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(Re)Voir – « Bons baisers de Bruges » : Profession tueur à gages maladroit

©SND

Disponible sur Ciné+, le premier film du britannique Martin McDonagh, réunissant Colin Farrell et Brendan Gleeson, est une dramédie culte à rattraper au plus vite. 

En attendant Les Banshees d’Inisherin, quoi de mieux que de se replonger dans le premier grand film de Martin McDonagh, qui plus est avec le même duo gagnant au centre de son intrigue. Ce point de départ de la filmographie (déjantée) du dramaturge, signe aussi le début d’une collaboration prospère avec son comédien fétiche, Monsieur Colin Farrell. Après la comédie noire brugeoise, le cinéaste le rappelle pour son film suivant, Sept Psychopathes, accompagné de Sam Rockwell, Christopher Walken ou encore Woody Harrelson.

En 2017, c’est le coup de grâce pour le cinéaste avec la sortie du très adoubé Three Billboards : Les Panneaux de la vengeance, avec Frances McDormand dans le rôle-titre, qui lui aura valu, entre autres, le Golden Globe du meilleur film dramatique en 2018. Le 28 décembre prochain sortira sur les écrans français son quatrième long-métrage, passé juste avant par une ribambelle de festivals et par une sortie outre-Atlantique. L’occasion de revenir sur son premier ovni polaresque. 

Bienvenue à Bruges 

C’est dans la discrète Belgique que le cinéaste a choisi d’installer l’intrigue de son œuvre encore naissante. Habitué des pièces de théâtre, il n’hésite pas à incorporer dans ce premier film, des ingrédients scénaristiques aux allures dramaturgiques. Et pour cause, lorsque l’on s’intéresse au synopsis, ce dernier a tout pour éveiller notre curiosité : deux tueurs à gages fuient Londres après un coup qui a mal tourné pour se rendre à Bruges. Pourtant, Bons baisers de Bruges est bien plus grand que ce que l’on pense. Il s’avère être un film qui va là où on ne l’attend pas.

S’armant d’un duo des plus loufoques, Colin Farrell et Brendan Gleeson donc, le scénariste et depuis réalisateur, plante un décor insolite parsemé d’allers et retours entre les espaces constituant la triade centrale de son récit. Les principaux lieux investis, à savoir un hospice vraisemblablement rempli selon les dires de la propriétaire (mais où l’on voit seulement déambuler nos deux personnages), un bar ou plutôt DES bars et enfin une église.

Presque symboliquement, ces trois espaces résument le récit à eux-seuls. L’étouffement et l’ennui par l’hospice, l’aspect culturel et l’envie de rédemption par l’église et enfin, les moments de répit par les bars. Une triade parfaitement représentative, par ailleurs, de l’esprit brugeois. Et si l’on ajoute à cette parfaite constitution de l’espace, des rencontres fortuites marquées par celle d’un nain délirant (Jordan Prentice) et d’une femme voleuse à ses heures perdues, interprétée par notre Clémence Poesy nationale, cela donne un joyeux bordel que l’on pourrait regarder perdurer indéfiniment. 

Entremêler les sentiments et courir après la rédemption 

À vrai dire, de bons baisers n’auraient pas été de refus. Le titre, presque mensonger, pourrait presque faire croire qu’il s’agit d’une comédie romantique avec une vibe de Mr & Mrs Smith.  Finalement, ce n’est pas tout à fait ça. L’immédiateté, l’urgence et puis l’incompréhension sont les premiers mots qui pourraient nous venir en tête dès la première scène. En effet, Ray (Colin Farrell) et Ken (Brendan Gleeson) quittent la capitale anglaise en vitesse pour la discrète commune belge. Un changement brutal certes, mais nécessaire après la dernière mission ratée de ces derniers.

Verser le sang de criminels, c’est leur motto. Mais lorsque l’on tue accidentellement un innocent, qui plus est un enfant, cela change la donne. Et c’est après une bonne heure que le spectateur découvrira cette dure vérité. À l’esprit admiratif de Ken, s’émerveillant de chaque recoin de la ville, s’oppose le pessimisme un peu bêta et la lassitude de Ray, personnage encore meurtri par la tragédie précédente et pour qui les heures sont comptées. Le duo irlandais est si bien choisi que les dialogues suffisent, finalement, à nourrir l’intrigue. 

Après un moment à se questionner sur l’urgence de la situation, le spectateur s’étant lié d’affection pour Ray, finit par lui aussi, ressentir quelques remords. Car si l’on est familier des pièces de Martin McDonagh, on sait tout de suite que ses récits passent principalement par le tiraillement de ses personnages. Les personnages constituent le récit. Leurs sentiments sont le cœur de l’intrigue. Un fonctionnement particulièrement présent dans sa dramédie brugeoise où le spectateur accompagne Ray dans son esprit tiraillé entre la volonté de rédemption et celle de disparaître, tout simplement. L’étouffement, la crainte pour l’un et l’attente ponctuée d’incompréhensions pour l’autre, subsistent et constituent une explosion d’émotions. Une question perdure cela dit : Ray arrivera t-il à se pardonner ou devrait-il mettre fin à ses jours ? 

Un dernier voyage pour mieux se dire adieu 

Un drame, une comédie, une satire ou un polar, les qualificatifs sont nombreux pour décrire le premier film du cinéaste. Pourtant si l’on s’est attardé jusqu’ici à décrire un drame, le polar n’en reste pas moins au centre du récit.

Une tragédie n’est jamais sans conséquences. Si cette dernière tourmente Ray, elle titille également le chef en œuvre de ces commandos prémédités, Harry Waters, interprété par Ralph Fiennes. Un très british commanditaire, chevronné, sans pitié (ou presque) et sans classe. Et c’est après une bonne heure à déambuler dans la ville belge que nous faisons finalement connaissance avec ce personnage pour le moins… spécial. Criminel la moitié du temps, père l’autre moitié, il tire un trait sur les crimes d’innocents. À ce titre, toutes ses cibles semblent justifiées. C’est pourquoi l’incident de la perte du jeune garçon ne passe pas, poussant Harry à vouloir se débarrasser du coupable de cette tragédie. Et presque ironiquement, cette fuite vers Bruges s’avère être finalement une dernière lune de miel avant de se dire au revoir.

S’ensuit ainsi une traque dans Bruges pour mettre fin aux jours d’un Ray tourmenté, sous les yeux d’un Ken opposé. Une course poursuite burlesque, presque tarantinoesque, pour le plus grand plaisir d’un public tiraillé entre le bien et le mal, la rédemption ou la justice, le pub ou l’église. Des choix cornéliens, presque existentiels, parfaitement convoqués à travers le duo rocambolesque. 

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