LITTÉRATURE

« Offenses » – Un « Nom » au service de la justice

Offenses
© éditions Flammarion

Après trois premiers romans autobiographiques, Constance Debré prend le virage du romanesque avec Offenses, un texte virtuose et vengeur, qui interroge avec force notre système judiciaire.

Jusqu’ici, sa matière privilégiée c’était elle-même. Il y a cinq ans, Constance Debré a atterri comme une météorite sur la scène littéraire française. Petit fille du premier homme à être nommé Premier ministre sous la Ve République Michel Debré, et du journaliste François Debré, l’avocate quadragénaire mets de grands coups de hache dans la bienséance avec Play Boy, un premier opus dans lequel elle raconte comment elle est s’est découverte lesbienne. Une œuvre largement autobiographique qui revient sur son divorce, ses premières expériences avec des femmes, plus jeunes bien souvent. Sa conviction chevillée au corps qu’elle sera toujours riche, même sans argent, parce qu’elle est l’émanation d’une caste qui jamais ne connaît la honte.

Dans son deuxième roman, Love Me Tender, elle poursuit cette quête de la vie juste, bonne. Se demande pourquoi elle devrait aimer son fils toute sa vie, pourquoi ce lien là plutôt qu’un autre. Vient ensuite Nom, dans lequel, toujours sur le mode autobiographique, Constance Debré questionne son propre héritage. « Je suis pour l’abolition du nom de famille, je suis contre la tutelle, la minorité, je suis contre le patrimoine, je suis contre le domicile, la nationalité, je suis pour la suppression de l’état civil, je suis pour la suppression de la famille, je suis pour la suppression de l’enfance aussi si on peut », écrit-elle.

L’écriture à l’os

C’est dans ce contexte que l’autrice, qui s’est fait une place de choix dans le petit écosystème littéraire français revient avec Offenses. Constance Debré délivre la même écriture acérée que celle des débuts. Une écriture franche, à l’os, composée de phrases courtes, dures, en filiation directe avec le style d’Annie Ernaux. Mais cette fois-ci, elle délaisse l’autobiographie. Ses états d’âmes ne sont pas le sujet de ce nouveau texte, très court comme les précédents. Constance Debré se met au service d’un fait divers et c’est ainsi qu’Offenses s’ouvre sur le meurtre d’une vieille dame, dans une cité HLM que l’on ne situe pas.

La vieille – c’est comme ça qu’on l’appelle – est décédée d’un coup de couteau, dans la gorge. Elle baigne dans son sang. On la retrouve au bout de quelques jours. Les rares personnes qui la croisaient encore, dans les rues de la cité, remarquent sa disparition. On appelle les pompiers. On pénètre son appart, retrouve le cadavre. C’est un assassinat. Le meurtrier est rapidement retrouvé, il s’agit d’un voisin de palier, il n’est pas nommé dans le texte. Cet homme sans nom, en revanche, l’écrivaine distillera par touches son histoire. Des violences intra-familiales qui ont émaillé sa jeunesse, à sa mère qui l’accuse d’attouchement sur sa demi-sœur alors que le coupable c’est le nouveau beau-père, en passant par les placements en foyer, le lycée arrêté – il n’a pas le bac il dit « niveau bac ». Il y aura tout. La vie de cet homme, l’entièreté de sa vie, de sa famille. Pas simplement les circonstances d’un crime, celles qui font qu’il aurait bien mérité d’être mis en prison.

Et la justice

Constance Debré raconte, cinglante, la misère, la pauvreté, l’absence d’horizon. Un exercice périlleux – en commençant son livre on se demande ce qu’une héritière va bien pouvoir nous dire sur ceux qui vivent dans les HLM et qui disent « niveau bac » parce qu’ils n’ont pas le bac. Mais cette affaire, c’est moins l’histoire de l’affaire que celle de la justice. La justice des pauvres contre les riches, la justice des privilégiés qui se choisit des coupables. Dans ce texte, Constance Debré rappelle avec force des convictions qui avaient traversé son œuvre, sans jamais en devenir le sujet principal.

« Il est coupable, oui. Il est coupable d’avoir cédé, de ne pas s’être laissé écraser. Il est coupable de n’avoir pas été raisonnable, de n’être pas resté à sa place, celle qui lui a été échue. D’avoir dérangé l’ordre des choses. (…) Puisque tout est dessiné à l’avance. Il y a les vaincus et les vainqueurs et c’est jugé depuis longtemps. C’est avant les actes que tout se joue, qu’est-ce qu’on peut faire contre ça, rien. »

Constance Debré, Offenses

Dans cette quête effrénée de la vie la plus juste, l’autrice rappelle qu’au fond, les affrontements, les vrais, se poursuivent, ce sont ceux des pauvres contre les riches. Et leur justice, celle des riches, continue d’envoyer les pauvres en prison, les méchants parfaits, se donne bonne conscience. Le réquisitoire est implacable, il est dérangeant. On sort bouleversé de cette lecture. Constance Debré, en une centaine de page, a trouvé les mots pour dire l’injustice.

Offenses de Constance Debré, éditions Flammarion, 17,50 euros.

Journaliste

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