Le jeune artiste parisien Thomas Guerlet nous présente et nous parle de la sortie de son premier album brûlant, How Strange To Be Anyone.
Après 7 ans en Angleterre, Thomas Guerlet sort son premier effort. Un album rouge vif, rempli de tendresse, d’ondes sensuelles et de chaleur. How Strange To Be Anyone nous emmène dans la fin de l’illusion de la vie que l’on perçoit en tant qu’enfant. Le passage au monde adulte. Un chemin empli de sentiments diverses et variés, où Thomas, lui, s’exprime avec son piano et sa voix puissante. Avec cet opus composé entre Liverpool, Paris et Avilly-Saint-Léonard dans l’Oise, le multi-instrumentiste Guerlet fait rayonner cette pop soul rêveuse et incendiaire.
Nous avons donc voulu le rencontrer. C’est dans son studio à Paris que le géant Thomas Guerlet nous donne rendez-vous. Après notre interview, nous nous sommes posés un instant sur son canapé pour écouter ce qui l’a poussé définitivement à faire de la musique. Un souvenir de King Krule, un artiste important pour lui. Sur son ordinateur, il lance le sublime morceau The OOZ, titre éponyme du deuxième album de l’Anglais. On ressent toute l’importance de cette musique dans celle de Thomas.
Une voix féminine, une guitare claire en arpège, et cette voix lourde et apaisante d’Archy. On voyage le temps des 4 minutes 36 de la chanson. Plongée dans son univers. Bref, une rencontre tout aussi magique que ce titre, on partira en Angleterre, puis on se remémorera un souvenir de concert avec Benjamin Biolay et l’importance de sa musique, pour finir par savoir ou non si c’est si étrange d’être quelqu’un.
How Strange To Be Anyone est donc ton premier album, une étape importante j’imagine. Comment tu sens après cette sortie ?
Libéré. Pas d’un poids, car ce n’était pas un fardeau, mais je suis content d’aller de l’avant. J’ai pris beaucoup de temps à le sortir et je suis un peu impatient comme mec. Je ne me rendais pas compte d’à quel point ce genre de chose pouvait prendre du temps. Et ça prend un temps fou.
Quel a été le processus de composition ? Comment s’est créé l’album ?
Ça fait longtemps que je fais de la musique et que j’écris des chansons. Et puis j’étais en Angleterre, je finissais mes études à Liverpool. En troisième année, je ne sortais plus beaucoup de ma chambre car je bossais, bossais, bossais tout le temps sur les morceaux pour finir avec un catalogue assez important. Je voulais faire un EP au départ, qui au final est mort-né. Je me suis retrouvé avec un catalogue d’environ 40 chansons et je me suis dit qu’en fait, il y avait de quoi faire un album. Donc j’ai continué à en écrire et à essayer de créer quelque chose qui allait donner une cohérence. Et une fois que je m’étais mis en tête que j’allais faire un album, je suis allé jusqu’au bout du processus.
Un premier album je pense que c’est toujours un peu pareil, c’est comme un premier livre. On parle de soi. Soit on règle ses comptes, soit on fait un résumé de tout ce qu’on a vécu, tout ce qu’on a regardé ou observé dans notre vie jusqu’ici.
Tu as déjà les prémices d’un deuxième album ?
Bien sûr ! J’ai déjà commencé, je suis lancé.
En attendant, qu’est-ce qui t’attend pour la suite ? Des concerts, des projets ?
Il y a pas mal de concerts. Est-ce qu’il y a d’autres projets en ce moment ? Qu’est-ce que je fais en ce moment ? (rires) J’aimerais beaucoup collaborer avec d’autres artistes et là je vais rentrer dans une période où je vais proposer mes services. J’aimerais bien faire de la réal ou de la prod pour d’autres personnes. Co-écrire, collaborer, tout ça c’est de la curiosité car j’ai envie de rencontrer des gens.
D’où t’es venu ce déclic de commencer la musique ?
