Une écriture directe et poétique, des synthés et des boîtes à rythmes : voilà les ingrédients principaux du premier EP de Claude, Bientôt la nuit. Un premier projet qui nous plonge dans l’univers du chanteur, à la croisée de la musique électronique et de la chanson française.
Sa voix lui vaut d’être comparé à Brel ou Stromae, sa musique à Kraftwerk, et pourtant : Claude ne se réclame d’aucune de ces influences. L’auteur-compositeur-interprète parisien signe sur le label Microqlima un premier EP très prometteur, aux accents nocturnes et aux rythmes dansants. On l’a découvert aux Bars en Trans, on a entendu sa reprise de « La fille de Bennington » et maintenant c’est chose faite, on peut plonger un peu plus dans son univers musical, dont il a accepté de nous parler avec joie.
Pour commencer, peux-tu nous dire qui est Claude ? Juste toi, un personnage, ou un mélange des deux ?
La réponse C, la dernière ! C’est un petit mélange de personnage et de moi, c’est une version un peu amplifiée, un peu plus manichéenne, superlative… C’est juste ma personnalité version musique, version un peu plus libérée.
Comment t’es-tu lancé dans la musique ? Est-ce que ça fait longtemps ou bien c’est quelque chose de plutôt récent dans ta vie ?
Ça fait longtemps que je fais de la musique, que je « pratique » on va dire. J’ai fait un peu de conservatoire quand j’étais petit, mais ce n’était pas très concluant… Je ne me suis pas dit au milieu du truc : « Ça y est, je suis une brute épaisse et je vais en faire ma carrière » (rires), ça n’a pas plus abouti que ça. Le truc artistique, l’écriture, la composition et tout le bazar, c’est vraiment récent ! Ça date de 2020, un truc comme ça.
C’est relativement récent comme exercice, même si ça me trottait un peu tout le temps dans la tête… Mais je l’ai mis en application « sérieusement » il y a trois ans. J’ai commencé la composition à ce moment-là, quand j’ai découvert la production musicale.
Ça date du confinement alors ? Tu as eu du temps libre et tu t’es lancé ?
Ouais, c’est ça ! C’était par défaut, bon… (rires) Non, c’est juste que je voulais le faire mais je me trouvais des excuses pour ne pas le faire. J’avais mes études à côté, je me disais que c’était cool mais que je n’allais pas forcément en faire quelque chose. Et puis le confinement a fait que je n’avais rien d’autre à faire, littéralement. Je n’avais plus d’excuse, donc autant sauter le pas et faire la chose avec un peu plus de d’engagement.
Quand on écoute ta musique, il y a un côté cold wave un peu à la Kraftwerk, ambiance années 80… Est-ce que tu as voulu reprendre des sons que tu aimais dans ta musique ? Tu as des influences ou c’est du hasard ?
Alors oui et non, c’est à la fois un peu du hasard et pas du hasard. Typiquement Kraftwerk, même si aujourd’hui je peux dire que j’aime beaucoup, j’ai très peu écouté dans ma vie. Il y a un an ou deux seulement que j’ai commencé à écouter sérieusement, à m’éduquer un peu sur le sujet… C’était plus des sons que je faisais par défaut, parce que je ne suis pas particulièrement très bon en composition. Les grilles d’accords, etc., je suis une quille ! (rires)
Ce qui fait que je suis vite tombé sur des suites d’accords basiques, schématiques. Même sur les rythmes de batterie, j’étais sur des choses très séquencées, très simples, histoire de pas trop me compliquer la vie. Et ce truc-là, c’est quand même plus ou moins le fondement de plein de musiques de cold wave, de house… C’est le principe de la séquence, de la redondance, et pour moi c’est le plus simple. Mais ce n’était pas une influence claire et identifiée, c’était plus par incapacité de faire des choses plus élaborées qu’un synthé, une drum, une basse et le texte.
Justement, tu parles du texte. Dans tes chansons, tu roules les « R » un peu à la Jacques Brel, tes textes sont très poétiques… Est-ce que tu ressens une forme d’héritage de la chanson française, sur ce travail de la diction et sur l’importance du texte ?
