’est ce qu’on vit post-rencontres amoureuses, amicales, ou ce qu’on revit seul. C’est quelque chose qui me pousse à composer. 

Il y a une très forte présence de la nature dans tes textes, beaucoup de métaphores liées aux volcans, rivières ou déserts…

J’ai grandi à la campagne dans les alentours de Nantes. En face d’un parc, avec un seul voisin et uniquement des espaces maraîchers. Ce grand jardin était un terrain en friche. Mon père a formé la terre pour que ce soit viable. Il y a des bois, un lac et j’ai grandi en créant mon imaginaire dans les hautes herbes et le potager. Et surtout, il n’y avait aucun enfant à la ronde. J’étais dans la nature avec des moutons et un chat. Je passais beaucoup de temps à me raconter des histoires.

On partait aussi en vacances dans le Cantal, une montagne que j’adore pour retrouver la meilleure amie de ma mère, une femme plus âgée qui est très importante pour moi. Tous les ans, on allait la voir. Elle vivait en ermite dans la montagne sans électricité, eau chaude, ni toilettes. On partait trois semaines et ça a créé des souvenirs très puissants de connexion avec l’environnement et la montagne. Puis, elle a bougé et elle est revenue dans des conditions plus confortables. On y va encore souvent, j’y étais cet été et ça fait beaucoup de bien. C’est un refuge pour moi. Je vis à la ville aujourd’hui. J’ai habité dans le centre de Nantes puis maintenant à Paris. J’aime aussi la ville, on a besoin d’être connectés, mais les images de nature restent très présentes. 

Oui, ça crée une poésie mystérieuse qui est propre à tes textes, tout en racontant des histoires personnelles qui peuvent parler aux personnes qui t’écoutent… Et il y a la chanson « Homme » où tu abordes l’espace qu’occupent les hommes dans la rue… Est-ce qu’en tant que jeune femme artiste, c’est parfois difficile aussi dans le milieu de la musique ?

Je l’ai ressenti pendant une longue période. Avec le groupe, j’ai été dans un milieu beaucoup plus masculin. Ce n’était pas décidé, mais j’ai vu beaucoup plus d’hommes. Après, j’étais avec une équipe vraiment géniale et je les adore tous individuellement. Aujourd’hui, je suis plus entourée de femmes ou d’hommes sains que je choisis. Dans « Homme », je voulais vraiment parler de ce sentiment étrange que la rue n’appartient plus aux femmes à partir d’une certaine heure. Les couplets, c’est « tard le soir » puis « pendant la nuit » puis « au petit matin ». C’est perturbant de ne pas se sentir en sécurité en tant que femme.

Quand j’en parle avec des amies, on ressent toute la même chose. Et cette insécurité peut exister en journée en fonction de ce qu’on porte. La femme devient une proie. Les femmes sont beaucoup à vélo dans les villes aussi. J’ai jamais eu la sensation de pouvoir me promener librement le soir. Pourtant, c’est beau la nuit, il y a du silence, c’est agréable, mais pour moi, c’est impossible. J’avais vraiment besoin d’en parler. Celle-là, je l’ai écrite pendant le confinement, j’avais envie de sortir la nuit. Je me suis dit, ce n’est pas normal de ressentir ce stress. Il y a un vrai souci d’inquiétude qui est remis sur le dos de la femme. 

Tu racontais que tu faisais de la musique depuis toute petite, comment elle est arrivée dans ta vie ? 

Il y avait un piano chez moi. Ma mère est chanteuse et guitariste. Elle faisait l’éveil musical pour les petits. J’ai pris des cours de mes 5 ans à mes 16 ans. On avait un groupe de chanteuses, on a grandi un peu ensemble. J’ai toujours chanté avec ma mère et j’avais aussi une prof particulière. Je n’ai pas fait de conservatoire ou de cours de solfège. Mon frère qui est batteur, oui. Il a fait des choses beaucoup plus techniques musicalement. Je pense que mes parents m’ont un peu préservée de ça. Ma prof de piano faisait un peu tout, donc je n’en avais pas forcément besoin. C’était une pédagogie, un accompagnement adapté à moi.

La musique était également très présente dans les marches, les randonnées que l’on faisait en famille. On chantait dans les fêtes de famille. Je me suis sentie très vite tellement bien dans la musique et j’ai eu envie de m’exprimer et d’écrire très tôt. C’était comme un refuge, là où à l’école, ce n’était pas évident. J’avais le piano, le chant et l’écriture. Et très vite, j’ai été identifiée en tant que musicienne/chanteuse et ça me plaçait dans la société.

