LITTÉRATURE

« Maud Martha » – Vie par fragments

© Gabriel Gay pour les Editions Globe
© Gabriel Gay pour les Editions Globe

Maud Martha est l’unique roman de la poétesse américaine Gwendolyn Brooks (1917-2000). Il se compose en poétiques fragments de vie.

Dans son introduction au roman, l’écrivaine Margo Jefferson émet une hypothèse pour expliquer l’oubli dans lequel Maud Martha a sombré. Selon elle, « il a été englouti par la force canonique des premiers romans de deux écrivains hommes. L’Homme invisible de Ralph Ellison était sorti l’année précédente, et La Conversion de James Baldwin la même année, en 1953 ». Aujourd’hui, les éditions Globe proposent une nouvelle traduction de ce livre, hapax dans la bibliographie de Gwendolyn Brooks. Maud Martha est son seul et unique roman comme le sera dix ans plus tard La Cloche de détresse (1963) pour Sylvia Plath. Mais, si les deux récits touchent de très près l’autobiographique, c’est leur seul point commun puisque le livre de Gwendolyn Brooks est calmement lumineux là où celui de Plath est sombre et tumultueux.

Ce qu’elle pouvait aimer les bonbons boutons, et les livres, et peindre la musique (do bleu profond, ré délicatement argenté), et le ciel de l’ouest, si changeant, vu des marches de la véranda de derrière ; et les pissenlits.

Maud Martha, Gwendolyn Brooks

Grandiose, la vie

Au seuil de son roman, l’autrice prévient : « Maud Martha est née en 1917. Elle est toujours en vie ». Par ces deux petites phrases liminaires, Gwendolyn Brooks tranche. Oui, ce livre sera fortement inspiré de sa vie puisqu’elle aussi est née en 1917. Mais non, elle n’écrira pas à la première personne et Maud Martha sera un personnage, un alter ego. Et la vie de ce personnage se résume en quelques mots : « une enfance normale, des Noëls joyeux ; des lambeaux d’histoires d’amour, un mariage, une grossesse et un accouchement, son enfant qui grandissait, ses essais avec la couture, ses discussions avec ses amis, ses ennemis ». 34 chapitres comme autant de fragments suffisent à Gwendolyn Brooks pour dresser le portrait d’une femme à la fois forte et peu sûre d’elle.

À la lecture du livre, c’est la veine poétique de l’autrice qui se fait sentir, notamment dans les premiers chapitres, ceux de l’enfance. Ils se composent de petits chocs d’images qui bruissent, se froissent et s’éclairent : un chaos de cours de récréation, la mort d’une grand-mère, la peur de quitter sa maison. Gwendolyn Brooks est la première femme afro-américaine à avoir reçu en 1950 le prix Pulitzer pour son œuvre poétique entre autres distinctions prestigieuses. Mais de ce lien avec la poésie il n’est dit mot dans le roman. Maud Martha aime les livres et on le lui reproche, mais c’est tout. Pas de fulgurance, pas de révélation ou de destin inéluctable. L’autrice efface la singularité de son parcours pour rapprocher son personnage des autres petites filles de son époque.

Pour son unique roman, Gwendolyn Brooks a choisit d’écrire à propos de l’ordinaire d’une vie. Elle laisse derrière elle sa poésie et un roman d’une apparente simplicité.

Elle craignait de lui avouer que rien n’« arrivait » à la plupart des gens. Qu’ils vivaient simplement au jour le jour, jusqu’à leur mort. Qu’au bout d’un an après sa mort, probablement moins de cinq personnes penseraient à lui plus d’une fois par an. Qu’une année viendrait où personne sur Terre ne penserait plus à lui.

Maud Martha, Gwendolyn Brooks

Maud Martha de Gwendolyn Brooks, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Huynh, éditions Globe, 208 p., 21 €

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