CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2022 – « Harka » : N’oublie pas de revenir

Harka
© Dulac Distribution

SELECTION OFFICIELLE – UN CERTAIN REGARD – Pour son premier long métrage de fiction, le réalisateur américain Lotfy Nathan dresse le portrait d’une Tunisie post-Printemps arabe où injustice et misère continuent de coexister. Harka est un film de anti-héros porté par la colère rentrée d’une révélation  : Adam Bessa.

Tunisie, dix ans après le Printemps Arabe. Dans la ville de Sidi Bouzid – berceau de la révolution – Ali survit grâce à la contrebande d’essence. Il planque le peu d’argent qu’il gagne. Car Ali veut partir. Il ne peut se résoudre à «  vivre avec  » son pays comme lui conseille d’un air résigné son pote de toujours. En tunisien, «  harka  » a une double signification. C’est d’abord celle qui renvoie au migrant traversant clandestinement la Méditerranée, qui oriente le film de Lotfy Nathan.

L’exil, quoi qu’il en coûte, s’impose à Ali comme une nécessité. Dix ans après la révolution, dans la ville qui l’a vue naître, la misère et la corruption poussent toujours les Tunisiens à mettre en péril leur vie dans l’espoir d’une existence qui ne soit pas entièrement tournée vers la survie.

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Mais la mort de son père bouleverse les plans du jeune homme. Alors que son frère part sur la côte à Hammamet pour travailler comme serveur auprès d’une riche clientèle européenne, Ali se retrouve à devoir s’occuper de ses deux jeunes sœurs. Le deuxième, et principal, sens d’«  harka  » prend alors la relève  ; Ali «  brûle  », sa colère consume progressivement sa bonté naturelle.

Dans l’urgence croissante, imposée par l’avis de saisie de la maison paternelle pour dettes, l’enchaînement d’injustices et de rejets font naître chez le jeune homme une passion nouvelle et hautement inflammable  : la colère. Le film est porté par la performance majuscule d’Adam Bessa dont le jeu, tout en retenue, imprime la pellicule d’une rage désespérée.

© Dulac distribution

Etats-unien d’origine égyptienne, Lotfy Nathan ne convertit pas son point de vue extérieur en regard de surplomb. Au contraire, en suivant les allers-retours d’Ali à la frontière libyenne, la caméra du réalisateur explore le territoire tunisien. Il trace ainsi une cartographie horizontale dans de vastes plans d’ensemble bien servis par un format 35mm, où s’évanouit le corps d’Ali.

Et cet effacement physique n’a rien de métaphorique  ; Lotfy Nathan fait de l’invisibilisation du corps d’Ali dans l’espace public le moteur de sa colère grandissante. Ali n’est pas un héros, il n’a de toute façon aucun adversaire identifiable à combattre. Les racines de la corruption restent hors champ d’Harka. C’est d’indifférence et d’impuissance que brûle Ali. Conséquences d’un système fracturé de l’intérieur et dont les victimes sont ceux que l’on ne voit pas.

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