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Rencontre avec Martin Luminet– « J’ai envie d’aller pleinement vers tout ce qui me fait peur »

Martin Luminet
© Anoussa Chea

En 2021, Martin Luminet sortait un EP, Monstre, des mots nerveux et urgents, déversés brutalement de nos oreilles à nos cœurs. Il poursuit l’exploration d’une intimité viscérale avec les onze chansons de Deuil(s), sorti ce 17 février, premier album inclassable et brûlant d’un désir de s’exprimer le plus sincèrement possible. Rencontre avec un garçon lucide qui n’épargne ni son époque, ni lui-même et qui écrit « pour être vivant ».

Destiné à reprendre la chocolaterie familiale, rien ne semblait prédire un parcours musical à Martin Luminet. Et pourtant… l’évidence s’impose pour trouver son propre chemin et surtout survivre loin de l’ennui et des mornes habitudes. Une première prise de risque : écrire des textes et chanter pour un groupe de copains alors qu’il n’avait encore jamais mis de mots sur ce qu’il ressentait et ce qu’il était. Une épiphanie tardive mais vitale le conduit à sortir le Monstre de son cœur et de ses tripes en 2021. Deux ans plus tard, l’inévitable étape du premier album se retrouve bouleversé par les Deuil(s) de la vie. Le projet de raconter l’intimité collective se voit métamorphosé par une douloureuse rupture amoureuse l’amenant à reconsidérer l’écriture de sa propre intimité.

Et pourtant… en racontant ses deuil(s), en livrant ses doutes et ses failles avec lucidité, en alliant ses mots avec une musique fiévreuse qui résonne dans les corps, en se regardant lui et notre « Monde » en face, Martin Luminet nous tend le miroir vers cette intimité collective recherchée. Par ailleurs, le garçon qui construit ses chansons comme des films, « qui se retourne dans les cinémas , qui dit que « pour se remettre d’une rupture il faut (…) une carte UGC », qui réalise ses clips comme des courts métrages, confie tendre viscéralement vers l’écriture filmique. Comme une prochaine prise de risque pour le garçon qui avoue avoir « envie d’aller pleinement vers tout ce qui (lui) fait peur. »

Tu sors ton premier album après ton EP Monstre, qui était plutôt viscéral, mais plus sombre, comme un appel urgent. L’ album semble être un peu plus dans l’acceptation de ces tristesses et de ces Deuil(s), tu peux me parler de sa genèse ? 

C’est vrai que pour l’EP, il y avait un truc très urgent car je suis arrivé à la musique très tard dans ma vie. C’était un chemin de vie. J’ai mis tardivement des mots sur ce qui m’arrivait. Il y avait une espèce d’incendie de devoir tout dire le plus frontalement et le plus sincèrement possible, dans le fond comme dans la forme. D’où le côté parlé, car il fallait que ça sorte comme ça aurait du sortir et que je me l’entende dire. Pour l’album, je ne pouvais pas écrire sans urgence non plus, mais je voulais l’EP comme un court métrage et l’album comme un long métrage. Quand tu te lances dans un album, il faut que tu puisses avoir une perception de là où tu veux aller, quelles zones tu veux couvrir de ton intimité, les questions qui te traversent, etc.

Au départ, je m’étais lancé dans l’écriture d’un album d’intimité collective. Un album de société après l’EP qui était très égocentré. Il y avait beaucoup de « je » mais il se terminait sur un « nous ». Je voulais continuer ça. Parler du nous, voir ce que ça fait de le digérer, est-ce qu’il y a du « je » dans le « nous » ? Est-ce qu’il y a des choses qui nous connectent alors que l’on est tous chacun dans notre coin ? Et hasard de l’histoire, il se passe des trucs historiquement qui nous touchent tous avec les crises sanitaire et climatique. Quand tu es un minimum sensible, l’urgence nait très vite. J’ai une façon d’écrire qui est plutôt journalistique, car je passe beaucoup de temps à noter des petites idées, puis rentrer chez moi et les caler dans une espèce de trame de film. Je le construisais avec du recul sur cette urgence, en prenant de la hauteur sur comment parler de l’époque, de toutes ces crises qui nous mâchouillent, nous, cette génération prise entre plusieurs conflits : sociaux, intimes, planétaires… 

