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Rencontre avec Albin de la Simone – « La chanson n’est pas finie tant que je n’ai pas trouvé le bon mot »

© Manou Milon

Six ans après son dernier album de chansons, Albin de la Simone revient avec Les cent prochaines années, un opus toujours intime mais pour la première fois guidé par un réalisateur, en la personne de Sage.

Une jolie photo en noir et blanc, une formule qui fait mouche dans la tête de toute personne un brin amoureuse et une musique qui attrape et enveloppe : voilà comment en quelques mots on peut résumer Les cent prochaines années, le septième album d’Albin de la Simone. L’auteur-compositeur-interprète, réalisateur pour de nombreux artistes ces dernières années, a cette fois accepté une aide extérieure, celle de Sage, de quinze ans son cadet, co-fondateur de Revolver mais surtout devenu lui aussi homme de l’ombre de beaucoup d’artistes. Un compagnon de route pour tenter de rassurer cet éternel insatisfait et mettre en musique ses chansons toujours très intimes, sur ce disque qui passe de l’amour invincible aux histoires de famille, sans oublier certains thèmes forts de société. C’est un Albin de la Simone détendu et heureux qui a accepté de parler avec nous de ce magnifique nouvel album.

Avant de parler des Cent prochaines années, on aimerait savoir ce que tu as fait ces six dernières années, depuis L’un de nous, ton dernier album de chansons ?

Ça va être long (rires). Ce qu’il s’est passé, c’est ce qu’il se passe à chaque fois. Je suis très lent à l’écriture. Il y a plein de raisons différentes. D’abord l’inspiration, je ne la trouve pas comme ça, le tamis est très serré. Donc il faut imaginer que pendant six ans, toutes les périodes où j’écris, je n’écris que des choses qui ne me satisfont pas. C’est assez dur, parce que ça me renvoie une image négative de moi, je me trouve mauvais tout le temps. Et puis une fois de temps en temps, il y a un bout de chanson que j’arrive à attraper et si par chance le lendemain je le tire encore, je peux l’épaissir.

Il y aussi des chansons qui prennent du temps. Sur cet album, par exemple, « Pour être belle » est en chantier depuis huit ans. Elle a eu plein de vies avant, elle a même été au générique d’un documentaire sur la ménopause, elle s’appelait autrement, le refrain était différent, je l’ai jouée plein de fois en concert. Il y a un cheminement très long chez moi, parce que je cherche des espèces d’huiles essentielles, ça me demande beaucoup de boulot. Mais c’est mon tempo, c’est comme ça et puis je m’en fous en fait (rires). 

Et puis je fais aussi plein d’autres choses, donc je ne me rends pas disponible pendant six ans pour l’écriture. Et heureusement, parce que six ans d’échecs… je serais devenu fou.

Tu disais aussi il y a un an que tu t’étais senti « asséché » par la pandémie de Covid…

Oui, la pandémie a asséché en moi un truc : l’envie d’écouter des chanteurs comme moi. Je ne voyais pas l’intérêt, d’entendre des gens qui parlent de leur intimité. Tout ce que j’avais à dire, c’était la même chose que tout le monde. Je trouvais ça… au Québec, ils disent « plate » (ennuyeux). Je trouvais ça sans intérêt. Moi j’avais envie de musique cool, qui fait du bien, instrumentale, sans tension, pas avec un gars comme moi qui pleurniche !

Je me suis rendu compte que si j’étais asséché de ça, je n’étais pas du tout asséché de musique, au contraire ! J’avais tous mes instruments et beaucoup de disponibilité. Donc je me suis lancé dans un disque instrumental (Happy End, 2021) entre temps, puisque j’ai la fibre pour ça en ce moment. Ça a libéré mon côté instrumentiste et musicien, que je mettais toujours au service de la chanson. Et ça m’a appris, pour une fois, à mettre en chanson des instrumentaux, parce que j’écrivais jusque-là toujours les textes en premier. Ça m’a libéré et c’est peut-être ça qui a déclenché à nouveau l’écriture.

« Qu’est-ce que tu fais, les cent prochaines années ? », c’est très beau, c’est le refrain de la chanson-titre de ton album. On aimerait toutes et tous s’entendre dire ça. Comment t’es venue cette idée des « cent prochaines années » ?

Elles est apparue naturellement dans ma vie amoureuse. Je l’ai vécu, je le vis. Dans l’écriture de cette chanson, j’étais pourtant parti un peu à l’envers. Mais évidemment, une phrase comme ça n’est pas anodine, ça reste en mémoire quand on l’échange avec la personne qu’on aime. L’idée que cela puisse être le moteur d’une chanson m’est apparu bien après et je me suis dit qu’évidemment c’était super dans une chanson, c’est trop beau de dire ça. Donc ça a complètement bouleversé la chanson et c’est devenu le refrain. Quant au titre du disque, j’étais parti sur plusieurs pistes, mais c’était la plus ouverte. Je suis très dans l’intime, mais les cent prochaines années, ça ouvre aussi sur l’universel, sur l’avenir, sur le monde. Le disque tend un peu vers quelque chose d’optimiste. Le tout va bien avec la pochette du disque.

