Les éditions Presque Lune ont publié fin octobre l’essai graphique Ces mauvaises femmes. L’occasion pour Maze de s’entretenir avec l’artiste sévillane d’adoption, María Hesse.
Après avoir publié de nombreuses biographies d’artistes (on lui doit notamment celles de Frida Kahlo et Marilyn Monroe), María Hesse élargit sa galerie de portraits féminins avec Ces mauvaises femmes. L’autrice y développe des réflexions personnelles ou empruntées à d’autres essayistes pour analyser la place des femmes jugées « mauvaises » dans les récits de l’Antiquité à nos jours. Un vaste panorama qui se lit à la fois comme un essai et un livre d’images, superbement illustré. Rencontre.
Vous êtes passé de la biographie illustrée aux essais plus libres. Pourquoi ce changement ?
Je n’ai jamais pensé à un format de livre spécifique. J’ai commencé par hasard avec des biographies, mais il a toujours été clair pour moi que ce n’était pas la seule chose que je voulais faire. Il y avait d’autres thèmes et d’autres histoires que je voulais raconter. Et j’espère continuer à explorer de nouvelles formes, cela me semble une façon naturelle d’évoluer.
D’où vous est venue l’idée de faire ce livre Ces Mauvaises femmes ?
L’idée d’écrire Ces mauvaises femmes est née de la lecture de livres féministes et de l’observation du monde dans lequel nous vivons. Au cours des dernières années, j’ai commencé à comprendre l’importance de la fiction dans l’éducation que nous avons reçue. Les « mauvaises » dans les histoires étaient celles qui étaient libres mais elles ont été transformées en perverses afin qu’elles n’apparaissent pas comme exemple à suivre.
Les femmes de vos dessins sont toujours élégantes, entourées de fleurs. Vous les transformez en icônes ou en idoles, et on reconnait en un coup d’œil de qui il s’agit. Avez-vous dû faire un tri dans les figures abordées ?
Merci ! Mes illustrations ne sont pas réalistes, je dois donc beaucoup observer les personnes que je vais représenter pour qu’elles soient identifiables. Les fleurs ne sont pas une simple décoration, elles ont toujours une signification, elles racontent ce qui ne se voit pas à l’œil nu et ne s’exprime pas en mots.
J’aurais aimé parler de plus de femmes, la liste était très longue, mais faute de temps et d’espace, je n’ai pas pu toutes les inclure. J’ai cependant essayé de représenter chaque archétype de mauvaise femme.

La contrainte de parler d’un seul récit ou d’une seule femme par page est-elle venue au fur et à mesure ? J’ai l’impression que cela permet aux deux pages en regard un dialogue, comme un tableau et sa légende. Presque une petite unité quasiment indépendante dans le livre.
L’idée initiale était de pouvoir consacrer plus d’une page par femme, mais si je procédais ainsi, il y aurait eu trop de laissées-pour-compte, et j’avais besoin que les gens voient le large éventail d’archétypes de mauvaises femmes et comprennent qu’il s’agit de stigmates qui ont été perpétués tout au long de l’histoire et qui n’appartiennent pas seulement au passé.
J’essaie toujours de faire en sorte qu’il y ait une narration visuelle et que l’image et le texte dialoguent, je pense que c’est la magie du livre d’images.
Vous êtes traduite dans dix-huit pays. Est-ce qu’on réfléchit différemment à ce qu’on écrit et représente dans un livre une fois qu’on a une large audience internationale comme la vôtre ?
La vérité est que je ne pense pas, au jour le jour, au nombre de livres que je vends et aux pays dans lesquels ils sont vendus. J’en suis évidemment très heureuse, mais ce n’est pas le moteur de mon travail. J’essaie de raconter de manière honnête ce qui me touche. J’ai la chance d’avoir une maison d’édition qui croit en mon travail et me laisse faire ce que je veux.
Avez-vous des œuvres (picturales, littéraires ou autres) qui vous inspirent dans votre travail ?
Beaucoup, et elles changent avec le temps. Pour Ces mauvaises femmes, sur le plan pictural, je me suis beaucoup inspirée des œuvres préraphaélites et des illustrations de contes de fées classiques. J’ai également lu de nombreux essais sur la représentation des femmes dans l’art, tels que Le rire de la Méduse ou Las hijas de Lilith [Les filles de Lilith non traduit en français ndlr].



À la fin de l’œuvre votre discours est plein d’espoir et vous citez de nombreuses œuvres qui changent enfin de point de vue. Il s’agissait pour la plus grande partie de séries. Est-ce qu’il y a des artistes ou des œuvres (en BD, en art ou en littérature) qui pourraient compléter ce panorama ?
Eh bien, en ce sens, je n’ai pas été à la hauteur, car il y a bien plus que les séries et le cinéma. Les livres d’Annie Ernaux, Vivian Gornick, Lara Moreno, Audre Lorde… parmi beaucoup d’autres. Dans la bande dessinée, il y a Sonia Pulido, Power Paola, Sole Otero, Raquel Córcoles…
Vous vous voyez où dans 10 ans ?
Je n’aime pas vraiment penser à long terme. La vie m’a appris que tout peut changer d’un moment à l’autre. Aujourd’hui, je suis très heureuse sur le plan personnel et professionnel. J’espère qu’il en sera toujours ainsi.