Mais au milieu du processus, je vis une rupture amoureuse tout en continuant d’écrire mon album comme un envoyé spécial. En parallèle, je crevais de l’intérieur en pensant que l’album me faisait penser à autre chose. Puis, j’ai dû voir les choses en face et reconsidérer que cet album allait parler de moi ces deux dernières années. Je ne pouvais pas faire comme si je n’avais pas été à terre ces années-là. Je ne veux pas me le cacher, ni le cacher aux autres. Il n’y avait que la chanson et l’écriture pour me sortir de ça. D’un coup, il y a eu un truc très nerveux qui est rentré en lice, essayer de faire parmi tous ces deuils. Le deuil amoureux m’a ramené au deuil de mon grand-père sur lequel j’écrivais en avançant très sereinement, car j’avais rencontré la personne avec qui j’étais à ce moment-là. Ça s’était croisé et j’avais l’impression que la vie m’envoyait un signal hyper fort. On t’enlève quelqu’un d’important, mais on va t’offrir pour une fois un amour grandiose. Et quand on t’enlève l’amour, tu te retrouves dans la situation où on t’enlève ce qu’on t’avait donné pour combler le manque de quelqu’un d’autre. J’ai dû reconsidérer mon deuil vis à vis de mon grand-père. J’ai dû retourner au feu parce qu’il y avait quelque chose qui brûlait de nouveau. Il fallait écrire tout de suite. 

Je me suis demandé si ces questions du deuil, de la rupture amoureuse, est-ce qu’on les traverse tous pareil ? Mais je ne veux jamais tomber dans le fait d’écrire en me mettant à la place des autres. Je pars toujours du prisme intime en me disant si ça répond à l’extérieur, c’est une bonne nouvelle. Je ne veux pas faire le jeu de me travestir en écrivant pour le grand public ou penser que j’ai capté ma génération. Je veux savoir ce que moi je suis au sein de cette génération, et si quelqu’un répond à l’autre bout de la chanson alors oui il y a un truc un peu plus collectif qui se crée.

C’est plus facile de partir de soi pour aller à la découverte de cette intimité partagée collectivement ? 

Je n’ai pas la prétention de comprendre le reste du monde, je me dis qu’il faut déjà que j’arrive à me comprendre moi, que je comprenne comment je réagis face à ce monde-là, pourquoi je doute, pourquoi je bute, pourquoi je me sens lâche et j’ai l’impression de ne pas avancer, pourquoi, là j’ai l’impression que personne n’avance… Je ne peux pas me mêler des gens autour, car si je le fais, je vais peut-être baisser la garde sur moi-même. J’essaie de rester droit dans cette époque et de me concentrer sur moi pour jouer le jeu du hasard qui fait que de parler de soi peut faire écho à d’autres intimités. 

Il y a un peu trois thématiques dans ton album qui s’entremêlent dans les chansons : ces deux deuils, toi en tant que garçon de ton époque qui assume ses doutes, ses échecs, ses fragilités… et l’époque que tu n’épargnes pas…

Je pense que l’espèce humaine est responsable de tout ça, que ce soit socialement ou l’environnement. C’est une très mauvaise nouvelle, mais on devrait pouvoir trouver les clés pour préserver ce monde. On est coupable et victime en même temps. C’est un peu cynique, mais on s’est foutu tout seul dans la merde. On ne peut s’en prendre qu’à nous-mêmes. C’est comment on change, comment on éduque différemment… Je pense que l’humain peut se relever de tout par une force insoupçonnée. Mon époque je ne l’épargne pas, car je ne m’épargne pas non plus. Je pense que je suis tout autant responsable de tout ça par négligence, par omission et parfois par lâcheté. Je préfère regarder lucidement l’époque et donc moi, car sinon tu penses que tu n’es pas responsable et ton impact, c’est de l’absence. Si on commence à s’absenter, les mauvaises personnes vont plus facilement avoir les mains libres pour faire n’importe quoi ou on va laisser le monde dégringoler. 

