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« Everywoman » – Milo Rau au chevet de la fin de vie

La nouvelle création de Milo Rau met en parallèle la vie de deux femmes  : celle de l’actrice allemande Ursina Lardi et celle d’Helga Bedau, une Berlinoise en fin de vie. Un spectacle sur la mort forcément touchant, mais qui met en évidence les limites du théâtre.  

En 2021, le Festival de Salzbourg propose à Milo Rau de mettre en scène Jedermann d’Hugo von Hofmannsthal, une pièce régulièrement revisitée par des artistes invités de la manifestation. Mais Rau, fervent adepte du théâtre documentaire qui aime à s’inspirer des faits et paroles du réel, hésite face à ce texte un peu poussiéreux sur la mort d’un homme. En plus, il a envie de retravailler avec l’actrice allemande Ursina Lardi qu’il avait déjà mise en scène dans Compassion. L’histoire de la mitraillette. Finalement, il décide de s’intéresser à l’autrice d’une lettre reçue par l’actrice mi-2020.

Revisiter Jedermann

La comédienne avait alors été contactée par Helga Bedau. Cette femme atteinte d’un cancer confiait regretter que le confinement l’empêchait d’aller au théâtre et sa crainte de ne plus jamais y retourner. Plus jeune, elle avait joué dans une adaptation de Roméo et Juliette et elle disait vouloir remonter sur les planches avant de mourir. A partir de ce matériau, Milo Rau a conçu Everywoman, une relecture contemporaine de la pièce d’Hofmannsthal (Jedermann pouvant se traduire par «  tous les hommes  »).  

© dpa

Les limites du théâtre

Seule sur scène, Ursina Lardi joue son propre rôle. Sur un écran surplombant le plateau apparaît progressivement Helga Bedau, que les deux artistes sont allés filmer. Un échange s’installe. On plonge dans la vie de cette femme, dont la fin approche. Elle nous parle surtout de sa jeunesse, de son arrivée à Berlin, de l’effervescence des années 60 et 70. On parle aussi de ces choses triviales qui font le quotidien de la vie  : sa pizzeria préférée – bien qu’assez miteuse – dans le quartier de Charlottenburg, son fils parti vivre en Grèce avec son père à 12 ans et auprès de qui elle aimerait être enterrée. C’est simple, c’est vrai.

 A côté, le discours grandiloquent d’Ursina Lardi sur la vie et l’impensée de la mort ne peut que sonner faux. On touche ici aux limites du théâtre. Son côté mécanique ne résiste pas face à l’authenticité de la vie. Aussi douée soit-elle, Ursina Lardi semble être une marionnette qui se donne en spectacle, tente de faire rire le public comme pour lui faire oublier que la pièce parle de la mort. Pour une fois, on regrette que Milo Rau ne se contente pas de retracer la vie de cette femme de manière purement documentaire.

Mausolée

Si Milo Rau échoue à instaurer un dialogue véritablement fécond entre les deux femmes, la pièce conserve certaines qualités indéniables. Avec peu de scénographie, le metteur en scène suisse réussit à créer quelques très beaux tableaux. Sur la fin, l’image projetée d’Helga Bedau sur un rideau de pluie fait apparaître un spectre lumineux à l’aspect fantomatique troublant. In fine, Everywoman demeure une mise à jour intéressante de Jedermann. Surtout, la pièce permet de respecter la dernière volonté d’Helga : monter sur scène, une dernière fois. Le théâtre comme mausolée, c’est déjà ça.   

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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