Rébecca Chaillon, performeuse, metteuse en scène et comédienne militante secoue les consciences occidentales et colonialistes dans Carte noire nommée Désir, spectacle tant électrique que contemplatif.
Carte noire nommée Désir naît d’une nécessité de montrer au théâtre la vie de femmes racisées en France. Au sein d’une France blanche et aseptisée, un groupe de femmes noires et métisses nous délivrent de façon très corporelle, leurs histoires personnelles. Dans le contexte actuel, ces histoires relèvent de l’universalisme et nous concerne à tous·tes. Politique aussi au niveau du corps, terrain indispensable à la pratique de Rébecca Chaillon.
Sur scène, il y a des canapés pour accueillir des spectatrices ou personnes assignées femmes et afro-descendantes. La disposition bi-frontale des spectateur·ices ne rend pas compte d’une envie de confrontation. Elle donne plutôt l’air d’une séparation de seulement 1h45 (nous précise la voix sortie des enceintes du hall). Cette configuration illustre le fossé et l’aspect privilégié des personnes blanches en dépit des personnes noires.
Une performance scénique
Le spectacle commence et le temps s’étire. Rébecca Chaillon nettoie un sol déjà brillant, aveuglée par ses lentilles de contact blanches. Une autre femme manie l’argile avec une tournette de table. Ces actions performatives laissent place à la contemplation.
Le rapport au temps est étrange puisque le présent se manifeste à travers la performance. Mais les racines du passé auxquelles tentent de s’accrocher les performeuses persistent. Le futur se ressent à travers la scénographie d’un blanc éclatant et d’un vide intersidéral. Ces femmes sont perdues dans le temps et dans l’espace. Ni tout à fait d’ici, ni tout à fait de là-bas. Pourtant, c’est le portrait de femmes fortes qui est dessiné ici. Elles tentent de tresser passé et présent, de tisser leur histoire qui mélange racines et présent hostile.

Comme toujours dans les créations de Rébecca Chaillon, il y a un rapport fort à la nourriture. Le titre Carte noire nommée Désir fait allusion aux qualificatifs donnés par les personnes blanches pour désigner les corps noirs comme « café » ou encore « chocolat ». La metteuse en scène aime jouer avec les mots et on le retrouve dans sa poésie. Désir que peuvent porté des personnes blanches fantasmant l’« exotisme » des corps noirs.
Comme dans toutes les créations de la metteuse en scène, le corps est central. Des corps qu’elle aime qualifier de politiques car marginaux ou en tout cas bénéficiant de peu de visibilité. La nudité est donc de mise dans ce spectacle. Les corps sont banalisés, rendus comme œuvre d’art et ils sont revendicatifs.
Quand on sort de ce spectacle, nous ne pouvons discerner ce que nous avons vu. Seule l’expérience du moment présent reste. Il y a beaucoup d’images, de sensations, de prises de conscience de notre vision encore trop colonialiste et de notre privilège d’être blanc·he·s. Toujours avec des images époustouflantes, les spectacles de Rébecca Chaillon restent en mémoire et nous font vivre une expérience inouïe.
Ce spectacle se vit, se ressent et pousse à l’introspection et au questionnement de nos comportements occidentaux.
Un engagement inévitable
Le corps est politique. La nudité est entre autre normalisée mais banaliser ce genre de corps, celui de femmes noires grosses ou pas, est éminemment politique. Avec beaucoup d’auto-dérision elle expose les pensées et réactions racistes qu’elles subissent. La place du public majoritairement blanc au théâtre n’est pas confortable. Les spectateur·ices sont pris·es à partie lors d’un jeu interactif aussi drôle que révélateur de l’existence persistante du racisme en France. Malgré le fond (bien remonté à la surface) politique navrant que le spectacle dénonce, on rigole beaucoup. Des blagues plus ou moins subtiles parsèment la représentation.
Une attention particulière est apportée au politiquement correct. Des trigger warnings sont annoncés pour les personnes sensibles et ça fait du bien.