Mêlant histoires personnelles et histoire du théâtre, Fanny de Chaillé, metteuse en scène et chorégraphe, organise un débat endiablé et organique au plateau.
Dans Une autre histoire du théâtre, c’est avec intelligence et beaucoup d’humour que la metteuse en scène Fanny de Chaillé aborde l’histoire du théâtre du XX° siècle en Europe. Projet ambitieux et risqué, ce spectacle passe au-delà des obstacles de temps, d’infantilisation ou même d’effet « exposé ». Il est drôle, vivant et singulier. Ici, pas d’élitisme, le spectacle est tout public à partir de 10 ans.
Une autre histoire du théâtre est incarné par quatre acteur·ices prestigieux·ses : Malo Martin, Tom Verschueren, Margot Viala, Valentine Vittoz. Iels s’interprètent elleux-mêmes et interprètent d’autres textes en tant qu’acteur·ices. La parité ne semble pas hypocrite mais essentielle pour la représentativité du théâtre au XX° siècle au XXI° siècle.
Le spectacle est une constante mise en abyme du théâtre. C’est dans cette configuration que le jeu d’acteur est exigeant. Les transitions entre un jeu « naturel » et un jeu « appuyé » sont abruptes et donnent du rythme. Et elles sont d’une grande technicité.
Une jouissance visuelle
Malgré un contenu réfléchi, le corps reste tout de même central. Les corps pétillent de jeunesse, se dévoilent et sont mis en mouvements chorégraphiés. D’autant plus que les corps ont un placement géométrique mesuré. Nous constatons sans trop d’effort le travail léger mais qualitatif de chorégraphie. Les placements des comédien·ne·s sont parfaitement maîtrisés. De courtes scènes sont accordées à des moments de danse. Véritable instrument de l’acteur·ice, le corps est vecteur d’une véracité de l’émotion.
A l’aide d’une scénographie sobre, celle d’un plateau nu, Fanny de Chaillé nous dévoile avec justesse les rouages du théâtre. Cette sobriété permet la mise en valeur des corps et du jeu qualitatif des acteurs et actrices vêtu·es de vêtements colorés. L’utilisation des moyens techniques que propose le théâtre est perspicace. La justesse est autant présente dans le jeu que dans le propos.
Grâce à ces corps libres mais régis par une grande maîtrise et quelques effets techniques, le spectacle nous offre de belles images aussi simples que remarquables. De cette manière-là, elle montre que le théâtre ne dépend pas seulement de grands moyens techniques mais est avant tout une affaire organique.
Justesse du propos
La justesse des propos est agréable. Grâce à l’écriture collective et les expériences recueillies de chacun·e, les réalités du théâtre sont exposées. Cette réalité passe par divers corps de métiers au théâtre : metteur·se en scène, comédien·ne, professeur·e de jeu. Beaucoup de points abordés sont au centre du débat théâtral et dévoile le mécanisme parfois insensé que le théâtre utilise. Notamment dans l’ambiguïté qu’il représente entre réalisme et fiction.
Les secrets de la magie théâtrale sont dévoilés de manière souvent comiques, parfois tragiques mais toujours abordés. Ces révélations n’enlèvent pourtant rien à la fascination de la scène. Dans ce spectacle il n’y a pas de mise à distance, ce qui créé une mysticité simple mais tangible. Montrer l’impossibilité et les paradoxes du théâtre qui dépassent l’entendement et qui créent discorde.
La finesse du propos découle aussi d’une recherche documentaire approfondie de la chorégraphe. A partir de ces investigations, les comédien·nes ont improvisé. Avec un travail de références, les allusions aux grands noms du théâtre se font nombreuses passant par Grotowski, Pina Bausch ou encore Jeanne Moreau. N’ayez crainte si ces noms ne vous disent rien, cette pièce parle à tout le monde et il n’est pas nécessaire d’être un·e spécialiste pour apprécier.
Hypnotisant, pétillant et remarquablement technique, on regrette qu’il ne dure qu’une heure – contrainte du tout public.
Une autre histoire du théâtre, Fanny de Chaillé, le 7,8,9 février 2023 au Lieu Unique (Nantes) et du 23 au 27 mai 2023 au CDN de Lyon.
