Du sang, des larmes, de l’amour… mais non, le premier long métrage de Jimmy Laporal-Trésor, Les Rascals, n’est pas un thriller mélodramatique ! Tout juste une petite histoire de France. Et c’est déjà beaucoup.
« Watch out ! », « Fais attention ! », nous prévient d’emblée la bande originale des Rascals composée par le groupe Delgres. Au milieu des années 1980, le racisme décomplexé et ultraviolent des groupes skinheads néonazis plane déjà depuis quelques années sur la capitale. Dès les années 1970, ces groupes s’organisent souterrainement et commettent de nombreuses exactions racistes contre des individus d’origines maghrébine et subsaharienne.
Welcome back to the 80s
Jimmy Laporal-Trésor inscrit son premier long métrage dans ce contexte historique étouffant. Le réalisateur et son directeur de la photographie, Romain Carcadane (L’Origine du mal), signent une composition efficace qui consacre Les Rascals non pas tant comme un film de reconstitution historique que comme un film made in 80s. Inévitablement, on pense à The Outsiders (Francis Ford Coppola, 1983), ou à Stand By Me (Rob Reiner, 1986), tant il semble subsister chez les protagonistes des Rascals quelque chose de gamin.
Tout juste jeunes adultes, voire encore adolescents, Rudy (Jonathan Feltre), Rico (Missoum Slimani), Mandal (Marvin Dubart), Boboche (Taddeo Kunfus) et Sovann (Jonathan Eap) sont des petits lascars qui, une fois réunis, forment les Rascals. D’un acronyme à l’autre, il y a la force du collectif, qui par ses réseaux de solidarité, de camaraderie, mais parfois aussi de rivalités, donne une forme à des existences un peu désemparées.
Car les années 80 n’offrent que peu de perspectives d’avenir pour ces jeunes issus des classes populaires et, pour la plupart, de l’immigration. De bars en concerts de rock, en passant par des petits boulots précaires ou le désœuvrement, chacun cherche un moyen d’échapper à ce non-avenir. Mais lorsque les Rascals tombent par hasard sur un skinhead repenti chez un disquaire, un nouvel engrenage narratif se met en route. Coupable d’avoir tabassé certains d’entre eux quelques années auparavant, les Rascals le rouent de coups et l’envoient à l’hôpital. Et si le disquaire a quitté les cercles d’extrême-droite, sa sœur Frédérique (Angelina Woreth), elle s’en rapproche de plus en plus. Ce qui commençait alors comme une histoire de vengeance, va prendre une tournure beaucoup plus rationnelle et politique.
Un hyperréalisme politique
Car dans Les Rascals, l’hyperréalisme de certaines scènes de ratonnade ne se cantonne pas à l’exhibition pure et simple d’une violence insoutenable. Le personnage de Frédérique, par le biais de son regard novice, se fait le relais de cette initiation à la fascination des néofascistes pour une violence qui fait office d’exutoire. Ce regard n’est jamais horrifié par les crimes auquel il se trouve soumis. Car pour Frédérique, ceux-ci ne sont que la pure et simple continuité logique des discours xénophobes des groupuscules d’extrême-droite auxquels elle a été introduite… et auxquels elle adhère.
Et c’est bien son personnage qui permet à Jimmy Laporal-Trésor d’inscrire cette violence dans un cadre systémique. Les ratonnades figurées dans Les Rascals ne sont pas de simples événements, fruits d’un affrontement entre bandes rivales quelconques. Et les fachos aux bars de fer ne sont pas quelques fanatiques dégénérés. Ce que réussit à exposer le réalisateur, c’est le lien intrinsèque entre cette violence et une société construite sur le refoulement de son passé colonial. Celle-ci laissant ainsi proliférer des discours ultraviolents et racistes. L’exaltation des néonazis est celle liée à la réalisation d’un projet politique, dans lequel l’homme blanc a tout pouvoir sur les corps étrangers au sien.
Ce droit à la toute-puissance, Jimmy Laporal-Trésor l’impute aussi, justement, à un État français muet et directement complice. Car la police a aussi exercé son droit à disposer des corps non-blancs, et Les Rascals ne l’oublie pas.
Une histoire sans fin
Ce que le film n’oublie pas non plus c’est que, en réponse à cette violence, des réseaux se créent et se solidifient. Il y a la famille bien sûr. Celle de Rudy dessine le poids qu’elle peut représenter, mais aussi son importance. Et puis il y a la musique et la danse, au carrefour desquels le hip-hop crée un lieu d’expression propre. Enfin, il y a la riposte, pas nommée mais qui évoque sans aucun doute celle des Black Dragons.
Les Rascals est donc un film d’une grande ambition qui réussit son coup : parler politique, jeter des ponts entre la France des années 1980 et celle d’aujourd’hui, le tout dans la langue du divertissement. Et la fin on la connait puisqu’il s’agit de notre présent… loin d’un happy end, donc.