Depuis que j’ai 4 ans, je veux être chanteur. Depuis toujours. Je ne sais pas si j’ai eu beaucoup de doutes, à part peut-être à 18 ans, au moment il fallait prendre la décision de se lancer dans la musique.
Est-ce que tes parents t’ont transmis ça ou c’était inné chez toi ?
À 4 ans, j’ai découvert un chanteur qui s’appelle Eddy Mitchell. Par hasard. Je suis entré totalement dans son univers avec un imaginaire d’enfant qui ressemble un peu à rien, et je me suis dit : c’est ça que je veux faire.
Tu parlais tout à l’heure du fait que tu as vécu en Angleterre. Tu es parti combien de temps ? Pour y faire quoi et pourquoi là-bas ?
Je suis parti 7 ans en Angleterre. J’étais en troisième en France, à Paris, où je suis né d’ailleurs, dans un lycée un peu élitiste où les musiciens n’étaient pas super bien vus. On nous regardait un peu comme des saltimbanques. On m’a parlé de l’Angleterre car j’ai dû redoubler ma troisième alors que j’avais eu une mention au brevet, ce qui me paraissait complètement absurde. Un peu humilié, je suis donc parti là-bas. J’étais censé rester un trimestre et l’école où je suis allé m’a accepté pour 3 ans au final. J’ai fait un an et demi dans une, puis un an demi dans une autre, pour finir par faire mes études de musique en Angleterre.
C’était quoi ton instrument de prédilection ?
Alors ça a été la guitare pendant longtemps. Maintenant, je me tourne beaucoup plus vers le piano mais le premier instrument que j’ai joué a été la batterie.
Tu joues combien d’instruments en tout ?
Piano, basse, guitare, batterie. Du coup, c’est moi qui joue tous les instruments sur l’album.
Dans ton album tu as donc composé 11 titres. 10 en anglais et un en français. Pourquoi est-ce qu’il n’y a qu’une chanson en français ? Pourquoi pas ne pas avoir fait un album rien qu’en anglais ou inversement ? Et est-ce que tu peux donc nous parler de ta chanson La première ?
Pourquoi ? Parce que j’ai écrit la plus grande partie de l’album en Angleterre. Du coup, je ne me posais pas trop la question, parce que c’était le langage avec lequel je communiquais. Aussi parce que j’étais lancé dans ce processus où j’écrivais en anglais et ça me paraissait normal. Après 7 ans là-bas, c’était comme ma patrie. Puis quand je suis rentré en France, je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose à ajouter, et j’ai toujours écouté énormément de musique française comme Brel, Gainsbourg, Aznavour, Ferret ou Biolay dans mon enfance. À la maison, on écoutait vraiment beaucoup de chanson française. Mais j’écoutais aussi les Beatles et toutes les choses qui gravitent en Angleterre. J’étais vraiment entre les deux. En rentrant en France, ça s’est fait un peu automatiquement. Et j’ai commencé à faire une, puis 2, puis 3 chansons en français. Après, je ne m’étais jamais vraiment arrêté d’écrire en français, j’avais des petits textes ou encore des poèmes.
Puis La première c’était une chanson écrite en anglais au départ, qui s’appelait The First Time. Je m’étais dit qu’elle était bien mais il manquait quelque chose, donc j’ai décidé de la traduire. J’ai écrit le texte en presque un jet, en très peu de temps car j’avais cette idée d’écrire à propos de la curiosité de vouloir toujours vivre des choses pour la première fois.
Tu as aussi fait une reprise de Barbara, Dis, quand reviendras-tu ?. Elle représente quoi pour toi, Barbara ?
En réalité, je pense que n’importe quelle chanson de Barbara me touche, indépendamment d’une profondeur extrême. J’ai choisi Dis, quand reviendras-tu ? un peu comme ça, sans me poser de questions. Au départ, ce n’était pas une blague mais c’était un exercice. Je me suis dit « t’as pas le droit de faire une reprise de Barbara, c’est pas possible ». Personne ne devrait toucher à Barbara car c’est magnifique. Bon, je l’ai fait quand même. (rires) Je l’ai fait car il y a cette fille Miki qui est venue chanter avec moi, et elle a rajouté quelque chose de totalement inédit. Je pense que ça m’amusait beaucoup aussi d’essayer de moderniser complètement une chanson classique. J’aime les reprises quand elle vont vraiment autre part. Essayer de ne pas la dénaturer, évidemment, de garder la profondeur, ce qui nous a touché quand on a écouté la chanson… mais on peut l’emmener ailleurs.