Je me sentais exister et ça me rassurait à l’école où les rapports étaient durs. On m’aimait bien quand même, car je faisais de la musique. C’était comme un ami en plus. Ça m’allait très bien que ce soit mon identité. Mais j’avais un cadre très bienveillant à la maison.

Comment s’est faite la rencontre avec les membres d’Inüit et le fait de commencer par une expérience de groupe avant d’entamer ta carrière solo ? 

J’avais pas du tout prévu, j’étais très décidée à lancer mon projet solo. J’avais fait mes premiers concerts au collège puis lycée, des petites dates par-ci, par-là. Certains membres du groupe sont venus me voir en concert. Pierre m’avait sonorisé quand j’avais seize ans et m’avais proposé de faire un petit groupe avec Alexis. J’avais dit oui à l’époque. On avait un petit trio. Eux étaient à la fac, c’étaient des grands pour moi. Puis, j’ai eu mon bac, je suis rentrée au conservatoire en jazz pour tester et j’ai commencé à croiser un autre membre, Rémi. Puis ils venaient m’écouter, car je faisais aussi de la musique avec le petit frère du batteur du groupe. C’était très familial. La maman de Pierre était ma prof de piano. Ils m’ont confiée qu’ils avaient toujours eu envie que je chante pour leur groupe qui existait déjà. Ça s’est transformé en Inüit avec une autre chanteuse.

Elle est restée six mois et quand elle est partie, c’était en août 2015, Pierre m’a appelé direct et m’a demandé de les rejoindre dans Inüit. J’ai dit ok, mais je leur ai aussi avoué que je n’étais pas fan de la musique et que s’ils voulaient que je chante, il allait falloir que l’on recompose tout ensemble. Je n’avais pas envie de chanter des morceaux qu’ils avaient écrits avant. Et eux aussi on eu envie de ça, de recomposer les choses. On a gardé plus ou moins deux chansons, mais que l’on a complètement réarrangées. On a tout réécrit assez vite et c’est une aventure de dingue.

J’avais dit que mon projet solo serait toujours la priorité sauf qu’Inüit a pris très vite. Les garçons avaient déjà mis plein de choses en place. On était hyper motivés. J’ai pris le train en marche et j’ai fait une pause sur le projet dans ma tête, on a fait des festivals et une tournée géniale pour un projet qui sortait de nulle part. Ça s’est fait comme ça et puis on a décidé de faire une pause. On a envie de continuer, mais en ce moment on est tous très épanouis dans ce qu’on fait. Il y a une effervescence, un fourmillement créatif chez chacun. Pour l’instant, on n’a pas de disponibilités pour remettre le projet en place. Et moi, j’ai pu enfin faire ce que j’avais en tête. 

Avec Inüit tu écrivais et chantais en anglais, et pour ton premier album, c’était une évidence pour ton projet à toi d’écrire en français ? 

J’ai toujours écrit en français, c’était revenir à moi. L’anglais ce n’est pas ma langue. Pour Inüit, j’ai dû travailler mon accent avec un Américain, qui a corrigé tous les textes et ça a été un gros travail. D’ailleurs, il y a pas longtemps je ne sais plus à quelle occasion j’ai réécouté un morceau et je me suis rendu compte à quel point ça s’entend que je suis Française. Mais oui je suis beaucoup plus à l’aise à écrire et chanter en français. 

Tu as grandi avec des chanteur·euses français.es qui t’ont influencé ?

C’était très éclectique chez mes parents. On écoutait beaucoup de musique du monde, de folk, Léonard Cohen, Joan Baez, etc. Et de la chanson : Brel, Barbara, les grands. On les cite énormément mais ils ont vraiment changé beaucoup de choses pour la chanson française. Il y a un vrai amour pour le texte mais aussi une grande liberté. Mais musicalement j’ai des influences des pays anglophones de l’Australie aux États-Unis, mais ça restera toujours le texte français. Je puise et je mélange les influences. Pour le son de l’album, j’avais comme référence une chanteuse qui s’appelle Phoebe Bridgers. Son dernier album est magnifique dont un titre, « Halloween ». Je me suis inspirée de cette tradition et des couleurs musicales en gardant à l’esprit des grands auteurs de la chanson française. 

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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