Lucidité, justement, c’est le mot qui résume peut-être le mieux cet album et ton écriture, d’ailleurs…

Oui, je trouve ça important, l’époque est tellement riche sur ce point de vue là. Elle est dure, mais pour les personnes qui font de l’art aujourd’hui ça donne quand même une matière. Si tu enlèves les drames dans la vie des gens, l’art serait moins fort et là, on est dans une époque qui est éprouvante, qui brise beaucoup de gens. En tant que personne qui peut recycler ça et en faire quelque chose d’artistique pour consoler des choses ou des gens, on se doit d’être au moins lucide avec l’époque et ne pas regarder ailleurs en se disant, on va faire du disco pendant que le monde brûle. C’est mon engagement à petite échelle. Il faut essayer de réveiller un maximum de conscience, dont la nôtre. 

À quel moment c’est devenu nécessaire pour toi de t’exprimer par la musique, par les chansons ?

Je me sens impuissant sur tous les autres sujets. Je ne pense pas pouvoir faire de la politique, je n’ai pas une vie associative développée… Je ne suis pas armé pour ça. Ce n’est pas ma place, je ralentirai tout le monde. Ma place, c’est d’avoir une envie de prendre de la hauteur, d’analyser, de comprendre et d’éprouver ce qu’il se passe, puis de le restituer. Je ne peux pas faire croire que je suis quelqu’un d’engagé politiquement. Je suis engagé intimement, mais je n’ai pas les épaules pour être sur le terrain. Si on accepte chacun d’être à notre bonne place, ça roulera, mais au moins, on investit notre place pleinement. 

Et quelle a été la rencontre qui a fait que ta place à toi était dans la musique ? 

Je m’ennuyais dans mes études. Je devais reprendre la chocolaterie de mon grand-père. On m’avait mis sur des rails. On m’avait filé les clefs d’une vie qui allait très bien se passer financièrement, intellectuellement, etc. Tout le monde allait m’aider dans mon cercle proche si je suivais les règles que ces gens-là avaient imposées pour moi. J’en parle comme si c’était une torture, mais ça fait partie de ces prisons dorés où les gens ne te veulent pas de mal. Ils sont inquiets et préfèrent te mettre à l’abri. Sauf que si on te met à l’abri sans te demander ton avis ou quel est ton endroit de sécurité, moi, c’était tout ce qui m’insécurisait le plus.

La musique avait ces deux choses-là, pour une fois, j’arrivais à sortir d’une zone maîtrisée par mon cadre de vie. Personne ne faisait de la musique chez moi, on avait aucune éducation artistique. J’avais l’impression de m’exprimer par une voix qui était la mienne. J’avais toujours fait les sports que tout le monde faisait dans ma famille. On ne m’avait pas éduqué à devenir moi-même, mais à devenir poli, présentable… On ne m’avait pas appris à prendre cette voie, à tester des limites, à voir ce qui te plaît ou pas, à revenir de ça, à corriger, à retourner essayer d’autres choses avant de dire « je sais qui je suis ». Ça a mis du temps et par la musique, j’avais pour la première fois un espace qui m’était propre que personne ne m’avais suggéré ou imposé. Écrire c’est mettre des mots sur ce que tu ressens donc il faut que tu te demandes ce que tu ressens. J’ai eu l’impression d’ouvrir un puits… Ça faisait 25 ans que je ne m’étais jamais interrogé sur ce que j’étais dans cette société, ce que j’étais intimement. Quelles sont mes failles ? La question d’être un garçon, qu’est ce que ça veut dire être un garçon ? Pourquoi tu n’as pas l’impression de ressembler aux codes des autres garçons ? Qu’est-ce que tu es vraiment ? Pouvoir explorer tout ça, ça sauve une vie. Sinon je me serai probablement enseveli dans un grand ennui, dans une vie qui aurait tout traversé, mais effleuré par rien, bouleversé par rien. J’aurai cru à cette idée qu’il faut être à l’abri du besoin, de la douleur, de la tristesse pour être heureux et en fait ce n’est pas ça. La rencontre avec la musique a été immédiate. 

