Compétition long métrage européen – Grand Prix du jury au festival Premiers Plans d’Angers, le premier long métrage de Emad Aleebrahim Dehkordi, Chevalier noir s’imprègne des mythologies perses pour raconter les liens de deux frères que tout oppose à Téhéran.
Chevalier noir aurait pu s’écrire au pluriel. Car c’est de deux frères dont il est question dans le premier long métrage de Emad Aleebrahim Dehkordi, récompensé du Grand Prix au festival Premiers Plans d’Angers et de L’ Étoile d’or au Festival du Film International de Marrakech. Proches et pourtant opposés, Iman (Iman Sayad Borhani) et Payar (Payar Allahyari) tentent de vivre chacun à leur manière leur jeunesse dans les quartiers nord de Téhéran, après la mort récente de leur mère. Le premier, chevalier intrépide, joue avec le feu en s’aventurant dans un petit trafic de drogues auprès de la jeunesse dorée. Le second, chevalier réservé, vit plus sainement et se focalise sur la boxe.
Alors qu’ils brûlent de vivre et de partir, à la maison leur père n’est que le reflet de la passivité d’un ancien monde. Blouson noir et moto pour destrier qu’ils s’échangent au fil de leurs pérégrinations, ces deux chevaliers noirs vont voir deux personnages perturbateurs de retour au pays bousculer leur quotidien malgré eux. Un ancien camarade d’Iman, Rouzbeh, revient des États-Unis et l’introduit dans le monde dangereux de la nuit et des drogues. Alors que l’amie d’enfance de Payar qui vit à Paris rentre chez sa mère pour les vacances, récemment divorcée et avec un jeune fils.
Comme s’il faisait tournoyer les deux faces d’une même pièce, Emad Aleebrahim Dehkordi épouse en alternance les points de vue des deux protagonistes, les capturant dans des scènes du quotidien. Il donne de l’ampleur à son récit en lui offrant la portée d’un conte. Le mauvais présage d’un oiseau, venu percuter la moto d’Iman, fait planer la tragédie sur le film, inspiré par une histoire vraie, celle d’une « revanche ratée ». Ces ombres mystiques subtilement intégrées à la narration relient les destinées des deux garçons et inscrivent le naturalisme des séquences vers une dimension plus symbolique.
Une jeune femme kurde de 22 ans est décédée le 16 septembre après son arrestation à Téhéran pour infraction au code vestimentaire strict de la République islamique dans lequel est inscrit le port du voile pour les femmes, entrainant des mouvements de protestations en Iran. Chevalier noir fait le portrait du désœuvrement de cette génération, prise dans l’étau de cette société iranienne par le prisme du quotidien. Intelligente et poignante, l’écriture de Emad Aleebrahim Dehkordi est porté avec brio par ses deux magnifiques comédiens.