Pas du tout ! Je n’en écoute pas du tout, malheureusement. Ce n’est pas un truc duquel je veux m’écarter, mais je n’ai jamais de ma vie écouté avec attention ou avec envie la chanson française. Mes parents un petit peu, mais moi ça ne m’a jamais touché. Peut-être aussi parce que je ne m’y suis pas mis : j’avais des petits préjugés, ou du moins une vision un peu clichée et caricaturale de la chanson française.
J’étais très musique anglophone, un peu allemande, pas mal de trucs africains aussi. En fait, je trouvais beaucoup de poésie dans les paroles en anglais. Et ce qui m’arrangeait bien d’ailleurs : comme ce n’était pas en français, je n’avais pas les préjugés que j’avais vis-à-vis de la langue française. Je n’avais pas cette précision de la compréhension du langage. Avec l’anglais, je pouvais juste comprendre le sens, y trouver de la poésie et me dire : « J’aime bien comme ça. »
Je trouve plus de beauté avec des mots plus crus, simples et parlants.
J’aime bien cette version-là presque un peu schématique du texte, où je ne m’emmerde pas avec des formulations complexes. Je dis juste des trucs relativement directs. Personnellement, je trouve plus de beauté dans cette manière de faire les choses avec des mots plus crus, simples et parlants, que d’aller chercher quelque chose qui sortirait de mon vocabulaire, que je ne dirais pas dans la vie.
Ça vient du fait qu’inconsciemment, quand tu écoutes de la musique anglaise en n’étant pas parfaitement bilingue, tu saisis des trucs de manière un peu approximative. Et tu traduis avec des mots simples pour comprendre ce qu’il se passe. Dans le texte anglais, il y a assez peu de rimes, parce que ça joue beaucoup plus sur les sonorités du mot que sur une rime au sens strict. Pareil, moi, je ne suis pas particulièrement adepte de la rime, ce n’est pas un truc qui me fascine.
Au niveau des thématiques, ce qui se dégage de ton EP c’est globalement la solitude, l’amour, la vie et la nuit. Pourquoi cette attirance pour la nuit ? Quelle place occupe-t-elle dans ta vie, dans ta musique ?
Je fais de la musique la nuit et c’est le moment d’une forme de calme. Je suis relativement speed la journée, et en début de soirée je commence à me calmer. J’ai la sensation que tout s’arrête un petit peu, du coup c’est assez agréable de pouvoir se poser, de prendre un peu de recul sur des choses auxquelles tu as pensé et qui pourraient donner des textes. C’est vrai que j’ai plus de plaisir à composer et à écrire la nuit – pas la nuit tard, hein, je fais pas ça jusqu’à cinq heures du mat’ (rires) – je le fais beaucoup plus sereinement qu’en journée.
Et qu’est-ce qui t’inspire pour écrire tes textes ?
Le terme même d’« inspiration », j’aurais du mal à l’utiliser. C’est pas un exercice, mais en fait la majorité du temps quand je pense à des trucs un peu random, je les écris sur mon téléphone. Je vais écrire deux, trois, quatre phrases avec, liées au sujet et à la thématique, à ce que ça m’évoque. Et ensuite, quand je fais un début de composition instrumentale, je me penche dessus en me demandant ce que ça m’évoque et j’essaie de retrouver un truc proche dans mes notes. À partir de ça, je tire sur le fil. En vrai, c’est des pensées parasites auxquelles tu penses quand tu es dans le métro. C’est complètement absurde, je l’écris, et puis voilà !
Il y a une part de « catharsis » dans tes paroles ? C’est parfois sombre, pas toujours très gai ce que tu écris… Est-ce que c’est aussi pour toi, une sorte de journal ?
C’est complètement ça. Le terme de « catharsis », c’est la version élégante du truc, mais dans les faits oui, je vis l’écriture comme une confession. Il y a des choses que je ne dis pas, que je n’ose pas dire mais que je peux exprimer à travers la musique. Des sentiments un peu honteux, des trucs qu’il faut extirper de soi parce que ça pèse… je pense que ça se ressent dans les textes.
Je vis l’écriture comme une confession.
Ton EP Bientôt la nuit commence par la chanson du même nom. C’est le premier clip que tu as posté sur ta chaîne YouTube, dans lequel on te voit en kebab humain, en train de rôtir sur une broche… C’est quoi la métaphore de ce kebab ?