Justement, tu parles de Miki. On la retrouve sur l’album avec le morceau She Don’t Want To Dance. Comment vous vous êtes rencontrés et comment s’est passée la collaboration pour ce titre ?
C’est bête, elle était avec moi il y a une demi-heure ! (rires) On s’est rencontrés complètement par hasard. C’était il y a 5 ans, dans une soirée où on jouait du piano tous les deux. Puis on s’est perdus de vue car chacun a fait sa vie de son côté. On s’envoyait des messages sur Instagram de temps à autre parce qu’elle aimait bien ce que je commençais à faire. Mais on se connaissait pas. Puis un jour, je travaillais sur un morceau et je voulais une voix de fille dessus. Donc je propose à Miki. Elle me demande ce que je fais le week-end, je lui réponds que je suis en Normandie avec mes cousins car on était en confinement. Elle me répond « OK, j’arrive. ». Donc elle a débarqué comme ça dans ma vie. Pendant ce week-end on n’a pas fait beaucoup de musique, on a surtout beaucoup rigolé… mais on s’est enfermés deux heures dans une pièce et on a fait Dis, quand reviendras-tu ?.
Après, on a continué à travailler beaucoup ensemble et She Don’t Want To Dance est sortie un soir comme ça. C’était chez ma mère, un soir d’hiver, la chanson est venue très naturellement et je trouvais ça bien d’avoir un duo avec Miki sur cet album. C’était important.
On a des thèmes assez récurrents sur cet album comme l’amour et ce qu’il engendre, que ce soit bon ou mauvais, ou encore la passion. Est-ce que c’est quelque chose qui te touche personnellement ?
Évidemment. Sinon j’aurais parlé de bricolage ou de bagnoles. (rires) Là, j’ai parlé de ce que je connaissais un petit peu et ce qui me touchait tout particulièrement. Je ne peux pas parler pour les autres mais de ce que je vois moi. On peut parler de beaucoup de choses dans une chanson, mais en réalité il n’y a pas grand-chose qui nous touche et qui nous obsède plus que l’amour. Il y a pas de matière plus noble. C’est un sujet qui continue encore et encore et encore à nous épater. Dans la musique baroque c’était la religion, pour notre génération c’est une obsession pour l’amour.
Ce thème se marie très bien d’ailleurs avec tes influences. On entend de la soul, du jazz, aussi du rock à la Arctic Monkeys comme sur un de tes premiers morceaux Crystal Clear. D’où viennent ces influences ?
J’ai eu les deux premiers albums des Arctic en intraveineuse en Angleterre quand j’étais plus jeune, et j’aimais vraiment beaucoup. Il y a des groupes qui ont marqué ma vie à différentes périodes comme les Strokes, les Beatles… et aussi des obsessions comme celle que j’ai eue pour les Doors, par exemple, ou encore ma révélation à 15 ans face à King Krule.
Tu parlais tout à l’heure de Benjamin Biolay. Et il est très fan de toi. Qu’est-ce que ça fait d’être reconnu par lui ?
Il est très fan, je n’en suis pas si sûr, dans le sens où comme dirait Jacques Brel : « Je suis pas si sûr qu’il se lève la nuit pour m’écouter ». (rires) Non mais c’est très flatteur, car c’est vraiment la musique qu’on écoutait avec mes parents. La musique qui m’a bercé, qui m’a beaucoup appris. Je pense qu’inconsciemment j’y suis revenu plus tard parce que ça me rappelait mon enfance. Et j’ai commencé aussi à l’écouter avec une oreille différente, une oreille de musicien, et à me rendre compte de la puissance des arrangements ou la beauté des paroles, surtout sur les premier albums. Je trouvais ça extraordinaire. Du coup, quand on m’a proposé d’ouvrir pour lui c’était une sorte de consécration.
