CINÉMA

« Atlantic Bar » – Cartographie d’un territoire en voie de disparition

Jean-Jacques de dos et Nathalie, tête contre tête à l'Atlantic bar
© SOLAB PICTURES

À l’origine projet photographique, Atlantic bar s’est transformé, au gré des rencontres de sa réalisatrice, en un film documentaire. Il s’agit du premier signé du nom de Fanny Molins. Difficile à croire, tant il parvient à épouser la complexité des situations qu’il s’attache à porter à l’écran.

L’Atlantic bar, c’est le bar du coin de la rue. Ou celui de la place du bourg. Peu importe, de villes en villages, invariablement, c’est un lieu de rencontres et d’habitudes. Un lieu de sociabilité laïc et populaire, dont l’existence fait coexister celles d’individus épars, habitant dans ses environs.

L’Atlantic bar que filme Fanny Molins se situe à Arles. Derrière le comptoir, il y a Nathalie et Jean-Jacques. Le couple travaille de concert, mais c’est sur la figure de Nathalie que le film se centre rapidement. Au rez-de-chaussée, dans l’espace collectif du bar, c’est autour d’elle, c’est-à-dire, de sa voix, de sa répartie, de son corps, que semble s’organiser la vie de cette micro-société. L’équipe du film aurait pu être tentée de s’en tenir à la mise en scène, voyeuriste et bourgeoise, de ce véritable personnage de théâtre. Mais Fanny Molins a l’intelligence, et la décence, de rendre à Nathalie le pouvoir de se raconter elle-même.

Des «  piliers de bar  », pour de vrai  !

Un étage plus haut, dans la partie qui sert d’appartement au couple, Nathalie raconte donc son histoire. Et, face à la caméra, un nouveau fil rouge émerge  : celui de sa maladie, l’alcoolisme. Cette construction narrative – et formelle – permet à Atlantic bar de construire le portrait complexe d’une femme qui apparait tout aussi vulnérable que solide. C’est une seule et même personne qui habite le cadre et ce, dans la sphère intime comme dans l’arène publique du bar.

Surtout, la figure centrale de Nathalie prend sens dans les relations qu’elle entretient avec les autres individus qui peuplent le documentaire. Il y a d’abord Jean-Jacques, co-patron mais aussi, et peut-être avant tout, compagnon de route. Et puis, il y a tous les « piliers de bar ». Ceux que celleux qui lisent ces lignes ne connaissent surement que comme des figures abstraites, appartenant à l’imaginaire populaire. Ces figures, Fanny Molins prend soin de les incarner. Dans des cadres serrés, à la lumière et aux couleurs remarquables, la réalisatrice prend le temps de faire apparaître des portraits singuliers et complexes. En mêlant, comme pour Nathalie, moments de vie au bar et entretiens intimes, le film sonde les parcours et opère un va-et-vient constant entre l’individu et le collectif dans lequel il s’insère. On comprend d’ailleurs que cette insertion se fait souvent plus par nécessité que par choix. Un état de fait qui n’empêche pas les éclats de rire, ni les coups de gueule.

un homme seul, à une table de bar; avec une bière entamée
© SOLAB PICTURES

Le spectre de la gentrification

De la sorte, Atlantic bar tisse un maillage extrêmement serré de relations sociales et économiques. Cette dimension prend une place d’autant plus importante lorsque Jean-Jacques et Nathalie apprennent que leur bailleur souhaite revendre le fonds de commerce – impliquant donc la fermeture prochaine du bar. Face à un prix de rachat exorbitant, leur « politique des prix », pour que le bar reste accessible à tous·tes comme l’explique Jean-Jacques, n’en mène pas large. Sous le soleil, et sur les pavés d’Arles, la gentrification grignote tranquillement du terrain. L’Atlantic bar n’en est ni la première, ni la dernière victime.

Apparait alors qu’à l’échelle nationale, comme locale, les intérêts économiques – et politiques – des plus riches continuent sereinement de détricoter un maillage social autrement plus riche et plus important que la juxtaposition de trajectoires individuelles imposée par l’idéologie libérale. Car Atlantic bar et ses personnages le montrent clairement : il n’y a rien de romantique dans la précarité, ses maladies, ses violences. Mais il y a, dans l’agrégation des trajectoires marquées de son sceau, une force de résistance importante. Un mot d’ordre qui fait plus que sens dans le contexte actuel des mobilisations contre la réforme des retraites. Car si la fonction première des « bouffons du roi » – c’est ainsi que se décrit l’un des protagonistes du film – est de provoquer le rire, celui-ci se fait toujours au détriment des figures d’autorité.

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