La pochette c’est une photo de toi bébé, avec ta maman, comme nous sommes beaucoup à en avoir. Dans « Petit petit moi », tu t’adresses à toi-même. Cette chanson est venue de la photo ?

Elle est venue du souvenir vague de la photo. Je savais qu’elle existait, qu’elle était belle, mais je ne l’avais plus du tout en tête. J’ai écrit autour de cette photo, en l’enjolivant, en y mettant mon père, ma sœur… J’ai mélangé la photo et mes souvenirs. Et un jour, je me suis réveillé en pleine nuit en me disant : « Mais elle existe cette photo, il faut que je la revoie ! ». J’ai écrit en pleine nuit à ma mère, qui le lendemain matin m’a envoyé par mail la photo qui était accrochée au mur dans la maison de mon enfance. Ce jour-là, c’est devenu très évident que ça serait la pochette du disque.

Tu fais beaucoup de choses, tu l’as dit, tu travailles pour les autres, ces dernières années tu as réalisé des albums, ceux de Pomme ou Miossec par exemple. Mais cette fois, c’est toi qui t’es laissé porter par un réalisateur, Sage. Déjà, pourquoi tu as fait ce choix cette fois-ci ?

J’ai la chance et la malchance d’être réalisateur pour d’autres. La chance, c’est que je connais la valeur d’un réalisateur et ce que l’on doit en attendre. La malchance, c’est que l’étant moi-même, je m’applique tout ça et c’est un peu enfermant. Un réalisateur, c’est une valeur ajoutée à la création, à l’écriture d’une chanson. Quand quelqu’un écrit, compose et chante une chanson, son empreinte est indélébile, ça veut dire qu’il n’y a qu’un seul cerveau. Ça peut être super mais on tourne vite en rond. Et ça fait plusieurs albums que mon label (Tôt Ou Tard) me dit que ce serait un enrichissement de prendre un réalisateur, je dis « oui oui » et je me démerde pour quand même le faire (rires). 

Là, ils m’ont redit que c’était le moment d’apporter un autre souffle et qu’il ne fallait pas avoir peur de disparaître. Et après, ma chance, c’est d’avoir rencontré Sage, qui est un musicien vraiment super, un réalisateur super, qui a vraiment bien compris ce qui est important dans une chanson, qui peut aider à retaper une chanson s’il manque un truc. Sur la chanson « Les cent prochaines années », la musique du refrain on l’a écrite ensemble, parce que le refrain boitait un peu. C’est vraiment quelqu’un qui peut intervenir à plein de niveaux et il n’y a qu’à voir ce qu’il fait pour les autres, c’est toujours très différent, ce qui veut dire qu’il est à l’écoute des gens avec qui il travaille.

Et puis étant réalisateur moi-même, il y a des tas de choses qu’on fait sans qu’on ait besoin de se les dire, parce qu’on parle le même langage, techniquement notamment. Tout ça pour dire qu’on s’est merveilleusement entendus et que pour moi c’était d’un confort dingue d’être dans un canapé et de le voir ramer, là où normalement c’est moi qui rame !

Sage a apporté une épaisseur à ma musique, une absence de netteté qui enrichit. 

Albin de la Simone

Mais ça n’a pas été compliqué pour toi, pour une fois, de lâcher prise ?

Si, complètement. En plus, il a quinze ans de moins que moi, donc des fois j’avais envie de lui dire « Pousse toi, laisse-moi faire », mais je m’en empêchais vraiment et lui-même m’en empêchait, il était assez autoritaire, c’était son rôle. Il m’est arrivé pas mal de fois de maugréer, surtout quand Robbie Kuster, qui est un batteur québécois magnifique, était là. J’avais l’impression qu’ils se mettaient d’accord tous les deux pour me proposer des trucs dont j’avais pas du tout envie. J’écoutais ça et je me disais : « À quel moment je les interromps ? » Et en fait ils avaient raison, parce qu’ils allaient à des endroits dans lesquels je ne serais jamais allé, j’ai fini par être hyper séduit et super excité parce que justement ça ne venait pas de moi. Le lâcher-prise, c’est pas facile et il faut être avec les bonnes personnes.

Comment s’est faite la rencontre ?

Je suis allé le voir, parce que je connaissais son travail. Je lui ai fait écouter mes maquettes et je lui ai demandé s’il était partant pour s’impliquer dans la réalisation de ce disque, au niveau qu’il souhaitait, soit pour donner trois conseils là maintenant soit pour réaliser le disque jusqu’au bout. Il a réfléchi pendant une semaine et il m’a dit qu’il était ok. Il savait aussi qu’on allait aller vite, parce que je suis structuré pour ça.