Pendant que je faisais des études après le bac et où je voyais que j’allais complètement dans le mur, des copains avaient formé un groupe à la fin du lycée. Et comme il ne restait aucun poste de musicien, mais qu’ils cherchaient quelqu’un pour chanter, je leur ai dit que j’adorais chanter et que j’écrivais des textes. Je les connaissais depuis dix ans. Ils étaient surpris. D’ailleurs, c’était faux. Je n’avais jamais écrit. Ils m’ont dit, « le week-end prochain, tu nous ramènes des textes ». J’ai passé une semaine à essayer d’écrire, c’était nul, ils me l’ont dit après, mais ils m’ont senti tellement sincère. On a commencé à faire de la musique ensemble. On a arrêté ensuite, mais on est toujours amis, même au-delà, ce sont des frères et c’est grâce à eux. La musique est venue par un instinct de survie, du hasard et beaucoup de mensonges. Et voilà, on fait des carrières comme ça aujourd’hui… (rires). 

On peut parler d’une épiphanie ? Ça prend tant de temps de s’autoriser à être soi ?

Complètement. J’ai mis du temps. Je sors mon premier album à 30 ans là où tout le monde en sort un à 20. Après, je trouve que ça a une vertu. Tu as une exigence envers toi, tu ne vas pas faire semblant d’être une jeune pousse, tu te dois d’arriver avec tes yeux et ce que tu as vécu. Je ne pense pas ressembler aux gens de 30 ans, car je ne me reconnais pas et à la fois, je ne vais pas faire semblant d’avoir 20 ans, car quand j’avais 20 ans, j’étais concrètement plus bête que les gens de 20 ans aujourd’hui. Prendre son temps était nécessaire et c’est assez rare, car c’est une industrie qui te demande d’être assez prolifique et de ne pas sortir trop de choses, de ne pas arriver trop tard, de ne pas trop espacer ta présence de peur qu’on ne t’oublie pas. Je ne crois pas à ça. C’est une chance de se dire, plutôt que de faire semblant de courir après ces années gâchées, je vais essayer de prendre mon temps pour que toutes les années qui suivent puissent venger ces années qui ont été mal faites. Je veux juste leur rendre hommage autrement. Il ne faut pas essayer de les revivre, mais avoir la décence de ne pas gâcher les prochaines. 

Et aujourd’hui tu chantes, «  J’écris pour être vivant  »

Quand tu fais un album, tu te demandes pourquoi tu fais un album. C’est un peu dérisoire par rapport aux sujets que tu brasses. Qu’est-ce que ça soulève ? C’est quoi la survie là-dedans ? Et je crois que c’est ça. Je sais que je ne veux pas plaire, que je ne veux pas faire croire des trucs aux gens. Je ne veux pas me raconter d’histoires, ni réécrire l’histoire. Je crois que j’écris juste pour avoir un témoignage qui soit à côté de moi et me dire, il faut que sur cet album, je sois le plus sincère possible, car plus tard, je vais le regarder comme un album photos et je vais me dire ok à ce moment-là, tu pensais ça : est-ce que depuis tu as évolué ? Est-ce que tu t’es remis en question ? Est-ce que c’était clair ? Donc oui, à la base, j’écrivais pour de la survie et aujourd’hui je pense que c’est pour éprouver encore plus les choses, pour être sûr de ne pas survoler la vie. Si j’écris, c’est que je le sens pleinement. Je me sens vivant par l’écriture, car peut-être que dans la vie, je suis un peu plus lent, un peu plus lâche. Sur l’écriture, j’ai un devoir envers moi-même, d’être présent, donc être pleinement vivant.

« Quitte à prendre un risque, je préfère qu’on me taxe d’avoir essayé trop de choses que d’être resté dans un confort. » 

Martin Luminet

C’est assez frappant de voir qu’il y a une unité des histoires que tu racontes dans les textes mais au niveau de la musique l’originalité est d’être emmené d’une chanson à une autre vers des sonorités surprenantes et même parfois à l’intérieur d’une chanson comme « Deuil », comment vous avez travaillé avec Benjamin Geffen ?

