LITTÉRATURE

« Un Monde sans travail » – Face aux avancées technologiques, l’urgence de repenser notre société

Un monde sans travail
éd. Flammarion

Le chercheur Daniel Susskind revient sur l’empiétement progressif des machines sur le travail. Un monde sans travail propose des pistes de réflexions sur le sens qu’on lui accorde et en appelle à un renversement de nos modes de vie.

ChatGPT va-t-il remplacer les journalistes ? Les professeurs ? Les entrepreneurs ? Voire les chirurgiens ? Depuis quelques semaines, la question ne cesse d’être posée dans les différents médias. L’accès gratuit aux internautes, depuis novembre dernier, à ce robot conversationnel capable de répondre à des questions, de développer des textes ou de coder, bouscule les cols blancs. Deux mots reviennent sur toutes les lèvres : Intelligence artificielle. Une technologie visant à inculquer la faculté de raisonner aux outils numériques et aux machines les plus pointues. ChatGPT, développé par la start-up californienne OpenAI, en est lui-même doté. Alors que le robot fait des ravages sur les copies universitaires et les lettres de motivation par la précision des textes qu’il produit, voilà qu’il fait réapparaître le spectre d’un monde sans travail.

Cette inquiétude n’est pas nouvelle et c’est tout l’enjeu du livre de Daniel Susskind. Le chercheur en économie au King’s College, entend montrer que cette angoisse d’une société sans travail agite l’être humain depuis toujours. Des premiers automates développés par Léonard de Vinci à l’ordinateur DeepBlue qui battu en 1997 le meilleur joueur d’échecs du monde, il relate avec précision, au fil des époques, le développement de ces technologies. Et si certains passages peuvent s’apparenter à un exposé chronologique un peu fastidieux, il nous prouve que ces machines empiètent sans cesse un peu plus sur les tâches humaines.

Tous au chômage ?

Daniel Susskind s’amuse presque à jouer avec nos angoisses. Non le chômage technologique ne balaiera pas le travail humain du jour au lendemain, rassure-t-il dans un premier temps. En revanche, il ne fait aucun doute que personne ne sera épargné par cet empiétement des IA sur nos manières de travailler. L’auteur tire la sonnette d’alarme et nous met en haleine. En vérité, il y a urgence à se pencher sur ce basculement. Deux scénarios s’offrent à nous : se servir des nouvelles technologies pour enrichir nos métiers ou réfléchir à une autre société. Une société où le travail, réalisé par les nouvelles technologies, ne serait plus au cœur de nos vies.

Cette mutation, nous avons tendance à la retarder coûte que coûte, quitte à user de ces technologies pour passer plus de temps enchaînés au bureau. Par exemple, les outils numériques utilisés pour traquer les salariés n’en finissent pas de proliférer dans les entreprises. Daniel Susskind nous place sans détours devant notre addiction collective au travail, alors même que nous aurons, d’ici peu, la capacité de ne plus nous acharner au labeur.

Une société du loisir

L’économiste nous invite à réinterroger cette valeur travail aliénante. Philosophiquement, il s’interroge sur le sens de la vie humaine et le rôle de l’État dans cette affaire. Il nous plonge dans notre histoire et nous invite à revenir aux fondamentaux. Il ne prétend pas disposer de solutions toutes trouvées, mais donne quelques pistes. Si certaines sont un peu convenues, d’autres sont novatrices. Créer un super État-providence, développer une politique du loisir, taxer les big techs ou instaurer une forme de revenu universel.

Avec cet essai, Daniel Susskind dresse finalement une réflexion intéressante sur le vivre-ensemble. Comment nos communautés pourraient se transformer pour mieux valoriser les actes bénévoles ou les métiers du lien. Comment l’État pourrait inciter les citoyens à adopter ces changements. Si le chercheur débute son exposé sur notre peur de finir isolé et sans emploi, il réussit, en 400 pages, à nous donner l’envie de bâtir ce nouveau monde sans travail.

Un monde sans travail de Daniel Susskind, éditions Flammation, 24 euros.

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