Tentant de livrer une satire sur les grandes entreprises de la tech, la primo-romancière Julie Girard signe un texte dégoulinant d’autocomplaisance, plus proche de la fanfiction que du roman.
Au départ, disons-le, l’idée était bonne. Sur la quatrième de couverture, quelques lignes un brin provocatrices sur Zack, trentenaire résidant à New York. Le protagoniste, qui doit occuper une bonne moitié de notre intrigue – il est marié à Eléonore, le personnage principal – est obsédé par la performance. Pour rassasier son féroce appétit de réussite, Zack consacre sa vie à monter des start-up afin de mieux les revendre à des mastodontes de l’internet, GAFAM en tête. Le graal ? Réaliser une levée de fond spectaculaire (plus d’un milliard de dollars) et devenir une licorne. Il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont ces licornes aux services souvent inutiles voire carrément nuisibles fleurissent et guident désormais l’économie mondiale, indépendamment de leur utilité pour le plus grand nombre. C’est de ce petit monde de la tech que Julie Girard tente tant bien que mal de dresser la satire.
Une intrigue façon cinéma français
Tout commence par une conférence de rédaction dans les locaux du prestigieux magazine The Economist, où Eléonore est journaliste. Cette française originale de Chambéry s’est hissée – excusez du peu – à la seule force de son poignet jusqu’au plus hautes écoles (elle est diplômée d’HEC) avant d’intégrer la rédaction du non pas moins prestigieux quotidien Le Monde. L’autrice nous fait comprendre que son personnage est une sorte de transfuge de classe. Pour preuve : ses parents n’ont pas de livres et ont le mauvais goût de regarder M6. L’odyssée personnelle d’Eléonore la mène jusqu’à New York, où à trente ans, on lui propose de suivre les nouvelles technologies pour le fameux magazine anglosaxon. Sur place, elle rencontre le passionné de performance Zack. Ensemble, ils ont une fille, un appartement, courent les dîners mondains chaussés de leurs paires de mocassins favorites et déclinent leurs références culturelles favorites pour rappeler à leurs interlocuteurs (mondains, riches et cultivés, eux aussi) combien leur réussite est totale. Une ombre assombrit cependant ce très capitaliste tableau. Digne du cliché de la femme mariée de Saint-Germain-des-Prés qu’adorent nous montrer les mauvais films français, Eléonore s’ennuie dans son mariage et rêve de s’envoler dans les bras de Victor, ex-amant et pianiste mondialement reconnu.
Le propos de l’autrice sur le capitalisme numérique fait figure d’arrière plan dans cette intrigue construite comme une fanfiction. Julie Girard entend dénoncer l’hypocrisie de cette « upper-class » new-yorkaise qui se fait des millions en imaginant des implants capables de remplacer le cerveau et dépense tout son butin en œuvres d’art inutiles. Ce discours critique est mâtiné de kilos de condescendance, celle qu’Eléonore affiche vis-à-vis de tout son entourage. Comme si le personnage était extérieur au problème, alors qu’il fait entièrement partie de ce que l’autrice aurait initialement voulu dénoncer. Aussi, ce personnage tellement parfait, a raison mieux que tout le monde. Le pauvre Zack, assoiffé de succès, fait alors figure de faire-valoir à notre héroïne. Elle-même constate entre deux apologies du cinéma de Robert Bresson et de la musique de Mozart que, décidément, ces bourgeois ont tout faux à se pâmer dans des mondanités hypocrites.
« Eléonore observait avec tristesse le glissement de cette classe moyenne supérieure qui avait tant souffert ces vingt dernières années. Pour la plupart, ces anciens cadres devenus chasseurs de licornes, l’entreprenariat était une pitance. Tous participaient, bon gré mal gré, au Hunger Game du XXIe siècle. »
Le crépuscule des licornes, Julie Girard
Suridentification à son personnage
On pourrait s’en amuser si l’autrice n’incluait pas à son histoire des passages si classistes et caricaturaux qu’on en rit jaune. Lors d’une visite à un ancien ami d’enfance que Zack a perdu de vue – il est lui aussi transfuge de classe – Eléonore constate la disparité entre le niveau de vie des deux couples. Amy, la compagne de l’ami d’enfance, est grosse, vêtue de léopard, une french manucure sur les ongles, boit du soda, mange des chips. En contraste, la « grâce » d’Eléonore dans ses mocassins. Les enfants du couple jouent aux jeux vidéos tandis que Zoé, la fille d’Eléonore et Zack, réclame son livre. Vous l’aurez compris, on a affaire à un couple de beaufs tandis que nos formidables héros, eux, ont réussi.
Julie Girard semble pousser trop loin l’identification à son personnage, jamais égratigné au cours des trois cent cinquante pages que compte le récit. Résultat des courses, l’intrigue est bien creuse (cette puce merveilleuse qui doit permettre de remplacer nos cerveaux, une mauvaise idée ? Comme c’est étonnant). Plus agaçant encore, le discours soi-disant critique sur les happy-few de New York est si emprunt des codes de cette même bourgeoisie, que même avec toute la bonne volonté du monde on peine à y croire. Le surétalage de références académiques est insupportable, et l’autrice nous l’assènera jusqu’à la dernière page. En fin de compte, Le Crépuscule des licornes reprend davantage les codes d’une (mauvaise) fanfiction, plutôt que ceux d’un bon roman.
Le crépuscule des licornes de Julie Girard, éditions Gallimard, 20 euros.