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À Cabourg, le centenaire de Marcel Proust ranime le souvenir de Balbec

Cabourg Proust
© E.P. / Maze

La petite station balnéaire dans laquelle s’est écrite une partie de la Recherche profite du centenaire de la mort de l’écrivain pour drainer un nouveau type de tourisme. Une programmation réjouissante, mais qui pourrait encore s’étoffer. Reportage.

Il suffit d’ouvrir les yeux et de laisser courir son imagination. Le soleil brille encore, en ce début du mois de novembre, et illumine la mer, d’un bleu presque translucide, qui surplombe Cabourg. Balbec. Le long de la jetée, de grandes villas normandes du XIXe siècle s’entassent les unes à côté des autres et surplombent les passants qui traversent la promenade.

Et au beau milieu de toutes ces constructions bourgeoises se dresse la plus bourgeoise d’entre elles : le Grand Hôtel de Cabourg, où séjournait régulièrement l’écrivain le plus mondain du XXe siècle, dans l’espoir de régler ses récurrents problèmes de santé. Alors que toute la petite aristocratie de l’époque investissait d’autres pans de la côte normande pour ses vacances – Deauville en tête -, Proust, lui, chérissait Cabourg.

L’écrivain, comme le narrateur de la Recherche, quittait régulièrement Paris pour aller « respirer » l’air marin depuis sa chambre du Grand Hôtel. Sa grand-mère, à laquelle il était très attaché, avait choisi Cabourg (renommée Balbec dans l’œuvre) plutôt que d’autres stations balnéaires en vue à l’époque. Alors Proust, grand nostalgique des heureux moments vécus là-bas, est resté à Cabourg, lui aussi.

Un siècle plus tard, le Grand Hôtel a été reconstruit et modernisé – l’édifice a servi d’hôpital militaire durant la Seconde Guerre mondiale. À défaut d’avoir pu être conservé en l’état, comme une sorte de petit musée en hommage à l’écrivain dont le portrait est disséminé partout dans la ville, le lieu multiplie les références. Ainsi, pour la modique somme de 16 euros, il vous sera possible de déguster trois authentiques (selon le flyer) madeleines telles qu’elles se faisaient au temps de Proust. Pour ceux qui n’auraient pas envie de vendre un rein pour déguster les gâteaux du souvenir, nous vous livrons sans phare le secret du biscuit culte : environ un kilos de beurre par portion. Proust sait parfois être démocratique.

La vue qu’avait Marcel Proust depuis sa chambre, au Grand Hôtel de Cabourg © E.P/Maze

Pour les plus fanatiques d’entre les lecteurs de l’écrivain, une chambre a été tout spécialement reconstituée à partir de mobilier d’époque. Une salle de bain XXL, une armoire en chêne, un lit en métal comme ceux que l’on trouve encore chez nos grands-mères et surtout, une vue plongeante sur la mer, qui était probablement celle de l’écrivain lorsque, assis à son bureau, il composait les longues phrases qui sont aujourd’hui sa signature. Quelques portraits ont été accrochés aux murs, l’ombre de Proust guette le spectateur tandis que ses livres ont été rangés sur une étagère. Pour ceux qui n’auraient pas le courage de relire les sept volumes de la Recherche en une seule nuit à l’hôtel, le personnel a eu la présence d’esprit de proposer sa version en bande dessinée, éditée chez Delcourt.

La Villa du Temps Retrouvé

Depuis quelques années, le « tourisme proustien » a été ranimé grâce à la construction de la Villa du Temps Retrouvé. Le musée, dont le nom fait explicitement référence au dernier volet de la Recherche, doit permettre de drainer un nouveau public de curieux dans la ville, familial ou littéraire. Bref, du sang neuf, qui permettrait à la bourgade d’assurer la survie de son industrie touristique, aujourd’hui plébiscitée plutôt par les retraités et les adeptes des cures thermales. C’est ainsi que la Villa a ouvert ses portes, avant de les refermer brusquement, pour cause d’épidémie de Covid. L’année 2022, celle de la réouverture, doit aussi être celle du renouveau.

