Non, Netflix n’est pas une aubaine pour la création audiovisuelle, rappelle le producteur de cinéma Romain Blondeau dans un court essai incisif sur les travers de la plateforme.
Et si la révolution du streaming ne tenait pas ses promesses ? Souvenez-vous, les premières heures de Netflix. La plateforme, qui connaissait ses premiers succès aux États-Unis sans toutefois savoir à quel public elle s’adressait – cinéphiles, quadragénaires, amateurs de séries, adolescents ? – multipliait les investissements dans des productions protéiformes et novatrices.
C’est à ses débuts, alors qu’elle n’est pas encore devenue le monstre de la production audiovisuelle d’aujourd’hui, que Netflix donne naissance à Sense8, diffuse House of Cards, offre carte blanche à de grands noms du cinéma comme Alfonso Cuarón et son magnifique Roma. Mais cette période est révolue et Netflix ne nous offrira plus jamais les délices cinématographiques de ses débuts, nous alerte Romain Blondeau dans cet essai, paru aux éditions du Seuil.
À la tribune
Comme la députée Clémentine Autain, le juriste et professeur au Collège de France Alain Supiot ou encore les économistes Thomas Piketty et Julia Cagé, le producteur de cinéma Romain Blondeau est invité à la tribune de la collection Libellé. Les éditions du Seuil, qui ont lancé cette collection à l’automne, tentent par là de donner la parole à des voix de gauche dans de courts ouvrages, accessibles à tous. Chaque opus coûte moins de cinq euros, défend un point de vue court et concis.
Le premier à ouvrir le bal : le journaliste et co-directeur du pôle enquête de Mediapart, Fabrice Arfi, pour évoquer les affaires (judiciaires) de nos dirigeants et la crise de la démocratie que traversent les Français. La collection, qui dénonce régulièrement les excès du capitalisme néolibéral, retrouve sa ligne dans l’ouvrage de Blondeau.
L’essayiste – et c’est là l’originalité de son texte – voit un lien évident entre l’avènement de Netflix en France et le début du mandat d’Emmanuel Macron à la présidence de la République.
Comme Emmanuel Macron, le patron et inventeur de Netflix Reed Hastings est un fervent libéral. Si le dirigeant se dote de divers studios de production pour créer du contenu original les premières années, la machine s’emballe lorsque la plateforme rencontre son public.
Les succès mondiaux de certaines séries comme La Casa de Papel ou Stranger Things percutent l’économie de la plateforme. Désormais, Netflix sait qui la regarde. Des adolescents, plutôt des femmes, intéressés par les récits initiatiques et les comédies romantiques. La plateforme investit massivement dans ces productions porteuses.
Et parce qu’elle investit plus d’argent que les studios hollywoodiens centenaires, elle n’a plus le droit à l’erreur. Les productions sont condamnées à marcher, à créer à l’infini les mêmes recettes efficaces, qui accrochent l’œil du spectateur à défaut de lui faire vivre une expérience sensorielle nouvelle.
L’essai est court, mais la démonstration est brillante. Loin de tous les discours conservateurs qui ronronnent souvent lorsqu’émergent de nouvelles innovations – le fameux « c’était mieux avant » -, l’auteur soulève avec justesse les problématiques dues au développement de ces plateformes de streaming. Et propose une autre vision du cinéma, plus intelligente, plus novatrice, moins financière, aussi. À lire absolument.
Netflix, l’aliénation en série, de Romain Blondeau, éditions du Seuil, 4,50 euros.