À la UneMUSIQUERencontres

Rencontre avec UTO – « Les malentendus sont le début d’une conversation, c’est la possibilité d’une littérature »

UTO par Andrea Montano

Neysa et Émile ont sorti leur premier album Touch The Lock le 26 août dernier sous le nom d’UTO. C’est entre des envolées électroniques et une voix tout à fait particulière aux paroles poétiques que le duo se fait connaître. Après leur passage à Rock en Seine, nous voulions rencontrer UTO pour revenir sur leur perception de la musique et de leur projet.

Vous avez commencé les concerts ou plutôt continué, pour l’album que vous avez sorti ?

Neysa : On a fait une une petite tournée auto-produite en juillet pendant une semaine, entre Paris, Roubaix et Bruxelles. On est dans un collectif qui s’appelle Fortune Collective, il y a une dizaine de groupes donc c’étaient des grosses après-midi et soirées de concerts, 14 heures-minuit. Ça nous a permis de commencer à présenter, je dirais 6 ou 7 morceaux de l’album, et on est en train de poursuivre ça en intégrant les morceaux des disques précédents et d’autres qu’on n’a pas pu faire à cette occasion en juillet. 

Pourquoi un collectif plutôt qu’un tourneur par exemple, c’est un choix précis ?

Émile : On a aussi un tourneur qui nous trouve des dates un peu plus conventionnelles. Là, c’était un peu un truc qu’on fait à côté, on fait partie de ce collectif… On a décidé de monter cette tournée qui nous a permis de jouer dans des lieux dans lesquels on n’aurait pas joué avec le tourneur.

Neysa : C’est comme un monastère, une ancienne zone d’impression de billets de banque à Bruxelles, donc pas du tout des salles qui sont faites pour ça. Mais en même temps, elles ont vraiment une atmosphère particulière et on aime ça.

Ça colle bien à votre à votre esthétique aussi. Je vous ai vus à Rock en Seine et c’est comme s’il y avait un jeu de scène, presque théâtral…

Neysa : C’est vrai, ce n’est pas forcément quelque chose qu’on s’était dit qu’on allait faire, mais assez vite, on s’est rendu compte qu’il fallait une porte d’entrée dans notre musique, et que celle-ci pouvait justement être le théâtre. Par ailleurs, on a bossé pendant deux ans sur une espèce de pièce de théâtre d’objets avec Émile, qu’on a jouée notamment à Montreuil et dans différents pays. Elle s’appelle « Le présent, c’est l’accident ». C’était un peu la première fois, on se retrouvait sur scène pas uniquement en tant que musiciens : je me suis retrouvée marionnettiste dans une grotte en fourrure, à balancer des objets sur Émile coincé au milieu d’un plateau en chêne… Ça nous a demandé à tous les deux de penser la musique et notre présence différemment. C’est sans doute un reste de cette expérience-là et une poursuite qu’on est en train d’amorcer aujourd’hui dans notre live.

Vous ne venez pas tous les deux de la musique réellement… 

Neysa : Effectivement, c’est moi la pièce rapportée ! Émile, toi, depuis tout jeune tu es dans la musique, même si tu as une famille plutôt de théâtreux.

Émile : Mon environnement familial, c’est plus c’est plus le théâtre, mais je fais de la musique depuis longtemps et donc ce rôle de musicien sur scène, je l’ai depuis longtemps. C’est un peu plus nouveau pour Neysa. 

Neysa : Oui moi effectivement, je ne pensais pas faire de la musique.

Émile : Je crois que c’est elle qui incarne ce rôle de musicienne sur scène. Enfin, je le vois de l’extérieur, d’une façon un peu particulière parce que pendant longtemps, Neysa avait très peur de monter sur scène. Ça la rendait malade et donc ça a été aussi l’essence de ce qu’elle est sur scène : cette peur, cette angoisse, ce stress un peu trop présents.

Se créer un personnage pour essayer d’extérioriser ?

Neysa : Je n’ai pas l’impression de créer un personnage, enfin physiquement. Certes, j’ai des santiags et un collant jaune fluo, mais je n’ai pas l’impression d’être dans une création de personnages. J’ai plus l’impression de changer à chaque morceau de personnage : ce n’est pas un personnage global, c’est juste un état du cœur, qu’il faut que je communique chanson par chanson. C’est ça que j’essaye de préciser – et dans ma relation avec Émile, quand le morceau parle de ça aussi.

Entre les autres singles que vous avez sortis et l’album dernièrement, je trouve qu’il y a une esthétique qui est assez différente. Visuellement, vous étiez plutôt dans une représentation classique et le dernier est tout à fait différent, plus contemporain. Pourquoi ce revirement de situation ?

Émile : Je crois que ce n’est pas quelque chose qu’on a décidé depuis le début, depuis le moment où on commence à travailler sur tout ce qui n’est pas de la musique, sur l’image… Mais ça a rapidement été une volonté de notre part, de ne pas trop illustrer en images (que ce soient les clips ou la pochette) la musique qu’on faisait. Déjà, ça nous paraissait difficile de le faire. En fait, on a essayé de le faire pendant un certain temps et on n’ a concrètement pas réussi. Parce que de faire quelque chose qui est cohérent, de souligner en images la musique, ça ne va pas de soi, on passe forcément par quelque chose d’un peu abstrait avec de l’interprétation.

Malgré tout, on peut imaginer quand même – et c’est ce qu’on a essayé de faire pour un temps – de vraiment souligner, mettre en images cette musique, en termes d’atmosphère, de feeling. A un moment on s’est dit que ce n’était pas ce qu’on avait envie de faire justement, ce n’est pas ce qu’on fait quand on fait de la musique. On a plutôt envie de prendre le contre-pied, de montrer autre chose… quasiment même le contraire. 

