Cette nouvelle création, inspirée d’un roman d’Anna Seghers et nécessaire sur le fond, convoque des images déjà vues mille fois et agace parfois, au risque de desservir le message qu’elle entend véhiculer.
Sol gris et froid, murs nus, barreaux de métal gris et vitres fumées… Le lieu n’est pas défini, et au fond il n’a pas d’importance. Nous sommes dans un aéroport, quelque part, en Europe. Une femme iranienne s’avance, elle cherche à fuir son pays. Elle est seule. Face à elle, une autre actrice, qui peine à la comprendre.
On passe du français à l’anglais, de l’anglais au farsi. L’agente, face à l’exilée, reste de marbre. « Vous n’avez pas les bons papiers », lui explique-t-elle, l’air calme, presque indifférente. L’autre voudrait hurler sa situation. Rien ne marche. Les lumières s’éteignent, les décors changent, deux autres comédiennes apparaissent – quatre au total, pour interpréter le double de rôles.
Amir Reza Koohestani fait se multiplier les situations de rigidités administratives, presque kafkaïennes, où des personnes en grand danger, qui fuient leurs pays, se retrouvent bloquées à la frontière pour des raisons qui n’en sont pas.
D’une temporalité à l’autre
À l’origine de cette pièce à l’atmosphère flottante, la mésaventure du metteur en scène lui-même. D’origine iranienne, Koohestani s’est retrouvé détenu en 2018 à l’aéroport de Munich, avant d’être renvoyé par avion à Téhéran. Il n’avait pas le bon passeport.
Sa mise en scène alterne entre situations issues de sa propre expériences et celles tirées du roman qu’il adapte, En Transit, d’Anna Seghers. La romancière, elle, racontait l’errance de ceux qui n’avaient pas le « bon passeport » en 1940. La pièce navigue ainsi, d’une temporalité à une autre, d’une monstruosité à l’autre.
Si l’idée que développe le metteur en scène est largement admise – il suffit de voir les débats récurrents sur l’immigration pour se convaincre que l’Europe n’est pas l’humaniste qu’elle prétend -, il ne révolutionne rien sur la forme. Tous les dialogues se ressemblent furieusement et suivent un schéma convenu.
Scénographie froide
Une femme demande l’asile. Elle se heurte à un imbroglio administratif. Face au personnage de l’exilée, la comédienne chargée de jouer l’administration affiche le même air froid et sans âme. Les scènes sont répétitives, attendues. Il y a des airs de Ken Loach dans ces dialogues. La manière dont les administrations répondent à côté de la plaque pour ne pas aider les personnes en détresse sonne comme le fameux Moi, Daniel Blake du réalisateur.
L’ensemble pourrait être glaçant, s’il n’avait pas déjà été vu mille fois au cinéma. La pièce, déjà plombante, est entravée par sa scénographie très froide et sa mise en scène discutable. Pour illustrer ce qui est déjà expliqué dans les dialogues – la machine administrative est froide et robotique – on filme les comédiennes en gros plan, on les fait asseoir face caméra, on les enferme dans des cages de verre. Autant d’illustrations qui viennent souligner avec lourdeur le propos déjà très explicite d’une pièce qui, décidément, peine à marquer les esprits.
En Transit d’Amir Reza Koohestani, adapté du roman d’Anna Seghers.