Je n’arrive pas à définir mon style de musique. Je veux juste quelque chose d’ultra-sensible. C’est-à-dire soit très ténu, soit justement assez épique. Comme quand tu as tous tes sens en alerte et que tu es obligé de vider ton sac dans quelque chose de très déployé. Et pour moi l’hypersensibilité, ce n’est pas juste des ballades où on chuchote des trucs sur un violon, mais justement les deux, ça te brûle trop et tu ne peux plus être dans la mesure. Je n’ai pas anticipé les chansons de l’album, car je n’ai pas envie de me dire que j’ai un style de musique parce qu’au bout d’un moment, tu construis tes propres murs et tu ne peux pas aller voir ailleurs.

Mon style, ce sont mes textes et après la réalisation du disque avec Benjamin (Geffen), on va vers quelque chose qui est organique, qui répond aux textes. J’aime bien me dire qu’il y a de la liberté. Quitte à prendre un risque, je préfère qu’on me taxe d’avoir essayé trop de choses que d’être resté dans un confort. Je ne me dis pas que l’on va faire des trucs exubérants, il n’y pas de zumba au milieu…(rires). Mais je me demande comment ça répond le mieux au texte, comment il résonne plus fort, comment il prend son corps. Le texte, c’est juste un cerveau et je voulais qu’on écoute les chansons de l’album autant avec sa tête qu’avec son corps. Je fais des chansons bavardes donc je ne voulais pas qu’on tombe dans quelque chose de trop cérébral. J’essaie de toujours allier les deux. Car c’est le travail que j’ai fait cette année via le chantier des Francofolies et via mon chemin de vie. Reconquérir une partie de mon corps que j’avais un peu perdu à cause de la confiance ou à cause du fait de trop se regarder ou de trop regarder les autres corps. J’étais déconnecté de mon corps et donc de plein de choses instinctives. J’étais trop dans le cérébral. 

Et c’est vrai que souvent quand quelqu’un sort un premier album, on a envie d’inscrire l’artiste dans un héritage , c’est très journalistique, et quand on écoute ton album, c’est dur de trouver des comparaisons… sur l’unité du projet il y a quelque chose d’unique…

Tant mieux. Je trouve que c’est toujours de la fainéantise quand quelqu’un te dit « Ça me fait penser à ça ». C’est comme si on croisait quelqu’un dans la rue et qu’on lui disait, « Tu me fais penser à ma belle-sœur parce que tu as des boucles d’oreilles » On ne peut pas résumer comme ça. On a tous des choses cloisonnées dans nos têtes, mais c’est nous qui faisons le mélange. Tu ne sais pas si intimement l’autre personne a été frappée par les mêmes artistes. Je sais que j’ai toujours du mal quand on me demande mes influences. Je vais être plutôt influencé par des films… C’est-à-dire comment on construit un film plutôt que comment on construit une chanson. Il y a des chanteurs et des chanteuses que j’adore, mais je n’ai pas du tout envie de faire comme eux. 

Tu considères que tu n’as pas vraiment d’influences musicales ?

Si, mais c’est plus des piliers dans ma tête. Ça va être la sincérité qu’un artiste peut mettre dans sa musique et ça balaye tous les styles, ça peut être de la folk, du rap, de la chanson, tant qu’il y a de la sincérité et que j’ai l’impression d’être face à un artiste qui essaie de tenir droit sur son axe. Mes piliers ça peut être Odezenne ou Kae Tempest. Ce genre d’artistes où je me dis ça tient sur du texte, mais il y a une nervosité dans la musique. Et quand j’écoute ça, je me dis, je ne sais pas si on fait la même musique, mais je sais qu’on fait notre musique pour les mêmes raisons a priori. C’est d’écrire un texte qui reste viscéral et on essaie de ne pas de tomber dans un format musical. Je n’aime pas la drague dans tous les sujets, mais en art, je trouve que c’est visible. Je vois quand quelqu’un essaie de me draguer musicalement ou au cinéma, dans un spectacle. 