On a l’impression qu’il est venu densifier, amplifier ta musique…

C’est une impression que j’ai aussi. Je me rends compte que j’ai été beaucoup à la recherche de la netteté, des choses bien architecturées, bien dessinées…  C’est un trait de caractère puisqu’en concert aussi, avec les musicien·nes, tout est très écrit. On va dire que j’étais plus à la recherche de la dentelle que du flou artistique. J’aime ça, mais je sais aussi qu’en tant qu’amateur de musique, j’aime me perdre dans des couches et dans du brouillard, mais ça je ne sais plus le faire. Et Ambroise (Sage, de son vrai nom Ambroise Willaume, ndlr) m’a complètement apporté ça, des couches multiples. C’est d’ailleurs ce dont on a parlé quand on s’est vus la première fois. Il m’a dit que ce qui lui manquait, c’étaient des deuxièmes plans, des choses plus cinématographiques, un peu moins précises, un peu plus floues. Pour moi il a apporté une épaisseur, une absence de netteté qui enrichit. 

Tu as invité plusieurs musiciens sur ce disque, tu as évoqué Robbie Kuster, il y a aussi Voyou et d’autres… Qu’est-ce qu’iels t’apportent ?

J’ai toujours collaboré avec plein de gens, même sur mes propres disques. Ces gens-là ont eux-mêmes une grande conscience de ce qu’est la chanson, de ce qu’est être chanteur et de ce que veut dire jouer de la musique sur une chanson, ce qui n’est pas pareil que de jouer de la musique dans un quartet de jazz. Voyou, par exemple, j’avais envie de l’inviter parce que je ressens une vraie fraternité avec lui. On a partagé beaucoup de moments d’écriture ensemble aussi, il écrivait ses chansons, j’écrivais les miennes, on louait des maisons pour partir écrire ensemble. Il a un son de trompette magnifique, très doux, très plein. J’avais aussi envie d’avoir des vents sur mon disque, à la place des cordes, pour ce qui est de créer le souffle de l’émotion. J’ai failli monter un petit ensemble de vents et finalement c’est juste Voyou, Voyou plus Voyou plus Voyou pour faire ces vents et c’est super !

Si mes mots semblent précis et justes pour d’autres, tant mieux, je suis vachement content !

Albin de la Simone

Peut-être encore plus cette fois, les textes sont ciselés, chaque mot est à sa place. Tu as cette volonté de chercher le mot exact à chaque fois ?

Ah oui oui ! Je peux l’affirmer sans même avoir l’impression d’être prétentieux, je ne peux pas faire autrement. La chanson n’est pas finie tant que je n’ai pas trouvé le bon mot et ça me rend dingue. « Pour être belle », j’y reviens, mais elle était finie pour mon album de 2017, elle était mixée ! Mais ce n’étaient pas les bons mots, ce n’était pas le bon refrain. Donc je l’ai remise en chantier, jusqu’à trouver LE truc. Mais quand je l’ai, je l’ai, je sais que c’est bon. Ce qui est fou, c’est que ce bon mot pour moi, il n’est peut-être pas mieux qu’un autre pour quelqu’un d’autre. Mais si mes mots semblent précis et justes pour d’autres, tant mieux, je suis vachement content ! Mais c’est vrai que tant que je n’ai pas trouvé le truc qui me touche, qui m’émeut, la formulation, l’image que je veux précisément, je suis bloqué. 

Est-ce que quand tu bloques tu peux rester sur la même chanson plusieurs jours ?

Ah oui, je suis resté quasiment tout l’été sur « Mireille 1972 ». Je suis parti de deux tableaux qui seront présents lors d’une expo au musée d’Orsay sur Manet et Degas, à laquelle je suis associé. Je savais que ça m’inspirait une thématique, celle de l’avortement, sur laquelle je voulais écrire. Mais là ça m’a rendu fou, tout l’été, pour trouver les mots justes, dans un champ lexical très dur. Je voulais être très clair et en même temps éviter tout le vocabulaire de cette thématique. Donc j’ai passé tout l’été dans un hamac avec un carnet quand tout le monde allait se baigner. 

Pourquoi as-tu voulu écrire sur cette thématique ?

Parce qu’elle me touche. C’est un sujet brûlant en ce moment, on recule à plusieurs endroits du monde. Les deux tableaux que j’ai vus m’inspirent ça, ce sont deux femmes qui évidemment n’ont pas vécu ça, mais ça m’a fait penser à ça : leur solitude, leur douleur, la manière dont l’homme se détourne complètement, j’ai imaginé ça et j’ai voulu en parler de la façon la plus claire et en même temps la plus allégorique possible. De la douleur et de l’illégalité, pour aussi comprendre qu’on a de la chance aujourd’hui.

L’album Les cent prochaines années d’Albin de la Simone est sorti le 3 mars sur le label Tôt Ou Tard. Albin de la Simone sera en concert au Cirque d’Hiver à Paris le 16 novembre prochain.

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