CINÉMA

«  She Will  » – Toutes en choeur

Alice Krige dans She Will
© Slug Love Films Ltd

She Will marque le premier passage à la réalisation de l’artiste plasticienne Charlotte Colbert. Un film d’horreur psychologique, situé dans les highlands écossais, qui explore avec virtuosité les ramifications de l’expérience traumatique.

Convalescente après une ablation des deux seins (mastectomie), Veronica (Alice Krige), actrice star dans sa jeunesse, se retire dans la campagne écossaise. Une jeune infirmière l’accompagne, Desi (Kota Eberhardt). Malgré les réticences initiales de l’actrice parfois amère, c’est grâce à la relation de sororité qui s’établit entre elles, que Veronica va pouvoir se réapproprier le souvenir d’un événement traumatique.

Dès l’ouverture, She Will se place sous le signe d’une grande ambition esthétique. Dans la nuit écossaise, la lumière lunaire trouble la surface d’un lac. Impossible de distinguer où commence et où termine l’élément aqueux. Charlotte Colbert travaille avec brio la matière de son environnement, jouant avec les échelles, passant de l’infiniment grand de ce lac qui semble ne jamais vouloir tout à fait se clôturer, à l’infiniment petit des limaces et autres vers qui peuplent le monde souterrain.

D’un ordre de grandeur à l’autre, la réalisatrice se place au seuil d’une vision optique trop attachée à la linéarité et à l’intelligibilité pour écouter et comprendre ce qui l’entoure. Rien d’étonnant alors à ce que Charlotte Colbert choisisse de situer l’action principale de She Will dans les environs d’Aviemore, terre de sorcie·re·s massacré·e·s entre le XVIe et le XVIIIe siècle.

Les paysages brumeux et boueux des highlands écossais portent à même leur matière, le souvenir de celles – et ceux, de façon minoritaire – qui furent jugées et condamnées à mort pour sorcellerie – soit pour une pratique se situant en dehors des chemins clairs et explicites de la raison.

Alice Krige dans She Will
© Slug Love Films Ltd

Incarner le trauma

Le cadre du film de genre horrifique et ses sorcières, permet ainsi à la réalisatrice d’historiciser son récit, sans renoncer pour autant à la fiction et aux détours de l’imagination. L’expérience traumatique de Veronica, et sa mémoire, s’inscrivent dans une histoire collective  : celle des rapports de genre et de pouvoir (qu’il soit symbolique ou matériel).

C’est en effet au contact de cette terre que le trauma de l’actrice va se réveiller. Charlotte Colbert dresse, en parallèle, une galerie de personnages plus absurdes les uns que les autres qui tranchent avec la détresse de Veronica. Cocasses, ces personnages nous permettent surtout de saisir d’emblée la nature des événements qui l’auront marquée à vie  : actrice adolescente, elle fut abusée, en plein tournage, par le réalisateur (Malcolm McDowell, lui-même acteur, protagoniste principal d’Orange mécanique…) d’un film devenu culte.

On comprend alors que la forme de She Will n’a rien d’un geste vain. Le montage vif et très fragmenté, propre au genre horrifique, déstructure complètement le temps et l’espace dans lequel évolue Veronica. Ces séquences, qui s’émancipent alors de la linéarité du récit principal, ne sont ni des flashbacks, ni vraiment des cauchemars pour Veronica. Ils sont la ré-expérience continue du traumatisme originel. Ces images, dont le spectateur à parfois du mal à saisir la nature, viennent hanter sa mémoire, elle aussi morcelée et lacunaire.

En fait, Charlotte Colbert parvient à trouver une voie pour matérialiser ce qui est par définition irreprésentable  : le trauma. Cette expérience physique quasi indicible s’incarne ici à même la forme cinématographique. Et si la structure peut paraître redondante en certains endroits, c’est aussi parce que les traces laissées par une telle violence ont des conséquences durables quasi inaltérables.

© Slug Love Films Ltd

Un cinéma ambitieux

Le personnage de Desi devient alors un pivot dans l’intrigue. Son enthousiasme et son attention permettent à Veronica de trouver, pour la première fois, une alliée. She Will nous glisse donc qu’il y a un véritable enjeu à dessiner de nouveaux rapports de solidarité pour affronter le souvenir d’un événement pourtant si intime et singulier.

Cette sororité à l’œuvre dans le film, et la circulation de la parole qui l’accompagne, appelle un double constat. Si l’expérience du traumatisme est toujours singulière, elle tend aussi, malheureusement, à l’universel tant les faits de violences sexuelles sont répandus. Cependant, la mise en commun de ces vécus est une ressource puissante pour commencer, au moins, à se le réapproprier. Une piste qui passe aussi par l’architecture sonore du film qui fait dialoguer une voie solitaire de femme et un chœur, en plusieurs actes.

She Will est donc une proposition ambitieuse de ce que peut le cinéma dans sa façon de traiter l’expérience traumatique liée aux violences sexistes et sexuelles. Il est question de foi en la fiction et en l’imagination. Des ressources essentielles pour Charlotte Colbert pour comprendre comment la mémoire prend en charge ce trauma, jusqu’à devenir le lieu alternatif d’un possible exorcisme réjouissant. Loin des sentiers battus et rebattus d’un réalisme défaitiste (voir critique de Bowling Saturne), la réalisatrice nous glisse que ce medium peut donner des pistes aux victimes pour redonner corps à toute une partie d’un récit intime confisqué à jamais. Le cinéma comme puissance de réinvention, une belle ambition, non  ?

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