Mais si tu pars du principe que dans la terre entière, tout le monde aime les pâtes, quel risque, tu prends à inviter des gens chez toi et à leur faire un grand plat de pâtes. Il ne va rien t’arriver, tout le monde va se dire, on apprend rien, mais on va en manger. Et artistiquement, il faut qu’on sorte un peu de ça, du fait de servir ce que tout le monde aime. Plutôt se dire, voilà moi, je fais ce plat-là, je sais qu’il ne va pas plaire à toute la pièce, ceux qui l’aiment, j’espère qu’ils l’aimeront profondément, ceux qui ne l’aiment pas, tant mieux vous avez d’autres goûts. Je n’essaierais pas d’aller draguer les plats des autres. J’essaie de tenir droit là-dessus. Je sais que je cherche un truc autour du texte et du corps et je ne veux pas lâcher cette ligne directrice. 

Tu disais que tu pensais tes chansons comme des films, d’ailleurs tu réalises tes clips comme des petits films. À quel moment c’est venu cette envie de se charger toi-même de la réalisation ? 

Déjà, parce que j’aime bien le cinéma. Quand tu es artiste tu travailles sur des formats très courts donc quand tu aimes bien le cinéma tu peux te dire je vais essayer sur mes clips. J’ai la frustration de voir des clips qui sont des publicités. Je trouve que quand tu as l’opportunité d’avoir un autre médium pour faire un petit objet d’art, il faut s’en emparer. Il y en a qui le font très bien en faisant appel à des personnes très inspirées et inspirantes. Mais moi, je ne sais pas pourquoi j’avais envie de m’essayer à ça. J’ai une fascination dans le cinéma où quand je regarde un film, je regarde tout et j’ai envie de parler. Je suis comme un fou, car je vois toutes les couches. Pour les clips, je me suis dit, est-ce que je peux avoir une idée ? Est-ce qu’elle se voit à l’écran ? Est-ce que j’ai voulu suggérer ? J’investis pleinement cet endroit de jeu.

Je ne confie pas mes clips à quelqu’un qui sera à l’extérieur de moi alors que je veux que ça reste très intime, tout en travaillant en équipe. Je ne veux pas tomber dans le truc de faire la promotion de ma chanson, de moi, de mon physique… Mais plutôt de se dire cette chanson en sous-texte elle parle de ça, elle exprime ça… Réalisons-le et essayons d’aller au bout de ce truc et à la fin, on a un objet autonome à la chanson. Mon ambition, c’est de se dire si ce sujet-là me plaît beaucoup pourquoi ne pas continuer, car au fond de moi, j’ai envie d’écrire sur un format qui dépasse un peu la musique parce que c’est super cool d’écrire sur 3mn, mais j’ai envie de plus long. Soit des chansons qui se suivent et ont une vraie cohérence narrative, soit sur quelque chose qui ne serait pas de la chanson, mais qui se filmerait. Le clip me permet d’essayer. 

Le prochain album pourrait donc être un album-concept ? 

Oui carrément. Ce serait se dire, tu allies quelque chose qui t’insécurises, c’est-à-dire le cinéma, mais qui te brûle de désir et quelque chose que tu penses mieux préciser, c’est-à-dire la musique et tu peux faire un album-film. Ça me trotte dans la tête naturellement. J’ai envie d’aller pleinement vers tout ce qui me fait peur. C’est terrible, mais c’est comme ça que je soigne mes peurs. Donc peut-être qu’il faudra que je m’affranchisse du côté musique et si je veux faire de l’image ou un objet de cinéma : faisons un film. Peu importe le format, mais arrêtons d’avoir des béquilles partout. Il y a des dialogues qui ont fait la mise en scène de certains films il y a longtemps et encore aujourd’hui, Emmanuel Mouret qui soigne ses dialogues à la virgule prêt. Tu te rends compte que ça fait partie de l’atmosphère de son film, tu entends sa langue. Donc l’écriture de scénario d’abord et ensuite, forcément, tu as envie de faire de la mise en scène… Je me demande à quel point ça peut être quelque chose entre deux albums. Ça m’excite vraiment, je me dis qu’il faut que je le fasse, j’ai envie de savoir jusqu’où je peux aller. Ça m’avait déjà fait ça sur les clips. Et à chaque fois, je me rends compte que ça me plaît donc pourquoi se gêner. 

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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