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King Gizzard & The Lizard Wizard au Zénith de Paris : le rythme et la liberté

King Gizzard and The Lizard Wizard en concert à Melbourne, Australie. Crédits photo : Simoen Van der Meent.

King Gizzard & The Lizard Wizard était de retour à Paris le 2 mars dernier. Après presque 4 ans d’absence, le groupe a donné un concert magistral dans un Zénith complet.

Dans le monde pré pandémie, King Gizzard nous avait prévenus. Lors de leur dernier passage en France pour leur tournée mondiale, en 2019, le groupe défendait son dernier album aux accents Thrash Metal, Infest The Rats’ Nest. Le refrain prophétique du premier morceau de l’album annonçait la couleur : There is no Planet B

Un retour attendu

De retour en France presque 4 ans plus tard, après des concerts annulés cet été pour raisons de santé, le groupe donne à voir ses évolutions. Un concert, plus qu’un disque, c’est une photographie d’un groupe à un moment donné de sa carrière. Nous avions donc laissé King Gizzard à l’Olympia, au mois d’octobre 2019, avec un concert comme une messe collective du rock indé australien. En première partie de leur tournée, non pas un groupe mais deux : Stonefield et ORB, des groupes sur le label de King Gizzard & the Lizard Wizard, Flightless Records. Nous les avions laissés avec une setlist éclectique comme toujours mais résolument rock. Ils affichaient 15 albums au compteur en à peine presque 10 ans de carrière. 

Nous les retrouvons donc cette fois au Zénith de Paris et on ne peut s’empêcher de se demander : qu’est ce qui a changé ? Le groupe est difficile à saisir tant il est en constante mutation stylistique. Il est aussi compliqué de se reposer sur leurs multiples concerts partout dans le monde pour trouver des marques d’évolution, car chaque concert propose une setlist différentes. King Gizzard, avec ses très nombreux albums, peut puiser dans un vaste catalogue de compositions pour chacune de ses apparitions. Le groupe prend plaisir à les étirer, les emboîter les unes dans les autres, à les auto-référencer.

Le groupe en studio. Crédits photo : King Gizzard & the Lizard Wizard

L’expérience des derniers albums

Les albums sont des prétextes pour King Gizzard. Des prétextes pour ouvrir des mondes divers et continuer d’expérimenter et pour produire toujours plus de matière à concert. L’agencement toujours différencié des morceaux du groupe en live font de chacun de ces moments une sorte de compilation unique et particulière. Pour ce nouveau passage en France, le groupe a ajouté 8 albums au compteur, dont 3 en octobre 2022, reproduisant ainsi l’exploit des cinq albums de 2017. Nous ne pouvons qu’inviter les lecteur·rice·s à se plonger dans ces productions tant elles sont aussi diverses que qualitatives. 

C’est dans ces derniers albums qu’on peut comprendre la mutation du groupe qui l’amène à jouer tel qu’il l’a fait au Zenith. Les trois albums parus en 2021 : KG, LW et Butterfly 3000 ont montré les talents de songwriting de King Gizzard et en particulier de son compositeur principal : le chanteur et guitariste Stu McKenzie. La technicité déployée dans la composition et la production ont par la suite laissé place à des albums beaucoup plus élastiques, improvisés, aux pistes longues, en un mot : jazz.

Si chaque album de King Gizzard est une nouvelle exploration, on entend très fortement cet esprit jazz dans les plus récents. S’il était déjà présent depuis les débuts du groupe, notamment dans l’album Quarters !, il s’affirme de nouveau ici. Mais ce n’est pas n’importe quel esprit jazz qui s’insuffle dans le jeu du groupe : c’est celui des Grateful Dead, des Phish et autres jam band. Ces groupes qui utilisent leurs compositions comme prétexte à l’improvisation en concert. King Gizzard s’inscrit dans une longue tradition musicale, qui refuse les classements, les étiquettes et la stabilité. 

Le rythme libéré

Tout cela s’entend. Le groupe prend un plaisir immense à improviser. Sur scène, on entend beaucoup plus de solos. On laisse le temps d’installer des ambiances. On se regarde avec malice, cherchant l’énergie collective pour mener l’improvisation. La différence est de taille. En 2019, nous étions face à un rouleau compresseur, fier de sa dernière production metal. En 2023, le groupe prend son temps, affiche une subtilité et une finesse musicale dont peu d’artistes de leur envergure sont capables. Un élément y joue pour beaucoup. Parmi les changements effectués, un batteur a disparu. King Gizzard historiquement, c’était 7 membres, avec deux artisans rythmiques, qui jouaient face à face, ou côte à côte, toujours en se regardant, veillant à leur synchronicité parfaite.

Durant le confinement, Eric Moore annonce se retirer du groupe pour se concentrer sur le label Flightless Records. Si on peut déplorer le manque d’épaisseur du rythme dans des morceaux orientations Krautrock, comme Rattlesnake qui ouvrait le concert, on ne peut qu’être heureux de la place laissée. Michael Cavanagh, désormais unique batteur, s’est libéré et a insufflé cette liberté dans la musique de King Gizzard. C’est comme si auparavant il restait collé musicalement à son camarade, sans chercher à créer du contraste, à le dépasser. Désormais, ce qu’on peut entendre sur scène, c’est une batterie extrêmement technique, qui irrigue tous les musiciens. Le rythme est free, se fait moins rock, beaucoup plus jazz, il fait danser. On quitte la rythmique binaire des premiers albums garage rock du groupe pour s’aventurer dans des espaces temporels qui ne demandent qu’à être explorés. 

King Gizzard est maître de son art

Le résultat est sans appel. King Gizzard aligne deux heures de musique sans discontinuer dans une variation stylistique sans équivalent. On passe du Krautrock microtonal au rock le plus efficace, du jazz au metal, du Hip Hop tendance Beastie Boys à l’ambient. On peut se rendre compte de l’éclectisme de la setlist sur l’excellent site de recension setlist.fm. Le groupe joue avec son catalogue comme avec des legos. Il empile les briques colorées pour construire un édifice cohérent avant de tout démonter pour recommencer le lendemain dans une autre ville. La musique passe par tous les états, on entend du AC/DC en introduction d’un morceau, on voit les musiciens passer des synthétiseurs à la guitare, on se délecte des textures créées sans jamais savoir où elles nous mènent.

Pour finir, le groupe aligne trois morceaux de leur catalogue metal achevant la foule réunie pour les écouter, dans un Zénith qui affichait complet. King Gizzard est tout puissant. Rares sont les artistes qui ne font que progresser sans discontinuer. Ils sont aussi rares ceux qui se mettent en danger à chaque nouvelle sortie, qui remettent au travail leur art à chaque concert pour fuir tout automatisme. On pourrait avoir peur d’étouffer, de se lasser de ces sorties trop nombreuses, de ces changements trop radicaux, et pourtant, la magie opère à chaque fois. 

King Gizzard and The Lizard Wizard en concert à Guadalajara, Mexique. Crédits photo : Diego Guillien

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