Neysa : Le titre est mystérieux, maniéré justement, il irait plus avec une iconographie de tarot de Moyen-Âge.

Émile : Quelque chose de délicat, de précis, d’élégant…

Neysa : Ça nous a semblé pénible d’imaginer une image assortie avec une jolie main en argentique qui toucherait la pénombre et on s’est dit : mais non, il nous faut une violence qui existe dans notre processus et qui se traduit par nos effets de rupture, que ce soit au sein d’un morceau ou d’un morceau à l’autre. Et justement le contre-pied du toucher, au fond, c’était la violence d’une masse qui tombe. J’ai repensé à cette photo que j’ai prise de mon père, il y a 15 ans dans un moment de folie au salon. On y voyait de l’humour et ça nous plaisait cet humour, ce décalage-là… Beaucoup de personnes nous posent la question : «  Mais qu’est-ce que c’est que cette pochette, c’est pas vous, on a l’impression que vous allez faire du métal », mais ça nous fait plutôt rire. Les malentendus sont le début d’une conversation, c’est la possibilité d’une littérature. Évidemment avec cette pochette il fallait qu’on fasse aussi des clips un peu « bright » avec cette même image. Ça aurait été bizarre de ne pas aller dans cette direction. 

C’est créer la surprise pour ce que l’on va entendre. Quand on voit la pochette, on se demande ce que l’on va écouter, alors que par exemple pour The Beast, on se dit que ça va être de la musique médiévale.

Émile : Oui c’est ça !

Tu parlais de rupture entre les morceaux. Comment créez-vous un morceau ?

Émile : Ça ne se passe pas d’une seule manière, je ne pourrais pas te résumer ça en une phrase. On n’a pas vraiment de méthode, on n’a pas vraiment d’habitude. Ce que je peux te dire, c’est qu’on ne le fait pas ensemble. Déjà chacun, chacune de notre côté. Pendant longtemps, ça partait d’une instru que je pouvais faire, une boucle de quelque chose de plus ou moins long et déjà mis en place, sur laquelle Neysa allait écrire et chanter ensuite un texte. Ça allait de fait se transformer en chanson. Aujourd’hui, Neysa fait aussi des choses dès le début. C’est-à-dire qu’elle compose aussi des morceaux, des loops sur lesquelles elle chante et écrit des textes. Souvent, dans tous les cas, on va faire des choses un peu de notre côté puis se retrouver à un moment et mettre en commun pour finir ensemble. Et même avant ça, une fois qu’on a mis en commun, on va de nouveau se séparer et se retrouver.

Neysa : Je pense que ça participe à la complexité de nos morceaux, qui sont probablement sous leur forme archi démo quand on bosse chacun de notre côté, assez simples. Mais par la rencontre, une nouvelle partie va émerger, qu’on veut garder telle quelle puisque c’est le fruit de notre collaboration. 

UTO - Touch The Lock - Les Oreilles Curieuses
Pochette de l’album Touch The Lock

D’où vient le nom UTO ? 

Neysa : On a commencé la musique avant de trouver un nom. Le premier morceau qu’on a fait c’était The Beast et j’avais un chien vraiment ingérable qui était en fin de vie. Il s’appelait Uto – il aboie d’ailleurs sur The Beast à la fin. Je me souviens, j’étais ado, je sortais ma flûte à bec et ça le rendait dingue, il faisait des hurlements de loups. C’était un peu prise de tête, ce moment de trouver un nom de groupe, on n’avait pas envie d’un joli nom ou d’une image. On voulait sortir de la poésie et en regardant le chien je me suis dit : « Mais toi tu es complètement taré au fond, on a envie d’être tarés comme toi dans cette expérimentation ». Alors on s’est dit Uto. Ça sonne un peu japonais, ça n’évoque rien de spécial… Sinon l’utopie, il n’y a pas beaucoup de mots qui commencent par Uto.

En ce moment, qu’est-ce que vous aimez écouter ?

Émile : On a pas mal écouté Jockstrap !

Neysa : Je peux même te donner des chansons ! Concrete Over Water, magnifique… Là, je suis obsédée par un morceau de leur album de 2018 qui s’appelle Charlotte.

Par quoi êtes-vous inspirés pour écrire vos chansons ?

Émile : On ne peut pas te répondre en une phrase. De mon côté, ça peut être l’écoute d’autres morceaux, d’autres artistes, que ce soit contemporain ou non… Ça va me donner envie de faire de la musique, plus que directement m’inspirer. L’inspiration me vient très concrètement parfois des machines avec lesquelles je travaille, de mes instruments, des lieux dans lesquels je suis ou dans lesquels on est avec Neysa. Il n’y a pas une équivalence entre les lieux, les machines et la musique qu’on va faire, mais je pense que ce sont des points de départ. Je dirais donc : la musique des autres qui peut me mettre dans un élan, les instruments, les machines et le lieu.

Neysa : C’est tout ce qui vient un peu nous déranger, aussi. On est à la merci de son inspiration. Je pense qu’il y a peu de personnes qui peuvent dire : telle chose me nourrit donc si j’en mange alors je vais absolument être inspiré. Ce sont des bouleversements, ce sont des surprises et ça prend plein de formes évidemment dans la vie. Ça peut être des relations ou comme le dit Émile, des instruments, des lieux. Ce sont aussi des ruptures, des réaménagements.

You may also like

More in À la Une