Inspirés librement de la pièce de Jon Fosse du même nom, Damiaan De Schrijver et Matthias de Koning, metteurs en scène scène et interprètes, restent fidèles au texte Je suis le vent tout en nous proposant une pure expérience théâtrale.
Je suis le vent est interprété en néerlandais et surtitré en français. Deux hommes d’un certain âge, vêtus de costumes noirs, s’assoient sur deux chaises au centre du plateau. Ils sont sur un bateau, amis de route, ils se parlent sans communiquer et se connaissent sans se comprendre. Un océan les sépare alors qu’ils sont sur le même navire. Ce spectacle rend compte de notre incapacité à comprendre l’autre. L’un est dépressif et tente de l’expliquer de manière imagée à son camarade qui, malgré une grande volonté, peine à saisir.
Ils discutent de choses profondes avec futilité ; la communication brouillée qu’ils arborent témoigne de leurs solitudes même s’ils sont deux. La distance entre les deux personnages est tant spatiale que spirituelle et langagière.
Images dialoguées
Nous assistons à une représentation théâtrale en noir et blanc. Le noir de leurs costumes, du plateau, des deux chaises et du fond se mêle au blanc de leurs peaux et cheveux. Tout est noir, parquet, mur, deux chaises, et nous voilà sur un navire. La scénographie n’est pas explicite mais les mots le sont. La barque n’est que support pour illustrer la solitude, la peur de l’existence et apporte du lyrisme aux dialogues. C’est un spectacle un peu vertigineux qui laisse une impression de vide.
La tension pourtant simplement installée peut être insoutenable et l’ennui des répétitions incessantes ont valu à certain·es spectateur·ices de quitter le navire. Quand on y réfléchit bien, chaque répétition présente une variante quasi imperceptible et c’est là tout le talent de dramaturgie de la pièce.

Si vous cherchez un théâtre de l’action, vous n’en trouverez pas. « L’action ne doit pas être accomplie, mais rester imaginaire », tels sont les mots de Jon Fosse et ils sont respectés à la lettre dans cette représentation. C’est dans la mesure des gestes et de l’action que se trouve toute l’originalité de cette représentation.
Une communication brouillée
Dans Je suis le vent, la misère se lit dans la fumée des cigares et dans les canettes de Kronenbourg. Elle se comprend aussi dans les paroles imagées remplies de souffrance de l’un. Tout, la mise en scène, le texte, la scénographie, aspire à quelque chose de sombre. Et pourtant on rit, mais ce sont des rires sous tension. La frustration du public est palpable face à la lenteur et à l’incapacité de communication qu’il y a entre les deux navigateurs. Le rire relève de l’absurdité de leur non-communication.
Le quatrième mur est brisé avec des adresses aux régisseur·euses par rapport aux surtitres. Ces derniers ont une place capitale au sein du spectacle, ils sont signe de mauvaise communication et parfois d’incompréhension entre les deux personnages. Ils sont, comme le dit l’un des comédiens, une ancre pour savoir quoi dire. Ils cassent aussi le rythme et donc l’émotion du public en passant de la mélancolie aux rires.
Les surtitres évoquent aussi une réflexion sur la barrière de la langue, de courts passages n’étant pas traduits. C’est vrai qu’il est difficile de plonger complètement dans un spectacle où l’on doit lire pour comprendre une langue dont nous ne connaissons pas la mélodie ni les expressions rythmiques. Le choix d’un long monologue de fin en français rend le discours sincère car maladroit de prononciation. L’identification aux personnages est plutôt difficile car il émane d’eux une impression de lointain, tant spatial que relationnel.