Chacune et chacun en fait ce qu’iel veut, à vrai dire. On m’a donné quarante versions différentes sur Instagram de l’interprétation du clip. Mais la manière dont les réalisateurs l’ont pensé, c’est par rapport au texte justement : une catharsis d’une manière d’extirper des trucs pesants en sortant, en lâchant prise. Sortir de chez soi, quitter son confort, sa bulle. Et donc il y a cette idée de se laisser consumer par le reste, et que finalement c’est pas grave de lâcher prise. Il y a cette idée de s’ouvrir à d’autres expériences, qui sont représentées par les gens, qui me « graillent » on va dire. (rires)
Il y a un autre clip, dans lequel tu es déguisé en Superman cette fois, c’est Les accords de Lenny. Quelle est l’histoire de cette chanson ? Pourquoi ce clip de Superman qui danse, titube, on ne sait pas vraiment, autour de la tombe de Lois Lane ?
Peut-être que c’est une sérendipité des réals qui ont fait des vieux liens cognitifs dans leurs têtes et qui ont fait Lenny/Lane/Superman (rires)… Mais non, en fait Lenny c’est juste un copain à moi qui est musicien. On était en vacances ensemble, je faisais une sieste et lui jouait des accords proches de ceux de la chanson. J’ai enregistré ça à son insu, c’est d’ailleurs le vocal qu’on entend au début du morceau !
Sur le titre Baby, tu dis qu’« il faut s’y faire à ce monde en plastique »… Comment tu perçois le monde autour de toi ? Est-ce qu’il y a une forme de « critique » dans tes chansons ?
Je comprends qu’on puisse l’interpréter comme ça. Il y a une part d’incompréhension ou de stress vis-à-vis de choses qui peuvent paraître assez étranges, assez superficielles – les réseaux sociaux, etc. Mais cette phrase, à la base, parle de quand tu es sous gros stress et que tu as presque un sentiment de facticité des choses. Tu es tellement focus sur tes inquiétudes que le monde extérieur devient un poil moins perceptible. Ce « plastique » c’est ça, c’est cette facticité des choses – de mon point de vue.
De manière générale, pour la critique dans la musique, je trouve que quand c’est moralisateur ce sont rarement des bons morceaux. Ça doit être dit de manière détournée pour que ça soit intéressant.
La pochette de l’album est assez singulière : c’est un portrait très serré de toi, avec les yeux déformés, agrandis… Pourquoi avoir fait ce choix artistique ?
Pour l’histoire, cette image ne devait pas être la pochette de l’EP. On avait quelques choix de faits que je trouvais géniaux, mais on ne me voyait pas assez, j’étais trop loin. Sur un format carré un peu petit, on voyait zéro ma tronche. Avec mon label, on voulait quelque chose de plus identifiable pour cet EP de présentation, d’introduction au projet. On a voulu se démarquer de la redondance du format portrait cadré aux épaules, et pour ça on s’est demandé : « C’est quoi la manière de dégueulasser une tronche ? »
On voulait que ça soit dérangeant, que l’image soit désagréable. Alors on l’a passée dans une intelligence artificielle, on a testé plein de choses. On est tombés un peu par accident sur cette image finale, qui est d’ailleurs un peu imparfaite : c’est pas fait par Photoshop, c’est pas un montage, c’est fait par une I.A. Et cette imperfection est trop cool parce qu’elle est dérangeante, elle grignote un petit peu l’âme… (rires)
Comme j’ai des textes qui sont très descriptifs, sans rimes, en parole directe, il y avait ce truc-là de jumelles, d’yeux qui observent les choses. Et puis juste, il y a un côté très désagréable que j’adore.
Tu parles d’introduction à un projet… Est-ce qu’il y a un projet d’album qui arrive ?
Là, je suis tout seul depuis cinq jours. C’est l’horreur, mais c’est aussi très bien ! C’est la deuxième fois que je fais ça depuis le début de l’année, car oui je commence à bosser sur un album… Ça avance super bien et je suis très content !
Claude sera en concert le 7 avril à la Maison Pop de Montreuil (93), le 24 mai au festival Paroles et Musiques de Saint-Etienne (42), le 10 juin au Biches Festival de Rai (61) et le 12 juillet aux Francofolies de La Rochelle (17).