Dans La Villa du Temps Retrouvé, des projections de tableaux dans la Normandie de la Belle Époque, où Proust, comme les notables de l’époque, se rendait régulièrement. © E.P/ Maze

Pourtant, difficile de comprendre à qui s’adresse vraiment ce lieu. « Ce n’est pas un musée sur Marcel Proust ! », nous informe Kirsten, guide-conférencière à la Villa. Dans l’ancienne bâtisse datée de la Belle Époque et rénovée par la ville s’entremêlent différentes collections, dont le lieu ne fait pas sens. À l’entrée sont proposés à la vente plusieurs ouvrages de et sur l’écrivain. Des tomes de la recherche, la même bande dessinée que celle proposée à l’hôtel, et des livres consacrés à Céleste Albaret, la bonne et confidente de l’écrivain.

À l’intérieur, les expositions – qui, toutes prêtées par des musées ou des particuliers, ne sont pas permanentes – se mélangent, jusqu’à faire douter de la ligne éditoriale du lieu. « Les fans de Marcel Proust qui viennent ici sont souvent un peu déçus », confesse Kirsten entre une présentation de pièces de bronzes et d’une reconstitution de salon de l’époque proustienne.

La Villa du Temps Retrouvé, qui aurait gagné à être un musée sur l’écrivain, se contente en réalité d’être une somme de ce que la ville a pu collecter sur l’époque. Se côtoient ainsi des portraits de notables du dix-neuvième ayant côtoyé l’écrivain, des pièces prêtées par les familles de proches de Marcel Proust lui-même, avec d’autres prêts de tableaux représentant plus prosaïquement la Normandie. À l’étage, dans la même salle se côtoient même des manuscrits du deuxième volet de la Recherche, À l’Ombre des jeunes filles en fleur, et des tableaux d’un contemporain de Monet, qui a peint les falaises de Deauville.

Reconstitution d’un salon de l’époque proustienne, avec des portraits d’amis de l’écrivain. © E.P/ Maze

Ces reconstitutions de la Belle Époque, quand bien même elles ne sont pas inintéressantes, en disent peu sur l’écrivain. Dans l’avant-dernière salle de la collection principale, une projection prend tout de même la peine de recontextualiser Balbec, l’attachement de Proust pour Cabourg, son œuvre, ses dîners en ville, son homosexualité. Les traits saillants de l’œuvre, comme la biographie de l’auteur, restent finalement très superficiels, tout comme les reconstitutions de la Belle Époque, qui ne disent pas grand-chose de la période. La deuxième collection du musée, consacrée à Gustave Eiffel, ne nous en dira pas plus sur la Normandie de cette époque.

Le centenaire de la mort de Proust, qui a eu lieu le 18 novembre 2022, donnera lieu à un week-end de conférences consacrées à l’auteur. Le musée sera en accès libre, mais surtout, l’œuvre de Proust sera présentée par Jacques Mougenot, qui se donne pour mission de rendre l’œuvre accessible aussi bien aux fans qu’aux profanes. Le groupe Brune Parole promet un concert « Recherche Proust », tandis qu’Élise Cambreling reviendra sur l’amitié qui liait l’écrivain au peintre Helleu. En clôture, les journalistes Doan Bui et Éric Aeschimann, rédacteurs en chef du hors-série de L’Obs « Proust pour tous », présenteront ce numéro spécial consacré à l’écrivain. De quoi rentrer plus en profondeur dans cette œuvre fascinante et foisonnante.

La Villa du Temps Retrouvé, à Cabourg, informations et réservations. Conférences pour le centenaire de la mort de Proust, organisées par la ville de Cabourg à la Villa du Temps Retrouvé et au Grand Hôtel de Cabourg.

Journaliste

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