CINÉMA

Festival du court métrage de Clermont-Ferrand 2023 – Nos coups de cœur (1)

Des jeunes filles enterrent leur vie © Quartett Production

La 45e édition du Festival du court métrage de Clermont-Ferrand a pris fin ce weekend. Maze y était, et y a glané, pour vous, quelques pépites. Première partie.

Des jeunes filles enterrent leur vie, Maïté Sonnet (2022)

Compétition nationale

C’est un weekend de printemps. Et l’air est un peu trop léger pour Axelle, une rupture amoureuse survenue six mois plus tôt l’ayant plongée dans une profonde mélancolie. C’est donc à contrecœur que la jeune femme accompagne sa sœur et ses amies, lors de son weekend d’enterrement de vie de jeune fille.

De la maison familiale à l’hôtel thermal, Des jeunes filles enterrent leur vie emprunte divers chemins. Il y a d’abord celui du roadtrip amical, dont le rythme enlevé et plaisant, est vite nuancé par l’irruption d’un sentiment diffus d’étrangeté. Le malaise d’Axelle, incapable de se remettre de sa rupture avec sa copine, est-il si contagieux ?

L’arrivée laborieuse – la vielle bagnole grimpe la montagne à son rythme – dans l’hôtel fantomatique, réservé pour le weekend, n’est pas sans rappeler celle de la famille de Shining. Pas d’inquiétude pour autant, puisque la réalisatrice prend soin de faire de nouveau bifurquer son film vers les sentiers plus séduisants de la comédie romantique et du buddy movie. De la joie à l’abattement, Des jeunes filles enterrent leur vie s’ouvre ainsi à un riche panel d’émotions.

C’est dire si l’univers de Maïté Sonnet est riche. Avec Des jeunes filles enterrent leur vie, la réalisatrice s’affirme comme une autrice à suivre. Le travail des couleurs et des textures, des regards et des temps morts, témoigne d’un véritable sens de la mise en scène. Et quel plaisir alors de voir se croiser dans ce cadre propice, les trajectoires amoureuses des différentes protagonistes. Car en miroir des déboires (hétéro)amoureux de certaines, et qui se révèlent au cours du weekend, c’est aussi la naissance d’un désir généreux que capte Des jeunes filles enterrent leur vie  : celui qui nait lorsqu’on ne l’attendait plus.

Des jeunes filles enterrent leur vie est disponible sur France.tv jusqu’au 10/02/2023.

© Quartett Production

La Lutte est une fin, Arthur-Thomas Pavlowski (2022)

Compétition nationale – Grand prix du jury

À Marseille, une fois par semaine, les boxeur·euse·s du collectif Boxe Massilia investissent les locaux de la bourse du travail. Ce sont ceux du comité « chômeurs et précaires » de la CGT. Boxe Massilia revendique une boxe prolétarienne, ouverte à tous·tes. Donner des cours dans ce lieu d’organisation collective, de résistances et de luttes, n’a donc rien de symbolique.

Les différents portraits de boxeur·euse·s dressés par La Lutte est une fin soulignent en effet à quel point la pratique de la boxe est pensée par les adhérent·e·s comme un enjeu très concret de résistance. On le saisit notamment à travers le témoignage de Maho, dont le parcours et le visage prennent progressivement de l’ampleur. Pour le jeune homme, la boxe s’est imposée comme une nécessité, pour pouvoir rendre, très concrètement, les coups portés par les différentes formes de discrimination dont il est victime. Et puis, la boxe est aussi devenue une précieuse alliée dans l’affirmation de sa transidentité, la pratique sportive lui ayant permis de sculpter au gré des entraînements.

Dans La lutte est une fin, la boxe s’impose donc comme un outil de résistance contre l’oppression, et ce, par la réappropriation de son corps. C’est cette dimension qui est au cœur de l’organisation du collectif Boxe Massilia. À travers un cadre et une lumière soignés, Arthur-Thomas Pavlowski s’attache alors à mettre en images la force de l’autogestion chère au collectif. Lui-même membre, le réalisateur célèbre par l’image cette façon dont les boxeur·euse·s font de leur pratique un objet conscient de lutte.

© GREC – Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques

Scale, Joseph Pierce (2022)

Compétition labo – Prix du public

Adaptation de la nouvelle éponyme de William Woodard Self (1994), Scale est un film d’animation vertigineux. Accro à la morphine, Will a « perdu le sens des proportions ». Dans le temps suspendu qui succède à son embardée sur l’autoroute, les événements de sa vie se bousculent. En voix-off, Will tente de remonter les causes qui l’ont mené à cette addiction. Le récit de cette longue descente aux enfers se déploie dans une animation sombre qui ne renonce pourtant pas aux couleurs.

Tout éclate dans un même mouvement. C’est d’ailleurs ce mouvement constant qui anime chaque trait de chaque image de Scale, et qui provoque le vertige. Toujours au bord de l’hallucination, Scale est un film en forme de chute libre, dont personne ne souhaite être le héros.

Scale est disponible sur Arte.tv jusqu’au 10/06/2023.

© Melocoton Films

La mécanique des fluides, Gala Hernández López (2022)

Compétition labo

Sur un montage de captures d’écran et d’images de synthèse, une voix-off se lance à la recherche d’un pseudonyme disparu : Anathematic Anarchist. Anathematic était un utilisateur actif de Reddit jusqu’à la publication de sa lettre de suicide en 2018. En forme de lettre ouverte, La mécanique des fluides s’engage alors dans une quête virtuelle qui, comme Internet, semble sans début ni fin. Au milieu de ce puits sans fond ni forme, Gala Hernández López tente de cerner les causes de ce que la réalisatrice nomme « un échec collectif » : l’existence des incels (involuntary celibacy).

Car Anathematic Anarchist se réclamait de cette culture incel : celle des « damnés de l’amour ». Comprendre : des hommes n’ayant jamais eu de relations avec des femmes, faisant porter la responsabilité de cet « échec » à ces dernières, forcément vénales, stupides et insignifiantes. La production de contenus attachés à cette culture est inquantifiable. Ses ramifications sont multiples : memes, vidéos YouTube, blogs Reddit etc. La mécanique des fluides n’en compile qu’une infime partie. Et pourtant, elle sème déjà le trouble. De témoignages plaintifs d’incels en vidéos à mi-chemin entre développement personnel et marketing pour glaner plus de matchs sur Tinder, la misogynie est le terreau fertile de cette production.

Dense et très informé, La Mécanique des fluides élargit progressivement son champ de recherche à la solitude pas si virtuelle d’Internet et à ses effets dans le monde concret. À moins que ce ne soit l’inverse  ? Aussi passionnant que bouleversant.

© Heure d’été

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