Et tes parents sont venus ?
Bien sûr. On a dîné ensemble. Ça a duré 2 heures, on parlait de tout et de rien. J’ai fait ma première partie, on avait un petit laps de temps de 20 minutes et on a discuté. Je lui ai dit : « Non mais attends Benjamin, faut que je te le dise quand même… ». Donc je lui raconte que dans la bagnole, ma mère écoutait en gros beaucoup de choses mais principalement du jazz, un peu de classique et pas mal de musique actuelle, mais que mon père c’était exclusivement de la chanson française. Donc la seule personne qu’on écoutait dans la bagnole c’était Benjamin Biolay. On avait que des disques de lui dans la voiture. On les avait tous, parfois en double mais on n’avait que ça. Donc je lui raconte ça. Et pendant son set sur la troisième chanson, il joue Négatif et raconte l’histoire que je viens de lui conter dans les loges avec mes parents, dans la salle… donc forcément ça fait plaisir. C’était très touchant.
Je reviens sur l’album, plus précisément sur la pochette. Est-ce que tu peux nous expliquer ce choix ?
Cette pochette d’album je l’ai faite avec mon meilleur pote Marin. Il est directeur artistique et travaille depuis un moment dans différents canaux de création. Que ce soit dans la mode, le cinéma, la musique, c’est un mec qui touche un peu à tout mais avec de l’image à chaque fois. Donc je suis allé le chercher en lui demandant s’il n’avait pas envie de faire ma pochette. C’est un mec qui me connaît par cœur, donc c’était pratique. On essaye de trouver des idées. On écoute plusieurs fois l’album. Il me dit qu’il trouve l’album d’un coté contemplatif, émotionnel, sensible mais en même temps brûlant. Donc on tourne un peu autour du pot. Il me dit qu’il n’a pas envie de faire une pochette en argentique de moi qui regarde au loin comme si c’était contemplatif car ça le fatigue. Il a envie de faire un truc brûlant. Je voulais un truc simple, minimaliste, essayer de trouver quelque chose qu’on n’a pas beaucoup vu.
Et tout d’un coup il me dit « Bon, j’ai une connerie, mais ça va pas te plaire ». Je lui dis « Quoi ? », il me répond « On va mettre ta gueule en bougie ». Et là je me dis « La bête d’idée. Oh la la, la bête d’idée ». Ça répondait à toutes nos attentes. C’était simple, esthétique et je ne peux pas être plus symbolique que ça quand je dis que je brûle. En plus, cet album c’est un peu la fin de l’enfance. Et c’est mon visage d’enfant sur la pochette qui brûle.
Ces bougies, on les retrouve un peu partout. Comme dans ton clip The Derailer, pourquoi ne pas en avoir fait d’autres ?
C’est compliqué. Car j’aime trop le cinéma pour en faire du mauvais. C’est moi qui ai réalisé le clip et c’était en-dessous de mes attentes. Je l’ai co-réalisé avec d’autres personnes mais c’est trop de travail et d’organisation pour au final se débrouiller comme on peut. J’ai trouvé le résultat sous-exposé, pas si bien fait. Je n’étais pas déçu mais je voulais aller plus loin.
Tu installeras des bougies pendant tes concerts ? Et est-ce que tu joueras seul ou accompagné ?
Si je fais des concerts piano-voix, évidemment. Et sur les prochaines dates j’aurai un groupe qui va jouer avec moi.
Dernière question : c’est étrange comment d’être quelqu’un ?
C’est putain d’étrange. Et je pense que la grande blague, c’est que j’ai écrit cette chanson en me disant que c’est étrange d’avoir 21 ans, c’est étrange d’être quelqu’un et que plus les années passent, plus c’est étrange.
Thomas Guerlet sera en concert à la Boule Noire le 23 novembre (déjà complet) et à La Maroquinerie le 8 mars 2023.